Kiosques à Musique — Petits Plus

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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

ESTAIRES (59) - Le Tramway de Béthune à Estaires : un déraillement financier chronique.
En complément du Kiosque à musique de la Grand'Place d'Estaires.

La future ligne de tramway reliant Béthune (Pas-de-Calais) à Estaires (Nord), longue de 18 kilomètres, est déclarée d'utilité publique par décret du 12 mars 1897. Ce sera un tramway à traction mécanique à vapeur. Le 30 novembre 1898, l'ingénieur Théodore Fresson qui a signé, le 25 juillet 1896, une première convention avec Vel-Durand, préfet du département du Nord, se désiste, comme prévu, en faveur de la société anonyme « Compagnie des tramways de l'Artois ».

Le concessionnaire est contraint à de multiples conditions par le cahier des charges :
— Les matériaux de construction de la ligne et le matériel roulant seront de provenance française ; le personnel de l'exploitation sera de nationalité française.
— Le tramway est destiné au transport des voyageurs et des marchandises. La traction aura lieu par locomotives à vapeur.
— Le tracé de la ligne empruntera les voies publiques suivantes : le chemin de grande communication n° 56, la route départementale n° 9 et le chemin d'intérêt commun n° 122.
— La largeur de la voie entre les bords intérieurs des rails devra être de 1 mètre. Dans les parties à deux voies, la largeur de l'entre-voie, mesurée entre les bords extérieurs des rails, sera de 1 m. 50.
— La largeur des locomotives et des caisses des véhicules, ainsi que leur chargement, ne dépassera pas 2 m. 30, et la largeur du matériel roulant, y compris toutes saillies, notamment celle des marchepieds latéraux, restera inférieure à 2 m. 30 ; la hauteur du matériel roulant au-dessus des rails sera au plus de 3 m 60.
— Dans les traverses des villes et villages, les voies ferrées devront être établies avec rails noyés dans la chaussée entre les deux trottoirs, ou du moins entre les deux zones à réserver pour l'établissement de trottoirs.
— Le nombre minimum des voyages qui devront être faits tous les jours, dans chaque sens est fixé à six.
— Les trains se composeront de huit voitures au plus et leur longueur totale ne dépassera pas 60 mètres.
— La vitesse des trains en marche sera au plus de 20 kilomètres à l'heure en rase campagne. Le maximum sera réduit à 10 kilomètres dans les traverses,
— La durée de la concession du tramway est fixée à soixante années à compter du décret d'autorisation.

Estaires - La Grand'Place, Marché, Kiosque à musique et Tramway à vapeur
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publié par JeanMarc Jeu 13 Oct 2016 16:14

Tarif des droits à percevoir par le concessionnaire pour le transport des voyageurs et des marchandises
Tarif par personne et par kilomètre :

— Tramway grande vitesse.
Voitures couvertes, formées à glaces et à banquettes rembourrées (1ere classe) : 10 centimes
Voitures couvertes et fermées à vitres (2e classe) 7,5 centimes
Enfants au-dessous de trois ans : gratuité.
Enfants de trois à sept ans : demi-tarif et demie-place occupée.
Chiens : 2,5 centimes du kilomètre
— Tramway petite vitesse.
Bœufs, vaches, taureaux, chevaux, mulets, bêtes de trait : 10 centimes du kilomètre.
Veaux et porcs : 4 centimes.
Moutons, brebis, agneaux, chèvres : 2 centimes.

Tarif par tonne et par kilomètre :
— Marchandises transportées à grande vitesse.
Huîtres. - Poissons frais. - Denrées. — Excédents de bagages et marchandises de 30 kilos : 3,6 centimes.
— Marchandises transportées à petite vitesse.
1re classe. — Spiritueux. — Huiles. — Bois de menuiserie, de teinture et autres, bois exotiques. — Produits chimiques non dénommés. — Œufs. — Viande fraîche. — Gibier. — Sucre. — Café. — Drogues. — Epiceries. — Tissus. — Denrées coloniales — Objets manufacturés. — Armes : 16 centimes.
2e classe. — Blés. — Grains. — Farines. — Légumes farineux. — Riz, mais-, châtaignes et autres denrées alimentaires non dénommées. — Chaux et plâtre. — Charbon de bois. — Bois à brûler dit de corde. — Perches. — Chevrons. — Planches. — Madriers. — Bois de charpente. — Marbre en bloc. — Albâtre. — Bitume. — Cotons. — Laines. — Vins. — Vinaigres. — Boissons. — Bières. — Levure sèche. — Coke. — Fers. — Cuivres. — Plomb et autres métaux ouvrés ou non.— Fontes moulées. : 14 centimes.
3e classe. — Pierres de taille et produits de carrières. — Minerais autres que les minerais de fer. — Fonte brute. — Sel. — Moellons. — Meulières. — Argiles. — Briques. — Ardoises : 10 centimes.
4e classe. — Houille. — Marne; — Cendres. — Fumiers. — Engrais. — Pierres à chaux et à plâtre. — Pavés et matériaux pour la construction et la réparation des routes. — Minerais de fer. — Cailloux et sables : 8 centimes.

Estaires - Gare et dépôt du Tramway
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publié par Jean-Pierre Rigouard Jeu 6 Nov 2014 14:34

La ligne de tramway, dont l'activité a été entravée de 1914 à 1917, puis qui, en 1918, a été exploitée par l'armée, se trouve lors de l'armistice, hors d'état de fonctionner du fait des destructions occasionnées par les bombardements. En 1919-1920, le Conseil général du Pas-de-Calais décide de procéder à de coûteux travaux de remise en état et ce, malgré de fabuleux déficits : en 1905, on constatait déjà que sur 6 années d'exploitation, seule l'année 1904 était bénéficiaire ; le déficit cumulé, à cette date, atteignait 106.916 fr. 05.
On continue de plus belle après 1919 : chaque année, une perte est réalisée, et le Conseil général du Pas-de-Calais couvre systématiquement ce trou. (1919 : 42.448 frs ; 1920 : 82.583 frs ; 1921 : 116.759 frs ; 1922 : 137.270 frs ; 1923 : 179.493 frs ; 1924 : 206.751 frs).
Jusqu'en 1927, la ligne ne sera en activité que de Béthune à Lestrem, en raison du refus du Département du Nord de mettre la main à la poche pour la modification à apporter aux voies et au matériel roulant du fait de la nouvelle cote de calage à 930 m/m ; le Pas-de-Calais a, quant à lui, déjà payé et mis aux normes la partie lui incombant, soit 14 km. Le Nord, avec ses 4 km de ligne, rechigne toujours. Finalement, ce sera le Pas-de-Calais qui financera la partie des travaux à réaliser dans le Département du Nord. C'est donc le 1er décembre 1927 que le tramway arrive de nouveau jusqu'à Estaires.
En 1928, le Pas-de-Calais, va toucher de l'Etat une avance sur dommages de guerre de 1.775.000 francs pour le programme des travaux de reconstitution de la ligne de Béthune à Estaires...

L'exploitation restant toujours largement déficitaire, il est décidé d'arrêter le massacre en 1932 : le Département va indemniser et acquérir les biens de la Compagnie des Tramways de l'Artois selon les modalités suivantes :
— Reprise du matériel tracteur et roulant provenant de la ligne : 300.000 frs
— Rachat de la voie 389.000 frs
— Terrains de la gare de Béthune. 1,81 hectare pour 811.000 frs
— Bâtiments de l'exploitation. Maison pour bureaux et logement, atelier et dépôt magasin pour 544.000 fr.
Les conditions de paiement :
1° versement d'une somme de 300.000 frs immédiatement ;
2° versement d'une somme de 389.000 frs après liquidation de la voie et au plus tard le 31 décembre 1933 ;
3° le reste de la somme due en capital par annuités de 200.000 frs par an (8 annuités + solde) + intérêt au taux de 4 %.
A titre indicatif, le déficit de la dernière année d'exploitation, 1932, s'est élevé à 185.765 74 frs, 130.000 frs étant comme à l'accoutumée, pris en charge par le département.
Les conditions de sortie et d'arrêt de l'exploitation de cette ligne ont été magistralement bien négociées par la Compagnie des Tramways de l'Artois qui s'en est fort bien tirée !
La 8eme et dernière annuité a été respectée et payée en 1940, les terrains et bâtiments situés place de la Gare à Béthune ont été vendus en janvier 1938 au ministère de la guerre pour 492.000 francs.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

On a rasé le Château de Blonay d'Évian en 1911, n'éradiquons pas son passé !
En complément du Kiosque à musique du Casino d' Évian-les-Bains.

I - Le Château de Blonay d'Évian-les-Bains, futur Casino, maison d'hôtes avant l'heure.
Avant qu'Ennemond de Blonay ne transforme en Casino son château, quelques uns de ses ancêtres ont accueilli et hébergé plusieurs illustres hôtes dans ses murs.

Parmi ceux-ci, François de Sales (1567-1622), issu d'un famille aristocratique savoyarde, devenu évêque à Genève en 1602, a très souvent fréquenté la famille de Blonay à partir de 1592, reçu et hébergé en leur château d'Évian. Il a échangé plusieurs correspondances, de 1615 à 1620, avec Jean-François de Blonay, et avec la fille de celui-ci, Marie-Aimée de Blonay, devenue grâce à ses conseils, religieuse puis mère Supérieure de la Visitation à Lyon.

Amphion, commune limitrophe d'Évian-les-Bains, exploite sources et thermes plus d'un siècle avant cette dernière. Les ducs de Savoie, les rois de Piémont-Sardaigne et toute l'aristocratie vont s'y donner rendez-vous au XVIIIe siècle.
Ainsi le Duc et la Duchesse de Chablais vont s'y rendre chaque année de 1783 à 1785 et vont résider par deux fois dans le château du Baron Philippe-François-Michel de Blonay (1764 - † entre 1818-1820)
Ces séjours, préparés et orchestrés minutieusement, nous sont connus par des correspondances de Pescatore, intendant du Chablais, à l'intendant de Savoie, tous deux ordonnateurs de ces virées aristocratiques.

Les séjours du Duc et de la Duchesse de Chablais au château du Baron de Blonay à Évian. Correspondance de Pescatore, intendant du Chablais, à l'intendant de Savoie.
La suite du couple royal est impressionnante : deux dames d'honneur et leurs filles, deux premiers écuyers avec leurs domestiques, deux femmes de chambre avec leurs filles de chambre, deux seconds écuyers, le maréchal de logis et deux pages, le contrôleur, le médecin, le chirurgien et l'apothicaire et « les autres »...

30 juin 1783 — Dispositions pour le logement de la Cour pendant son séjour aux eaux d'Évian.
« Mme la baronne de Blonay a deux appartements en bas, l'un sera préparé pour le duc et la duchesse, ils auront chacun une chambre d'audience ; il y a deux chambres où Leurs Altesses peuvent coucher, la première, qui se trouve dans l'appartement vers la rue, a d'hauteur depuis le plancher dessous à celui de dessus, dix pieds, il n'y a point de lambris ni de panneaux, il n'y a qu'un soubassement en peinture de la hauteur de 2 pieds et 5 pouces.
L'autre chambre qui se trouve dans l'appartement vers le jardin, a de hauteur, d'un plancher à l'autre, 9 pieds 8 pouces ; il n'y a ni panneaux, ni lambris, ni soubassement. Dans le dessus de la dite maison logeront les deux dames d'honneur de la duchesse avec leurs filles de chambre et les deux premiers écuyers avec leurs domestiques ; au moyen de cela la maison sera toute occupée. Dans la maison de Mme Dupas qui est vis-à-vis de celle de M. de Blonay, il y a deux grandes chambres et un petit cabinet en bas où logeront les deux femmes de chambre de la duchesse avec leurs filles de chambre.
Dans le dessus il y a cinq chambres où logeront les deux seconds écuyers, le maréchal de logis et les deux pages. Dans la maison de M. Folliet qui est voisine de celle de Mlle de Blonay, il y a quatre chambres où logeront le contrôleur, le médecin, le chirurgien et l'apothicaire. L'on trouvera aussi des logements pour les autres. »

14 juillet 1783. — « Leurs Altesses Royales viennent journellement à la frontière d'Amphion par bateau sur les sept heures environ du matin. Elles se font particulièrement admirer par leur affabilité avec tout le monde. Elles sont habillées très simplement et suivant la coutume de tous les buveurs d'eau.
Son Altesse Royale le duc de Chablais vient aux eaux en frac tout uni, un chapeau rond blanc, un petit gilet et une petite badine à la main sans aucun insigne des ordres du Roi. On attend à Évian pour le 19 du courant, M. le comte de Viry, pour le 21, l'évêque d'Annecy.
Leurs Altesses Royales doivent être complimentées aujourd'hui par des députés de la République de Genève. »


L'allusion à l'arrivée du comte de Viry ci-dessus, semble correspondre à l'aïeul du Comte de Drée qui possédait le Château contigu à celui du Baron de Blonay, dont nous avons parlé dans les commentaires sur le Kiosque d'Évian ; revendu en 1898, il est devenu le restaurant du casino. Le Comte de Drée était savoyard par sa mère, née Comtesse de Viry. (voir ici PETIT PLUS sur le Comte Gilbert de Drée)
Lors du second séjour aux bains d'Amphion, le Duc de Chablais se soucie de trouver des porteurs honnêtes.

18 juin 1784 — « Son Altesse Royale Monseigneur le duc de Chablais souhaite que l'on cherche pour son séjour à Évian quatre porteurs et deux chaises pour servir les dames et que l'on convienne avec eux à tant par jour, parce que l'année dernière, ce prince a été choqué de l'excessive prétention du payement de la part de ceux qui l'ont servi. »

A l'occasion du troisième séjour, on réagence et on meuble, à la va comme j'te pousse, le château du baron de Blonay qui laisse à désirer...
20 juin 1785 — Arrivée probable du duc de Chablais à Évian vers le 9 juillet.
« Je suis allé ce matin à Évian pour examiner les ameublements qui manquent à la maison de Blonay, et j'ai l'honneur de vous informer, Monsieur, que lors du séjour de Monseigneur le Duc de Chablais, il y avait deux chambres à côté de l'appartement de Mme la Duchesse, où l'on faisait le café dans l'une et les confitures dans l'autre ; et le prince du Piémont n'avait pas pris l'appartement du duc de Chablais, il a occupé ces deux chambres avec deux petits cabinets que l'on avait faits en planches pour la toilette ; il n'y manque actuellement que les tapisseries et c'est la Cour du prince de Piémont qui les a fournies mais on les a transportées à Chambéry après son départ. Au cas que le duc de Chablais trouve plus commode ledit appartement que celui qu'il a occupé les deux années dernières, je pense qu'on pourrait faire venir les mêmes tapisseries de Chambéry. Dans l'appartement du duc de Chablais, il manque un rideau dans la chambre où il couchait ; et au cas qu'il se le retienne l'on pourra se servir de l'un des trois rideaux qui sont dans l'appartement de Monseigneur le Prince de Piémont ; il manque les rideaux, les lits et les chaises dans les deux chambres des deux dames d'honneur, Madame ayant fait transporter, il y a longtemps, le tout à Genève, où elle réside actuellement, il manque aussi les rideaux dans les deux chambres des deux femmes de chambre de Madame la Duchesse ; il n'est pas possible de trouver ces ameublements à Évian, personne n'aime se déranger dans une occasion où tout le monde loue ses chambres meublées. J'ai fait écrire aujourd'hui à Lausanne pour savoir si l'on trouverait à louer des rideaux, des chaises et des lits ; peut-être aussi que les dames d'honneur se feront une délicatesse de coucher dans des lits que l'on louera, ne sachant de quelle maison ils sont sortis ».

Évian-les-Bains - Château de Blonay, devenu le Casino — Bateau à vapeur, au fond château de Blonay, toiture du kiosque et clocher de l'église
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Pour la défense du manque évident d'entretien du château d'Évian, il faut souligner que le baron Philippe-François-Michel de Blonay n'avait que l'embarras du choix pour résider dans une de ses nombreuses propriétés chablaisiennes ou encore au château de Meximieux dans l'Ain, qu'il avait ajouté à son patrimoine en épousant Joséphine-Laurette Toquet le 3 août 1789. Philippe-François de Blonay, fils de François de Blonay (1712-1780) et de Nicole de Virieu, était Comte de Rossillon, écuyer du prince de Piémont et gentilhomme de la Chambre du roi. Sa fortune était estimée à huit millions de francs-or. Le 8 mars 1788, s'ouvre un procès entre Philippe-François de Blonay, comte de Rossillon, le procureur général du roi, et Louis de Montfalcon, doyen de la Royale Sainte Chapelle de Savoie, concernant les revenus du château d'Évian.
En 1793, il est le premier Maire nommé à Évian. Pas pour très longtemps puisque le 30 frimaire an II — 20 décembre 1793 —, il est arrêté et ses biens sont séquestrés. En 1794, il part avec sa famille se réfugier à Lausanne. Une partie des biens de Philippe-François de Blonay nationalisés sont vendus, notamment à Joseph Davet, d'Évian ; de 1808 à 1820, les de Blonay de retour à Évian, feront valoir leurs droits jusque devant le Sénat. Le fils de Philippe-François, le baron Louis Cécile Ennemond de Blonay (1795-1842), finira les procès engagés par son père. (1)
Il va sans dire que la famille de Blonay ne pourra plus jamais vivre sur le même pied qu'auparavant, d'autant que les rentes d'asservissement lui ont toutes été supprimées.


II - Le dernier baron de la dynastie de Blonay, Louis Joseph Ennemond

Le fils de Louis Cécile Ennemond, Louis Joseph Ennemond de Blonay (1838-1878), essaiera en vain de sauvegarder le patrimoine familial.

Avant de devenir, en 1869, maire d'Évian, comme on l'a vu sur le sujet principal du kiosque à musique, Ennemond de Blonay s'est essayé dans le cabotage sur le lac Léman.
Afin de se procurer les fonds nécessaires à cette entreprise il s'endette et commence à vendre les bijoux de famille : en 1865, il cède la seigneurie de Meximieux, à Claude Godard, château qui provenait de son aïeule Joséphine-Laurette Toquet.
Les fonds sont aussitôt investis dans la
Société anonyme du Chablais de Bateaux à vapeur sur le lac Léman, créée en 1855, dont de Blonay prend la présidence du Conseil.

Un nouveau bateau à vapeur est construit. Le 23 novembre 1865,
le Chablais fait une première course d'essai où il est constaté qu'il pointe à une vitesse de cinq lieues à l'heure grâce à une machine de 85 chevaux. Le 21 mars 1866, il entre pour la première fois dans le port de Genève, barré par Joseph Mégemond (2). Le journal la Gazette de Lausanne annonce que le vapeur commencera ses courses régulières à compter du mardi 3 avril et indique clairement qu'il est spécialement destiné au service de navigation sur la rive savoisienne du lac. Il faut préciser que de longue date, les bateliers tant suisses que français sont en guerre ouverte, voulant chacun garder le monopole. En novembre 1783, des démarches sont faites auprès des autorités par les bateliers d'Évian qui protestent contre l'autorisation donnée aux bateliers suisses de faire le transport sur les côtes du Chablais, la réciprocité sur la rive suisse n'étant pas accordée.
Aussi,
le Chablais n'est-il pas sorti d'affaire !

Dès le mois d'avril 1866, les journaux helvétiques coulent le bateau à vapeur par leurs articles de dénigrement :
la Nation suisse affirme que ni le 3 avril, ni les jours suivants le bateau n'a paru sur le lac, séquestré par les autorités françaises en raison de son manque de garanties pour la sécurité des voyageurs. La Nation ajoute perfidement que le Chablais arrivé le 24 mars près du port de Thonon, dans une manœuvre, s'est couché sur le flanc et a mis dans le plus grand danger les personnes qui se trouvaient à bord ; des dames de la société de Thonon ont eu la plus grande frayeur.
Le capitaine, Joseph Mégemond, à la lecture de cet entrefilet, ne fait qu'un bond et prenant sa plus belle plume adresse une lettre rectificative au journal :
« Comme capitaine du bateau à vapeur du Chablais, je viens démentir de la manière la plus formelle la note qui a été insérée dans le numéro de la Nation du 13 courant.
Le Chablais est parti le 24 mars, à 6 h. 25 m., et non à 4 heures, par une tempête épouvantable ; le bateau, sans faire courir aucun danger pour personne, a eu quelques oscillations, comme la chose est facile à comprendre.
Au reste, les autres bateaux ne sont pas sortis ; le Simplon, entre autres, n'a pas osé dépasser le port d'Évian et n'a pas même abordé le port de Thonon le 25 au matin.
Notre bateau, par mesure générale, a été soumis, comme les autres bateaux, à une inspection de la part du gouvernement français, ce qui n'est pas un séquestre ; cette inspection a été faite, et le Chablais est autorisé à naviguer. »

Le 18 mai 1866, le journal Le Léman passe un article dithyrambique sur la croisière que le Chablais vient de réaliser sur le lac, croisière que nous résumons ci-après :
A neuf heures, le Chablais, magnifiquement pavoisé, quitte majestueusement le port de Thonon, aux vivats de la foule et au bruit de l'artillerie ; tandis que, banderoles au vent, il tourne la digue du port pour se diriger sur Évian, la musique de Thonon exécute un de ses morceaux les plus entraînants. Arrivé au port d'Évian, la musique de la ville qui l'attendait, embarque à bord. Reprenant son périple, le vapeur salue chaque ville sur son passage par des salves d'artillerie. Escale à Villeneuve puis direction Montreux où, à midi, un joyeux dîner a réuni sur le pont les deux musiques et plusieurs personnes de la société. Nouveau départ, cette fois-ci vers Vevey, aux accords de la musique et aux vivats chaleureux des habitants de Montreux. Arrivés à Vevey, les musiques débarquent et parcourent la ville en exécutant le chant patriotique des Allobroges.
Le Chablais reprend une nouvelle fois sa route et cette fois-ci, un bal des plus animés s'organise à bord ; arrivés devant Ouchy, tout l'arrière du bateau est converti en salle de danse, et musiciens, danseurs et danseuses sont à la fête. Le bateau met ensuite le cap sur Thonon, où il arrive à sept heures et demie.

Le 19 mars 1867, le Journal de Lausanne informe que le conseil d'administration de la société du Chablais présidée par Ennemond de Blonay espère toujours que le Chablais reprendra sa course le 15 avril, si les difficultés sont aplanies d'ici là. Joseph Mégemond est maintenu capitaine, Auguste Gottet est nommé comptable, et M. Dupont mécanicien. Le vapeur reprend tout de même ses promenades jusqu'au 4 octobre 1868, date à laquelle
le Courrier du Chablais annonce que l'administration s'est vue contrainte de mettre en demeure les actionnaires de statuer sur le sort de la société. La société est finalement mise en liquidation le 25 octobre 1868 et le Chablais sera vendu en adjudication.

Joseph Mégemond reste toujours maître à bord mais la cabale continue : le 13 juin 1870, un lecteur du journal
La Gazette de Lausanne demande qu'on publie sa lettre signalant qu'habitant à Vevey, il aurait acheté un billet aller et retour sur le Chablais et qu'étant descendu à Ouchy, il a vu le vapeur passer sans s'arrêter au port...
Mégemond, dont la plume est toujours prête, réplique le 16 juin :

« Le port d'Ouchy pour Lausanne étant le meilleur port du lac pour les voyageurs, et ayant toujours beaucoup de voyageurs à débarquer et à embarquer, ce serait donc bien extraordinaire que le Chablais puisse passer ce port sans s'y arrêter.
C'est donc une grande erreur qui a été commise, et je viens vous prier, monsieur le rédacteur, de bien vouloir la rectifier dans votre prochain numéro, afin qu'à l'avenir on n'écrive plus de pareils mensonges contre le Chablais.
Mégemond, capitaine du Chablais. »
Le 9 septembre 1872, on annonce la mise en vente des vapeurs Chablais, Mont-Blanc et Ville de Genève. Et à partir de cette date, le Chablais n'a plus navigué, ou tout au moins sous ce vocable.

Évian-les-Bains - Bateau à vapeur au débarcadère, Château de Blonay et Eglise au fond — Bateau à vapeur au port.
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Ennemond de Blonay qui a donc jeté l'éponge sur le cabotage qui l'a ruiné un peu plus, s'occupe maintenant de la mairie d'Évian, et va prochainement ouvrir le premier vrai casino de la ville.
En tant que maire depuis le 30 juin 1869, il va montrer qu'il n'était pas d'une docilité à toute épreuve :

Le 4 septembre 1877, il adresse la missive suivante au préfet de Haute-Savoie :

Monsieur le préfet,
Au moment où je me rendais aujourd'hui à la distribution des prix, pour présider, j'ai été informé par M. l'inspecteur primaire de l'arrondissement que, par dépêche télégraphique, vous lui aviez donné ordre de prendre la présidence de cette cérémonie. Je me demande quels sont les motifs qui vous ont inspiré cette mesure blessante pour le maire, et contraire à tous les usages établis.
Si, après une telle offense faite à la municipalité, je ne vous envoie pas ma démission de maire, c'est que, pour les fonctions que je remplis, je suis certain d'avoir seul la confiance du conseil municipal et de la population d'Évian, dont l'immense majorité est profondément attachée à la république.
Dans les circonstances présentes, je manquerais à mon devoir en abandonnant, sans y être contraint, le mandat qui m'a été confié.
Recevez, monsieur le préfet, l'assurance de ma considération. Signé Baron de Blonay, Maire d'Évian les Bains, conseiller général.

En réponse le préfet suspend le Baron de Blonay de ses fonctions de maire le 7 septembre 1877 et demande aussitôt à M. Andrier, adjoint au maire d'Évian, de prendre la place du Baron. Et Andrier, sans se démonter, répond aussitôt au préfet :
Monsieur le sous-préfet,
M. le baron de Blonay me communique votre lettre de ce jour, m'annonçant qu'il est suspendu de ses fonctions de maire d'Évian-les-Bains, et me priant de prendre le service de la mairie.
Je regrette, monsieur le sous-préfet, de ne pouvoir, dans ces conditions, prendre la direction de la mairie et j'ai l'honneur de vous donner ma démission d'adjoint au maire d'Évian-les-Bains.
Recevez, monsieur le sous-préfet, l'assurance de ma considération la plus distinguée. Signé, Andrier.


Ennemond de Blonay est réélu maire par décret du 5 janvier 1878. En mai 1878, il démissionne à nouveau avec la majorité de son conseil, à propos de dépenses à inscrire au budget, notamment pour le traitement du secrétaire de mairie. Le baron de Blonay décède brutalement le 16 août 1878, vraisemblablement d'un arrêt cardiaque. Il sera inhumé le 25 août 1878 dans son caveau familial de Maxilly, à Saint-Paul.

(1) Un long procès a opposé la famille de Blonay à la famille Sain à propos de la dot de Nicole de Virieu, épouse de François de Blonay (1712-1780).
La dot de 50.000 livres tournois de Nicole de Virieu était placée sur un immeuble situé quai Saint-Clair à Lyon, maison possédée en indivision avec le sieur Paul Sain. Ce placement rapportait bon an mal an 17.500 livres tournois, dont 2.000 livres pour de Blonay.
En 1791, les cohéritiers de Paul Sain vendent la propriété à la veuve Burdet au prix de 300.000 livres, mais au moyen d'assignats, en outre payable de trois mois en trois mois à raison de 60.000 livres.
En l'absence de la famille de Blonay, émigrée à Lausanne, la famille Sain, en 1792, verse les 50.000 livres à la Caisse Nationale des Domaines. Lors du retour des de Blonay, il s'ensuivra un procès de longue haleine entre la famille de Blonay et la famille Sain, à propos de cette créance.

(2) Joseph Mégemond (1821-1886)
Né à Rives-Thonon, il devient capitaine du vapeur le Rhône, mis en circulation en 1856. (ce bateau sombrera en 1883 à la suite du collision avec le Cygne que conduisait ce jour-là Mégemond)
Il est l'auteur d'un nombre impressionnant de sauvetage de personnes en péril sur le lac. Le 13 août 18687, il réalise son 35e sauvetage ! Il est récompensé à de multiples reprises : en 1857, Genève lui alloue le titre de Bourgeois d'Honneur. En 1880, il fonde, à Genève, un groupement sous le nom de Société de Sauveteurs du lac Léman, du Rhone et de l'Arve.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Chanter la Marseillaise, oui, la siffler, non !
En complément du Kiosque à musique du Casino d'Évian-les-Bains.

Le Comte Adolphe Louis Marie Gilbert de Drée (1856-1917) doit d'être châtelain à Évian-les-Bains à sa mère Augusta de Viry (1828-1887) née dans une ancienne famille savoyarde. Son père Stanislas de Drée (1821-1879), d'origine provençale est, quant à lui, lieutenant de vaisseau, puis vice-consul de France à Neufchâtel, à Monaco et à Liège. Gilbert de Drée, Camérier secret de cape et d'épée du Pape, se mariera, en 1886, avec Elise de Duranti (1866-1947).
Le château du Comte Gilbert de Drée, au bord du lac Léman, est contigu au château du baron de Blonay transformé depuis 1877 en casino.
Juste sous les fenêtres du Comte, qui vit célibataire avec sa mère la vicomtesse Augusta de Drée, on vient d'édifier, en 1883, le Kiosque à musique du Casino. Arrive ce 13 juillet 1883 où, comme lors de chaque célébration de la fête nationale depuis 1880, une retraite aux flambeaux est organisée et des musiciens parcourent la ville en jouant, comme il se doit, la Marseillaise. Ces musiciens, sachant probablement que le Comte de Drée abhorre cet hymne qui lui rappelle une révolution encore présente dans la mémoire des aristocrates particulièrement touchés par celle-ci, jouent avec insistance et à répétition devant le château. Gilbert de Drée, excédé, ouvre sa fenêtre et se met à siffler...
Mais laissons la place aux témoins de l'époque. La France journalistique s'empare avidement de cet incident qui est relayé dans tout l'hexagone.
Le
Courrier des Alpes du 21 juillet 1883 reprend un article publié par le Salut public :
— C'est le 13 juillet au soir. A l'occasion de la fête nationale, la municipalité d'Évian-les-Bains et la population avaient organisé une retraite aux flambeaux à laquelle participait la fanfare de la ville. Sur tout le parcours de la retraite, les acclamations et les vivats se faisaient entendre longuement répétés, quand soudain un coup de sifflet partit d'une fenêtre, couvert aussitôt par un cri unanime de : Vive la République !
La foule se précipita immédiatement vers la maison d'où venait le bruit. Elle aperçut alors, accoudé à la fenêtre, M. le comte de Drée qui s'époumonait à souffler dans un énorme sifflet.
Déjà les assistants, exaspérés, se disposaient à faire un mauvais parti à ce singulier trouble-fête ; les pierres même commençaient à pleuvoir autour de sa tête, quand, prévenues en toute bâte, la police et la gendarmerie accoururent.
Un serrurier fut requis ; le commissaire ceignit son écharpe et, accompagné de la gendarmerie, ils pénétrèrent dans la maison. La porte d'entrée fut gardée pour empêcher la foule de faire invasion.
Le comte, debout près d'une table, avait près de lui deux revolvers à six coups chargés, que, par mesure de prudence, le commissaire saisit aussitôt. A peine s'en était-il emparé que M. de Drée se précipitait sur lui ; une lutte était déjà engagée qui pouvait amener les conséquences les plus graves, quand les gendarmes parvinrent à les séparer et à maintenir l'agresseur en état d'arrestation.

Le Courrier des Alpes du 24 juillet 1883 donne quelques précisions supplémentaires et apporte quelques modifications à la première version :
Le 13 juillet, après 9 heures du soir, la fanfare municipale exécutait une retraite aux flambeaux et, s'arrêtant devant l'Hôtel-de-Ville, joua la Marseillaise. M. de Drée siffla de sa fenêtre. De la place de l'Hôtel-de-Ville, la fanfare se dirigea vers le port d'Évian et vint, par une rue inférieure, se poster devant l'habitation de M. de Drée, où elle se remit à jouer la Marseillaise pour le provoquer.
M. de Drée, prêt à se coucher, reparut à la fenêtre, siffla de nouveau et refusa de cesser, aussi longtemps que la fanfare jouerait le même air. Des graviers furent lancés contre la fenêtre et la scène se prolongeait, les musiciens s'obstinant à jouer un air que M. de Drée continuait à siffler. (...)
Parvenus à l'appartement du premier étage, les gendarmes se présentent devant M. de Drée et l'arrêtent. M. de Drée demande l'exhibition du mandat d'arrêt. Il n'en existait pas.
Madame la comtesse de Drée arrive ; un débat s'engage entre elle et le maréchal des logis ; celui-ci lui déclare qu'il l'arrête également. Il la tirait à l'écart, au moment où M. de Drée reparut. « Ah ! vous arrêtez ma mère, s'écrie-t-il en levant le bras. »
Les gendarmes le saisissent par le bras et l'emmènent à la prison de la caserne.
Pendant tout le temps nécessité par cette scène de crochetage, de violation de domicile et, d'arrestation, la fanfare municipale stationnait devant la porte, jouant la Marseillaise, puis, fière de son triomphe, elle accompagna M. de Drée jusqu'à la prison.

Le Figaro du 21 juillet relatant l'affaire précise que la fanfare avait des intentions évidentes de narguer le Comte. On ajoute également que la mère de celui-ci a été brutalisée par les gendarmes et que, lorsque le comte de Drée est emmené en prison, encadré par quatre gendarmes, la foule poussait des cris de « A l'eau le comte ! A mort l'henriquinquiste ! » Et le Figaro conclut, qu'au vu du premier jugement, que tout français est tenu de subir, sans murmurer, trois heures de Marseillaise et même davantage, si tel est le bon plaisir des chanteurs.

Le Gaulois du 17 juillet, donne le témoignage d'un correspondant : notre petite localité, si paisible d'ordinaire, a été mise sens dessus dessous par un groupe de manifestants qui se sont promenés à travers les rues, en hurlant la Marseillaise, et provoquant, de façon grossière, sur leur chemin, les personnes connues pour leurs opinions conservatrices.
Le comte de Drée, qui prenait l'air à sa fenêtre, attaqué personnellement par ces énergumènes, leur a répondu vertement. On a failli le lapider, et toutes ses vitres ont été brisées à coups de pierre.
Une heure après, un commissaire de police, sans aucune espèce de mandat, mais assisté de quelques gendarmes et d'un serrurier, a fait crocheter la porte de la maison du comte, et, malgré ses protestations contre cette odieuse violation de domicile, l'a brutalement arrêté.


Évian les Bains - Château du Comte de Drée, Quai Blonay — Château transformé en restaurant
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Le lendemain, 14 juillet, Gilbert de Drée est traîné au tribunal de Thonon qui le condamne à trois jours d'emprisonnement et cinquante francs d'amende pour outrage au commandant de gendarmerie et à cinq jours d'emprisonnement et onze francs d'amende pour tapage injurieux.
Bien entendu appel est interjeté devant la Cour de Chambéry pour le 17 août 1883,
Ce jour-là, la Cour de Chambéry fait salle comble. Le comte de Drée, présent, est défendu par Mes Bordeaux et Descostes.
Lors de cette audience, les faits relatés dans les journaux sont confirmés. Le comte de Drée précise que
ses ancêtres ayant été guillotinés au chant de la Marseillaise, il ne souffrirait pas qu'on la jouât devant lui sans protester. J'étais agacé par cette musique-là. J'ai sifflé et je ne comptais siffler que quelques coups, lorsque j'ai entendu crier dans la rue : « C'est un lâche qui se cache ! » J'ai alors ouvert mes fenêtres toutes grandes et sifflé ostensiblement. Je crois que tout le monde à ma place en eût fait autant.
(M. le marquis de Loras, arrière grand père du comte de Drée est guillotiné à Lyon, sur la place Bellecour, pendant la Terreur).
La cour de Chambéry condamne le comte de Drée à 50 fr. d'amende pour outrages aux agents et une deuxième amende de 15 fr. pour tapage nocturne, et supprime la prison infligée par les juges de Thonon.

Gilbert de Drée, en 1899, cède son château à la Société des Eaux minérales d'Évian-les-Bains qui va le transformer en restaurant.
Le comte de Drée habitera tantôt à Paris, 184 boulevard Haussmann, tantôt dans sa villa Sillingy à Carouge, canton de Genève.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Insurgés exécutés sur la place de la Révolution de Fontenay-le-Peuple en 1793-1794.
En complément du Kiosque à musique de la Place Viète de Fontenay-le-Comte.

Puisqu'aucun monument aux morts de Vendée n'a jamais été dressé en mémoire des insurgés guillotinés à Fontenay-le-Comte sur la Place de la Révolution, ancienne Place Royale et Place d'Armes, future Place François Viète, réparons cet oubli ! Fontenay-le-Comte est rebaptisée Fontenay-le-Peuple à cette occasion, et un Arbre de la Liberté est planté le 20 ventôse an II (10 mars 1794) sur ladite place, pour se donner bonne conscience, au milieu des mares de sang.
Avant que la guillotine ne prenne ses quartiers sur la place d'Armes, les exécutions capitales de Fontenay-le-Comte avaient lieu par pendaison soit devant la prison, soit sur la "prairie" qui servait également de champ-de-foire.
Ainsi le 11 août 1789 François Coirier, carrier de son état, est arrêté pour avoir mené les insurgés et obtenu de l'argent par menaces. Son procès est instruit dans la journée ; à onze heures et demie du soir, il est condamné à la pendaison. Le 12 août, à trois heures du matin, il est exécuté devant l'église Notre-Dame. Son corps reste exposé pendant vingt quatre heures.
Le 14 août, c'est au tour de François Brodereau, postillon aux lettres de Niort, émeutier pris en flagrant délit le 10 août, d'être pendu dans la "prairie", à cinq heures du soir.

Auguste-Hyacinthe De Bay (1804-1865) - La Guillotine à Nantes en 1793. Toile de 1838, 2,27m x 1,74m. Nantes, Musée des Beaux-Arts.
Tableau aujourd'hui au Château des Ducs de Bretagne à Nantes, intitulé "Exécution des soeurs La Métairie à Nantes en 1793".
voir ici, ce tableau, aujourd'hui.
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Voici la liste, non exhaustive, des victimes de la Terreur, guillotinées à Fontenay-le-Comte, sur la place d'Armes, devenue pour la circonstance place de la Révolution :
23 ventôse an I (13 mars 1793) — A 4 heures du soir, un premier insurgé, condamné à mort par le tribunal criminel, est guillotiné sur la place d'Armes.
6 Germinal, An I (26 mars 1793) A 11 heures, lettre du commissaire civil du district qui annonce la condamnation à mort de quatre particuliers convaincus de révolte et prie de donner des ordres pour faire dresser sans retard sur la place de la Révolution, la guillotine. Leur exécution eut lieu à 2 heures du soir.
— Carré, Jean, laboureur, de Saint-Florence ;
— Carré, François, marchand de chevaux, de Saint-André Goule-d'Oie ;
— Chevallereau, Jacques, marchand de guenilles, de Thouarsais ;
— Mandin, Nicolas, horloger, de Sainte-Cécile.

10 Germinal, An I (30 mars 1793) — A 4 heures, exécution de deux « contre-révolutionnaires » :
— Porcher, Jacques, domestique du comte du Chaffault ;
— Tablier, René, charron, des Moutiers-sur-le-Lay.

13 Germinal, An I (2 avril 1793) — Exécution de :
— Rabillé, Jacques, journalier à Saint-Vincent-sur-Graon ;
— Poiraud, Jean, de Saint-Vincent-sur-Graon ;
— Guillet, Jacques, journalier de Saint-Cyr en Talmondais :
— Chanteclair, Louis, de Saint-Cyr en Talmondais.

14 Germinal, An I (3 avril 1793) — A 4 heures, lettre du département réclamant une charrette attelée de 4 chevaux pour conduire aux Sables la machine à décapiter.
20 Germinal, An I (9 avril 1793) — A 5 heures du matin, le Département fait réclamer la guillotine aux Sables pour exécuter les jugements du tribunal criminel. Les Sables faisaient concurrence à Fontenay dans l'horreur.
21 Germinal, An I (10 avril 1793) — Exécution sur la place de la Révolution de :
— Grizon, Jacques, tisserand, à la Tardière ;
— Brelouin, Pierre, journalier, à la Châtaigneraie.
23 Germinal, An I (12 avril 1793) — Exécution, à 4 heures, de :
— Gasteau, Pierre, journalier, de Saint-Vincent-sur-Graon.

24 Germinal, An I (13 avril 1793) — A 4 heures, exécution d'un insurgé condamné à mort par le tribunal criminel :
— Renaudeau, Jean, sergetier, à Saint-Maurice-le-Girard.

29 Germinal, An I (18 avril 1793) — A 11 heures du matin, avis de la condamnation à mort d'un insurgé :
— Granger, Pierre, laboureur à la Caillère.

1er Floréal, An I (20 avril 1793) — A 4 heures de relevée, exécution de deux soldats de l'armée catholique :
— Prézeau, Pierre, sabotier à Saint-Germain-l'Aiguiller ;
— Aubineau, Pierre, bordier à Pouzauges.

4 Floréal, An I (23 avril 1793) — A midi, le commissaire national écrit pour donner l'ordre de faire préparer l'échafaud et la machine à décapiter en vue de l'exécution d'un homme condamné à mort ce matin :
— Manchereau, François-Benjamin, menuisier au Puybéliard.

Le comité de surveillance de Fontenay renvoie la guillotine à Niort, après l'exécution ci-dessus.

Fontenay-le-Comte - Place Viète
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L'hécatombe du mois de Janvier 1794 (An II) :
12 Nivôse, An II (1er janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Héraud, Henri, de Vouvant ;
— Cornuau, François, de Menomblet ;
— La Roche, Henri, de Menomblet ;
— Jeaulin, Jean, de Menomblet.

22 Nivôse, An II (11 janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Mathurin David, Mathurin, porte-drapeau, de Bouildroux ;
— Blanchard, Pierre, « chef des rebelles », des Herbiers ;
— Morand, Pierre, chirurgien à Ardelay, membre du comité royaliste ;
— Mouchard, Michel, farinier ;
— Launay, Marie, tailleur à Châteaumur, canonnier ;
— Siraudeau, Pierre, charpentier, à Châteaumur, « instigateur de troubles » ;
— Bouilleau, Louis, de Saint-Maurice-des-Noues.

25 Nivôse, An II (14 janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Tranchet, Jacques, tisserand de Saint-Michel-Mont-Mercure ;
— Morisset, Mathurin, farinier, de la Tardière ;
— Moriceau, Marie, femme Chevolleau, de la Tardière ;
— Rigourdeau, René, domestique, de la Tardière ;
— Lionnet, Pierre, journalier, de la Tardière ;
— Avril, Pierre, bordier, de la Tardière.

26 Nivôse, An II (15 janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Majou, Jean, journalier ;
— Amélineau, Jean ;
— Gabard, François, rentier ;
— Bichon, François, foulon, de Saint-Ouen.

27 Nivôse, An II (16 janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Baraton, Marie, de la Tardière ;
— Roy, Jacques, de Foussais ;
— Talon, Jacques, bordier de Foussais ;
— Boureau, Jean, domestique, de Foussais ;
— Liaigre, Jean, de Foussais ;
— Caillet, Jean, maire de Foussais ;
— Vexian, Charles, de Foussais ;
— Péquin, Pierre ;
— Drouet, Jacques, jardinier, de Tillay.

28 Nivôse, An II (17 janvier 1794) — Exécution des insurgés :
— Guillet, Pierre, de Saint-Philbert du Pont-Charrault ;
— Audouard, Fabien, de Saint-Paul-en-Gastine.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

La Buvette des Promenades a fait les beaux jours du Jeu de Balle au Tamis face au Kiosque à musique fourmisien.
En complément du Kiosque à musique de la Place Carnot de Fourmies.

La Buvette des Promenades Publiques a fait les beaux jours de la place Verte pendant près de 40 ans, tout en faisant bon ménage avec le Kiosque à musique, son voisin immédiat.
Tous les ans, le Conseil Municipal met en adjudication la Buvette du Jeu de Balle. En juin 1880, les promenades étant en plein chantier de remblaiement, M. Prince en est le premier adjudicataire.
Le fameux Jeu de Balle au Tamis, qui se pratiquait auparavant sur des places aménagées près de divers tenanciers — en 1876, chez M. Rousseau, Café de la Paix rue des Rousseaux ; chez M. Lombry, rue des Pierres en 1877 ; enfin en 1878, chez M. Lermigeaux-Jouniaux, cabaretier, près-du cimetière — va être définitivement transféré devant la Buvette des Promenades à partir de 1880.
Les jeux et concours s'étalent de mai à septembre, et le grand concours et le rebarre ont lieu lors de la Ducasse annuelle de juillet. Des prix sont offerts aux gagnants par la commune, mais aussi par l'exploitant de la buvette. Ainsi M. Prince offre-t-il dès sa première année :
1e prix : Cinq couverts en argent. — 2e prix : Trente cuillers à café en argent. — 3e prix : Dix couverts en ruolz.
Le 16 avril 1881, M. Talma remporte l'adjudication et offre à un concours du mois de mai 2 jolis canards, et double la mise sur le Jeu de Boulette.
Le 19 juin 1881, Talma se fait cambrioler par une bande de voleurs dont on a arrêté cinq membres hier et aujourd'hui. Il déclare s'être fait voler deux canards et un litre d'eau de javelle ! Le 22 juin, nouvelle tentative de vauriens, mais ceux-ci sont entendus par les personnes qui couchent dans la buvette et s'enfuient sans rien emporter.
Le 24 mars 1882, E. Stock reprend la Buvette de la Nouvelle Place et offre dès le 9 avril, jour du lundi de Pâques, un Jambon au Jeu de Boules.
Stock développe sa buvette en auberge-restaurant : tous les lundis il propose ses Tripes à la mode de Caen ; et d'ordinaire, on y trouve à toute heure
Jambon, Viande froide, Tarte, Oeufs cuits, Ecrevisses et Consommations de premier choix.
Lors des rebarres de juillet, Stock se fend de 2 Oies et de 2 Canards aux gagnants.
M. Soufflet-Ancelot qui reprend la petite affaire le 23 mars 1884, y va d'un jambon aux gagnants ; lui succède M. Rottiers le 12 avril 1885. Ce dernier paie 230 francs de redevance à la commune pour toute la saison.

Jeu de balle au tamis à Renancourt et à Saint-Maulvis
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Le 9 mars 1890, Régis Dupré-Daune est le nouvel adjudicataire de la Buvette des Promenades. Les prix offerts deviennent plus nombreux. Au Jeu de Boules, 1e prix : Trois belles Pendules ; 2e prix : Trois Théières ; 3e prix : Trois Services à découper. Au Jeu de Balle au Tamis : 1er prix : Cinq Cafetières riches ; 2e prix : Cinq jambons.
En septembre on remet ça : 1e prix, trois beaux Revolvers ; 2e prix, beaux Services à bière.
Lors de la séance du Conseil municipal du 19 décembre 1890, le maire, Auguste Bernier
fait remarquer que la buvette du Jeu de Balle menace ruines et qu'il est nécessaire d'en construire une nouvelle pour l'an prochain. Il propose la construction d'un chalet qui comprendrait, outre une buvette, le logement du locataire. De cette façon, la buvette se louerait 1500 à 1600 francs au lieu de 7 ou 800, prix moyen des dernières années.
Cette construction ne coûterait pas plus d'une douzaine de mille francs ; ce serait donc de l'argent bien placé.

Comme de coutume à Fourmies, les projets prennent du temps pour mûrir...
Régis Dupré-Daune propose au conseil municipal, le 3 mars 1891, de construire un chalet-buvette démontable en remplacement de la buvette actuelle, à condition qu'on lui accorde la gérance de celle-ci pour trois ans. Le conseil adopte le principe d'une adjudication triennale, sans obligation d'édification d'une nouvelle buvette.
Ces nouvelles conditions bénéficient non pas à Dupré-Daune, mais à Ernest Douniaux-Meurant, qui, pour 1300 francs annuels, signe le 9 mars 1891 le bail triennal de la Buvette de la Balle au Tamis. Celui-ci développe ses activités : le 19 octobre 1891, il organise un tir à la carabine avec comme prix, une paire de fleurets.
Dans la nuit du 2 avril 1893, la porte de la cave à vin de la buvette est fracturée :
on a soustrait un litre de genièvre, un d'eau-de-vie, un de cognac, un d'absinthe et deux de liqueur douce. Un litre de menthe, que les voleurs avaient en vain essayé de déboucher, a été retrouvé dans la buvette ; le tire-bouchon s'était brisé dans le liège. Les soupçons se portent sur deux habitués des Promenades publiques.
Deux conseillers municipaux, les sieurs Gras et Gentile proposent le 30 juin 1893 d'éradiquer la Buvette sous prétexte que les joueurs de boules venant nombreux sur les promenades, cela
cause un grave préjudice aux cabaretiers de la ville. A l'unanimité... moins deux voix, cette proposition est rejetée.
Ernest Douniaux-Meurant signe à nouveau un bail de trois ans en 1894, au prix annuel de 1200 francs.
Entre 1894 et 1898, la Buvette est construite en matériaux durables, telle qu'on la voit sur les clichés qui nous sont parvenus, remplaçant le chalet qui tombait en ruines.

Fourmies - Promenades publiques de la place Carnot, passerelle sur le bras de l'Helpe Mineure, Buvette du Jeu de Balle au tamis — Buvette des Promenades
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En 1900, les prix alloués aux gagnants, par l'adjudicataire de la buvette, Hippolyte Hosselet, sont fixés :
Jeu de Boules : 1e prix, trois petits cochons ; 2e prix, trois lapins ; 3e prix, trois litres liqueurs ; 4e prix, trois surprises. — Jeu de quilles : 1e prix, un petit cochon ; 2e prix, une oie ; 3e prix, un lapin ; 4e prix, une surprise. — Jeu de Balles : 1e prix, cinq réveils ; 2e prix, cinq surprises.
L'existence de la buvette est une nouvelle fois remise en question lors de la séance du Conseil municipal du 15 juin 1901. Les sieurs Bressy et Edouard Lermigeaux ne sont pas d'avis qu'on continue à louer cette maison pour en faire un cabaret, au préjudice des cabaretiers de la Ville. Delval et Cousin épaulés par la Commission des fêtes soutiennent le contraire : finalement, la buvette est à nouveau louée pour 800 francs annuels, mais en supprimant le privilège qui avait été jusqu'ici accordé à l'adjudicataire et d'après lequel lui seul avait le droit de porter de la bière aux joueurs de balle et de boules, sur les Promenades.
En 1902 et 1903, Elise et Fernand Tissot tiennent la buvette qui semble devenir un tripot ou tout au moins un casino. Ainsi, le novembre 1902 on y organise des parties de piquet, assorties de deux lapins en récompense. Les jeux commencent à être dotés de gains en argent : ainsi, le concours de Boules et de Quilles qui commence le 19 avril 1903 comprend 1.200 francs de prix en espèces.
La construction de la Salle des Fêtes, avec une buvette y attachée, inaugurée le 1er novembre 1903 à quelques mètres de la Buvette des Promenades, va lui porter ombrage. En outre le Jeu de Balle au Tamis passe de mode, laissant la place aux seuls jeux de boules, de quilles, de pots cassés et aux tirs à la carabine.
En même temps que l'Helpe Mineure qui passe devant la Buvette est recouverte, celle-ci est rasée après 1921, faisant place au nouvel aménagement du square de la Place Verte.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

GRASSE (06) - Les choix cornéliens de la municipalité grassoise : Kiosque du Clavecin ou monument Fragonard ?
En complément du Kiosque à musique du Clavecin à Grasse.

André Hallays (1859-1930), dans une des nombreuses chroniques qu'il a publiées, nous relate parfaitement la situation ubuesque dans laquelle s'est fourvoyée la municipalité grassoise en faisant construire vaille que vaille en 1907, un grandiloquent monument Fragonard, alors qu'une statue du peintre est déjà existante à Grasse depuis 1877 dans le Jardin Public, et surtout sans avoir déterminé l'emplacement du nouveau monument.
C'est finalement le Kiosque à musique du Clavecin qui fait les frais de l'imprévoyante mégalomanie des édiles municipaux : le Kiosque est rasé en avril 1908 pour faire place, sur le modeste square du Clavecin, au marbre sculpté par Auguste Maillard.
Dans la foulée, le buste du félibre Bellaud de la Bellaudière, qui, lui aussi, était placé sur ce square, est relégué dans le fin fond du rond-point du nouveau collège, avant d'être subtilisé par quelque vaurien.
... et suite à ce grand chambardement, les Concerts de Grasse, qui animaient la vie grassoise depuis des décennies, se feront de plus en plus rares, pour ne pas dire confidentiels, sur la promenade du Cours censée remplacer l'ancien lieu de prédilection favori des mélomanes.

André Hallays (1859-1930) En flanant. Provence (écrit en 1907 ; édité en 1912)
Au-dessous du Cours de Grasse, au premier tournant de la route qui descend en lacets vers le fond de la vallée, une grille clôt la cour ombragée d'un vieux logis dans le fond, sous un arceau de pierre, on entrevoit un jet d'eau et les massifs d'un jardin. Ce fut dans cette maison qu'aux premiers temps de la Révolution, Fragonard reçut l'hospitalité de son cousin Maubert, auquel il vendit pour 3.500 livres divers « ouvrages de peinture » (...)
En face de cette demeure, de l'autre côté de la route, s'ouvre un petit jardin public que les Grassois ont eu l'idée de dédier à la mémoire de Fragonard. Le buste de l'artiste se dresse sur un fut de colonne. Des rochers moussus au milieu d'un petit bassin, quelques pins et un beau cèdre composent un décor vraiment fragonardesque il y manque seulement un antique mutilé ou les débris d'un sarcophage.

Grasse - Buste Fragonard au Jardin public - Buste Bellaud de la Bellaudière au Square du Clavecin
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Assis sur un banc, je m'amusais à retrouver au fond de ma mémoire le souvenir de quelques sanguines où Fragonard a célébré la gloire et le charme des jardins de Rome, quand un Grassois vint prendre place auprès de moi. C'était un petit vieillard replet aux yeux noirs et aux gestes alertes. Je m'imaginai qu'il ressemblait à Fragonard, et cela me fit accueillir sans ennui le désir qu'il manifesta tout de suite de lier conversation :
« Ce jardin, dit-il, est fort avenant. N'est-il pas vrai ?
— Oui, Monsieur, j'aime beaucoup la pensée que l'on a eue de rendre ce discret hommage à Fragonard, tout près de la maison où il a logé et où lui-même avait déposé les plus précieux de ses ouvrages. »
Mon interlocuteur ne me cacha point qu'il était enchanté de l'éloge que je faisais du bon goût de ses compatriotes et il continua :
« Nous allons faire mieux encore. Ce buste ne suffit point pour honorer un artiste tel que Fragonard. Nous allons lui élever un monument, un vrai monument, un monument qui aura quatre mètres de hauteur. »
Je venais de voir quelques instants auparavant l'image du « vrai monument », un Fragonard en train de peindre, assis sur un rocher, et, accourant derrière lui, une jeune fille dont la figure et l'attitude semblent empruntées aux célèbres compositions du Progrès de l'Amour.

Grasse - Monument Fragonard
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A la pensée que l'on pourrait placer cette sculpture tourmentée et contournée dans l'aimable et tranquille jardin, je ne pus retenir un :
« Pas ici ! Du moins, pas ici ! »
Mon Grassois ne sembla qu'à demi étonné :
« Beaucoup de personnes pensent comme vous, qu'il ne faut point mettre le monument dans ce square. D'ailleurs, que ferait-on du buste que voici ? Mais il faut cependant trouver un emplacement.
— Peut-être eût-il été plus logique de le chercher avant que de commander le monument. »
Le Grassois répondit par un geste évasif qui signifiait : vous avez peut-être raison, mais nous avons un monument sur les bras, il faut que nous le posions quelque part. Et il reprit :
« On a parlé aussi de placer le monument de Fragonard sur le Clavecin. [Ce Clavecin est un petit terrain dont le nom indique la configuration, et où, en avant de quelques arbres, s'élèvent un kiosque à musique et le monument du poète provençal Bellaud de La Bellaudière.]

Grasse - Le Kiosque de musique sur le Square du Clavecin
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« Mais que ferez-vous alors de Bellaud de La Bellaudière et du kiosque à musique ?
— On les mettra sur le Cours : vous avez vu les grands travaux que l'on exécute là-haut. [Du geste, il m'indiquait les magnifiques terrasses grâce auxquelles le Cours de Grasse va être agrandi et embelli].
Mais il y a encore un autre projet et, celui-là, c'est le bon : on rangera sur le Cours Fragonard, Bellaud de La Bellaudière et le kiosque à musique.
— Si l'on élargit le Cours, c'est sans doute qu'on le trouvait trop étroit. Avouez que c'est une singulière idée de l'encombrer tout de suite d'un kiosque à musique et de deux monuments...
— Pour faire de la place, il suffit d'enlever la Fontaine du Cours et de la porter ailleurs, au Clavecin, ou bien au Jeu de Ballon ! Que diable ! une fontaine, cela se démonte comme une armoire. Et Grasse peut bien faire un sacrifice pour la gloire de ses enfants Du reste, nous n'avons que l'embarras du choix. »
Et, pendant cinq minutes, il m'énuméra tous les chassés-croisés de statues, de fontaines et de kiosques que peut suggérer à un Grassois le désir d'honorer Fragonard. Cet homme jonglait avec les monuments de la ville. Je finis pourtant par l'interrompre :
« Dites-moi enfin pourquoi Grasse désire tant élever un monument à Fragonard alors que ce buste et ce joli jardin suffisent à nous rappeler ici le nom de l'artiste.
— Monsieur, je ne saurais vous le dire ; mais il y aura des fêtes et l'on dit même qu'il viendra un ministre. Ces choses-là ne se refusent pas. »
A quoi n'ayant rien à répondre, je n'ai rien répondu.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

La Statue de la Liberté de la Grand'Place de La Bassée, malmenée.
En complément du Kiosque à musique de la Grand'Place de La Bassée.

A La Bassée, on aime la Liberté, mais pas à n'importe quelles conditions ! Après les années 1793 et 1794 au cours desquelles la Terreur a semé la mort tous azimuts sur la France, il faut vraiment avoir la mémoire courte ou être atteint d'amnésie pour continuer à encenser en 1795 des symboles de Liberté on ne peut plus provocateurs. Aussi, rien d'étonnant à ce que la Statue de la Liberté érigée en plein centre de la Grand'Place de La Bassée ait soulevé quelques rébellions des basséens qui ne s'en laissent pas conter.

Dotée des attributs hautement symboliques du bonnet Phrygien fixé au bout d'une pique et tenant un parchemin déroulant la
table du droit de l'homme (la déclaration des droits de l'homme), cette statue de déesse de la Liberté trône sur la Grand'Place, construite en 1795. Le sculpteur s'est peut-être inspiré de la toile de Nanine Vallain peinte en 1794.

Jeanne-Louise Vallain dite Nanine Vallain, épouse Piètre (1767-1815) - La Liberté, 1794, huile sur toile, Musée de la Révolution Française, Vizille.
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Dès le 1er germinal de l'an 3 (21 mars 1795), l'agent national Jean-Baptiste Caudelier, procureur de la commune de La Bassée, informé qu'un individu a recouvert de boue la statue et plus particulièrement la déclaration des droits de l'homme, demande qu'on en dénonce les auteurs.
La Bassée, 1er germinal, l'an 3 de la république une et indivisible. — L'agent national de la commune de La Bassée aux citoïens composant le comité révolutionnaire du district de Lille.
— Citoïens. La statue de la liberté posée sur la place de cette commune vient d'être couverte de boue, ainsi que la déclaration des droits de l'homme qu'elle tient à la main. J'ai à cet effet fait deux mots de proclamation à mes concitoïens pour les inviter à m'en dénoncer les auteurs ; mais jusqu'à présent il ne m'est pas encore parvenu aucune dénonciation positive. Pour satisfaire à l'article huit de la loi du sept fructidor, relative à l'organisation des comités révolutionnaires, j'ai cru devoir vous informer de ce fait pour ma décharge.
Je vous prie de vouloir bien m'accuser réception de la présente.
Salut et fraternité. — Jean-Baptiste Caudelier, agent national.

Le 6 germinal de l'an 3 (26 mars 1795), Caudelier relate au comité révolutionnaire de Lille, les incidents de l'avant-veille, au cours desquels ce sont cette fois-ci des pierres qu'a reçues la malheureuse Statue, au milieu d'un attroupement hostile à celle-ci. Un prévenu est incarcéré à la maison d'arrêt, mais relâché le lendemain, faute de preuves.
La Bassée, le 6 germinal, 3e année républicaine. — Les officiers municipaux de la commune de La Bassée, aux citoyens composant le comité révolutionnaire du district de Lille.
— Citoyens, Des attroupemens de jeunes gens, sans doute instigués par quelques malveillans, se sont formés en cette commune vers les neuf heures du soir du quatre de ce mois, et se sont portés à des excès deffendus par nos lois républicaines; ils ont jettés des pierres sur la statue de la liberté scise sur cette place. Un de ceux formant ces attroupemens fut arrêté et mis dans la maison d'arrêt comme prévenu de ce délit. Le lendemain, sur la réquisition de l'agent national, le tribunal de police municipale s'assembla et jugea que le prévenu serait mis en liberté, comme n'étant pas dans l'évidence de la conviction contre ce prévenu. La loi du Ier germinal sur la grande police a été publiée, la gendarmerie a été mise en réquisition pour maintenir la tranquillité publique et assurer la protection des propriétés et des personnes, ce qui a fait un bon effet. Le calme est rétabli. — Ces mouvements séditieux sont imputables à quelques malveillans qui se sont servis du prétexte de faire abbatre les bonnets rouges dans les lieux apparens, pour narguer et même insulter chez eux les membres de l'ancien comité révolutionnaire de cette commune, contre lesquels rien ne prouve qu'ils ayent dévié des lois du gouvernement et dans ce cas ce n'est point à eux qu'on doit s'en prendre. D'ailleurs, y eut-il même des coupables, l'arbitraire fut toujours deffendu. Nous ne nous opposerons jamais à leur traduction devant les tribunaux, mais jusqu'à ce qu'ils soient reconnus coupables, nous leur devons protection et nous la leur assurons autant qu'il sera en notre pouvoir. Voilà le langage qu'a tenu la municipalité à cette jeunesse provoquée, qui en a paru satisfaite.— Nous chercherons à découvrir les auteurs de ces émeutes et nous vous en donnerons connaissance, comme nous désirerions que vous nous indiquassiez les moyens de réprimer ces malveillans dont les efforts peuvent devenir très dangereux si on ne les prend dans leur source.
Les lois politiques défendent de se faire justice à soi-même et les lois humaines abhorrent ce principe.
— Salut et fraternité. — Jean-Baptiste Caudelier, agent national.

Le vingt huit floréal de l'an 3 (17 mai 1795), Pierre-Joseph Scorraille, juge de paix de La Bassée, accompagné de son greffier, Pierre-Joseph Hache, et d'une kyrielle de notables outrés, accompagne tout son monde devant la déesse de la liberté, au milieu du haut de la Grand'Place, pour dresser un exploit constatant les nouvelles injures et profanations infligées au monument, dans la nuit du vingt sept floréal. Scorraille décrit alors scrupuleusement les déprédations commises sur sa protégée : bras gauche brisé et subtilisé, main droite mutilée, pique escamotée. On accuse les royalistes de ce méfait...
Ce octidi, vingt huit floréal, an troisième de la république française une et indivisible, quatre heures seize minuttes décimal, nous Pierre-Joseph Scorraille, juge de paix de la commune de La Bassée, y demeurant ; il est parvenu à notre connaissance par la clameur public que la déesse de la liberté posée sur un pied d'estal, size au milieu du haut de la place de la Bassée, a été horriblement insultée et mutilée la nuit dernière par des malveillans, ennemis des emblèmes de la liberté. Sur quoi, nous, juge de paix susdit, accompagné de Pierre-Joseph Hache, notre greffier, Pascal Barré, officier municipal, Joseph Heren, Nicolas-Joseph Cordier et François Gosebecq, notables, Léonard Vanvert et Charles Janequin, sergents de la commune dudit La Bassée, à défaut de gendarmes, nous sommes transportés sur les lieux, pour en constater l'état et voir comment le délit pouvoit avoir été commit. Etant arrivé, nous avons vus ladite déesse ayant le bras gauche, lequel portoit la table du droit de l'homme, cassé et emporté, et la main droite mutilée, dans laquelle tenoit une pique surmontée du bonet de la liberté ; ladite pique est aussi volé et emporté. Nous avons jugé que ledit délit ne pouvoit avoir été commis que par des royalistes ennemis de la constitution, du droit de l'homme et de la liberté. Considérant que ladite déesse ne pouvoit rester en sa place dans cet état, nous avons convoqué une assemblée du corps municipal et notables dudit la Bassée, pour prendre avec eux les mesures les plus convenables pour ne pas compromettre la chose publique. N'ayant aucune indice par qui ledit délit et attentat pouvoit avoir été commit, nous avons fait et dressé le présent procès verbal pour servir et valoir ce que de raison, les jour et an que dessus.
— Pierre-Joseph Scorraille.

La Grand'place de La Bassée où se dressait, en 1795, la déesse de la Liberté
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La réponse à ce procès-verbal ne se fait pas attendre. Le jour même, le Comité révolutionnaire de Lille, après avoir résumé les faits et méfaits survenus sur la Grand'Place de La Bassée, après voir accepté de remplacer le bonnet rouge phrygien par un couvre-chef aux trois couleurs pour rallier tous ses partisans, exhorte la population afin de découvrir l'auteur des attentats.
La Bassée, le 28 floréal, 3ème année républicaine. — Les officiers municipaux de la commune de La Bassée aux membres composant le comité de surveillance établi à Lille.
Nous vous envoyons, citoyens, copie d'un procès verbal tenu ce jourd'hui par le juge de paix de cette commune, relativement à une insulte grave faite aux emblèmes de la liberté. Il est facile de voir, par cette manière contre-révolutionnaire d'agir, que si les malveillans, ennemis de la république, restoient dans l'impunité, l'esclavage succéderoit bientôt à la liberté. Si nous avons juré de maintenir cette liberté, ce ne sera pas en vain ; nous en renouvelons le serment. Périssent, oui, périssent mille fois tous les tirans, qu'ils aillent régner en Asie, et qu'ils apprennent, eux et leurs satellites, à respecter la république française. Ce qui prouve que ces dignes apôtres du royalisme ne tendent et ne s'attendent qu'au prompt retour de l'ancien régime, c'est que le 2 germinal dernier ils jettèrent et firent jetter une énorme quantité de pierres sur la déesse, qui vient d'être délabrée aujourd'hui.
Un de ces jetteurs, provoqué sans doute, fut arrêté et mis ensuite en liberté, parce qu'il déclara n'avoir voulu atteindre qu'un bonnet rouge qui était au bout d'une pique à côté de cette déesse, emblème de liberté. Vous avez eu alors connoissance de ce premier délit. La municipalité n'ayant pour but que d'assurer la tranquillité publique, décida que le bonnet rouge, qui paroissoit être le point de réunion des ennemis de la liberté, seroit mis aux trois couleurs, ce qui fut fait, afin d'ôter tout prétexte à ceux qui n'en veulent qu'à la liberté même, comme il n'est que trop prouvé aujourd'hui. La république, citoyens, n'est pas sans danger. C'est avec douleur que ce mot nous échappe. Puissions-nous être dans l'erreur, car ce n'est que le désir de voir le bonheur de notre pays, qui nous inspire, non de la crainte, mais des présages perplexes. Il faut donc que les bons citoyens se réunissent et déjouent par leur attachement à la république les monstres qui veulent l'anéantir. Nous vous demandons, citoyens les moyens à prendre pour réprimer le scandale horrible qui vient d'être commis sur l'emblème de la liberté en cette commune, afin que nous mettions tout en œuvre pour découvrir les auteurs de ces attentats.
— Salut et fraternité. — Barre, municipal.— Bavière fils — Gradel — Cordier — Elie Prévost — Balon — Jean-Baptiste Caudelier, agent national.

Comme on peut s'en douter, la recherche des coupables sera vaine, et la Déesse de la Liberté fera les frais des excès basséens. Jean-Baptiste Caudelier et le comité lillois rapportent que le piédestal et sa statue ont été renversés. C'en est fait de la Statue de la Grand'Place qui terminera emportée dans les gravois.
Les membres composant le conseil général de la commune de La Bassée, aux citoyens membres composant le comité de surveillance de Lille.
— Déjà plusieurs fois des malveillans se sont permis de porter des insultes très graves à la statue de la liberté size sur la place de notre commune, en lui arrachant les deux bras et une picque qu'elle tenoit d'une main, surmontée d'un bonnet aux couleurs nationales, et de l'autre les droits de l'homme. Nous vous en avons donné connaissance dans le temps, et vous nous avez répondu de prendre toutes les mesures convenables pour découvrir les auteurs ; mais nos recherches furent inutiles. Aujourd'hui de nouveaux attentats viennent de se commettre envers ladite statue, en démolissant le pied-estal, de sorte que tout est prêt à être renversé. Pour parer à ce scandale, nous avons cru devoir requérir la gendarmerie pour empêcher que les malveillans n'effectuent leurs infames projets. Nous attendons sans délais que vous nous fassiez savoir la conduite que nous devons tenir dans cette pénible circonstance et si nous devons faire rétablir laditte statue dans tous ses attributs.
— Salut et fraternité. — Barre, municipal. — Cordier — Delerue — P. Bery, municipal. — Heren — Jean-Baptiste Caudelier, procureur de la commune.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Michel Goujaud, apothicaire et aéronaute rochelais, confondu avec les martiens par les habitants Marandais.
En complément du Kiosque à musique de la Place d'Armes de La Rochelle.

Cinq mois après l'exploit des frères Montgolfier du 19 septembre 1783, Michel Goujaud, apothicaire à La Rochelle, ne voulant pas être de reste, procède au lancement d'un globe aérostatique, le 22 février 1784, à partir de la Place Royale rochelaise. Son envol est rempli de succès, tout comme sa descente, mais l'accueil des riverains, lors de son atterrissement à Marans, n'est pas aussi heureux : tout son matériel est mis en pièces à coups de fourche par les paysans effrayés.

Le sieur Goujaud fils, maître apothicaire, lança dimanche 22 février dernier, sur la Place Royale de La Rochelle, un globe aérostatique, en présence des chefs et de toute la ville assemblée. Sa forme et sa propreté flattèrent d'avance les spectateurs ; il fut rempli de gas dans moins d'une minute ; il forçoit pour partir lorsque la perche qui servoit à l'exaucer s'engagea dans l'anneau au moment de son élévation. S'étant dégagé par une forte secousse, qui lui occasionna une déchirure de dix pouces, en forme d'équerre, à son extrémité supérieure, il revint droit et s'éleva majestueusement au bruit des acclamations et d'un applaudissement général. Son ascension fut telle qu'en moins de treize minutes, il s'est dérobé à tous les yeux, après avoir été vu de la grosseur d'une petite étoile même avec les meilleures lunettes d'approche.
Après avoir parcouru diverses aires de vent en parcourant différentes régions, il fut descendu à trois lieues de La Rochelle, sur l'ancienne route de Marans, où les paysans l'ont mis en pièce à coups de fourche, après en avoir été fortement effrayés ; ils ont cependant conservé un oiseau, qui pendoit dans une cage à trois pieds au-dessous du globe.
Sa forme étoit un peu ovale, terminée par une couronne aplatie ; son volume étoit de seize pieds de haut et trente-six de circonférence, d'une couleur d'un beau blanc imitant le taffetas, avec des bandes bleues, et décoré de fleurs de lys en or ; chaque fuseau portoit des légendes latines analogues à cette superbe découverte et à l'honneur des françois, de MM. de Mongolfier, Charles, Robert et à l'étonnement des nations.

(La Généralité de La Rochelle, 15 mars 1784. Bibliothèque de La Rochelle)

La Rochelle - Place d'armes - Gonflement d'un ballon
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Un ennemi des fusains et ormeaux à La Rochelle
En complément du Kiosque à musique de la Place d'Armes de La Rochelle.

André Halleys (1859-1930) qui nous a déjà régalé de ses réflexions sur le dilemme du Kiosque à musique du Clavecin de Grasse et de son monument à Fragonard (voir ici), réitère cette fois-ci sur les élucubrations du rapporteur Motillon qui se propose de faire abattre les fusains et ormeaux plantés sur la travée sud de la place d'Armes de La Rochelle. Une ineptie au vu de la vaste place de 2.700 m² quasiment vide, dont les plantations n'ornent que son pourtour sur trois côtés. Fort heureusement, la proposition du sieur Motillon sera reléguée aux oubliettes.

19 avril 1909.
Pour sentir tout le comique de ce qui va suivre il est utile de connaître La Rochelle. Cependant, même si l'on n'a jamais mis le pied dans cette ville pittoresque et charmante, on trouvera peut-être quelqu'agrément aux propos de Motillon, l'ennemi des ormeaux.
Le 26 mars dernier, Motillon, « rapporteur de la commission des voies et chemins », présentait au Conseil municipal de La Rochelle un rapport où il demandait l'élargissement du trottoir sud de la place d'Armes, et l'abattage des ormeaux et fusains qui se trouvent sur ce trottoir. Voici les raisons de Motillon (
L'Echo rochelais du 27 mars 1909) :
« La circulation intense sur ce trottoir est difficile par suite de son étroitesse (qui n'a pas vu la place d'Armes de La Rochelle ne peut soupçonner la bouffonnerie de cette « circulation intense ») en supprimant les arbustes et en enlevant le terre-plein près le mur, il sera facile, après un nivellement, de rendre ce même trottoir plus large et plus praticable. L'occasion s'offre ainsi de faire disparaître des fusains peu décoratifs (Motillon a du goût) et ne répondant plus aux raisons pour lesquelles ils ont été plantés (Motillon a le sens de l'utile) ; d'autre part, la construction d'un mur en briques recouvert d'un couronnement en pierre de taille formant corniche, disposé en avant du mur de clôture de l'hôpital Aufredy,
permettrait, tout en embellissant ce côté de la place, l'installation de cadres d'affichage (Motillon a le sens du beau). Pour compléter la transformation de ce trottoir, on déplacerait l'urinoir, qui serait installé près de l'aubette des tramways et parallèlement au mur, et on procéderait à l'enlèvement des arbres existants qui, une fois déchaussés et privés d'une partie de leurs racines, deviendraient un danger pour la sécurité publique. L'ensemble de ces travaux s'élèverait, d'après les devis établis, à une somme totale de 8.425 francs. »

La Rochelle - Kiosque et Cathédrale sur la travée sud de la Place d'Armes
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Comme on fit remarquer à Motillon qu'il était inutile, sous prétexte d'embellir la place d'Armes, d'y abattre six ormeaux qui en étaient le seul ornement, il eut ce mot superbe « vous êtes trop conservateurs à La Rochelle ; il faut faire du nouveau ! » Alors Montazaud vint à son secours et se moqua des conseillers qui voulaient sauver « six malheureux galeux sur le point de crever » et il ajouta « Je ne suis pas l'ennemi des arbres, mais l'ami du progrès. »
Le Conseil n'écouta ni Montazaud, ni Motillon. Ce dernier, fort en colère contre ses rétrogrades collègues, fit le geste magnifique de déchirer son rapport, mais ce fut en vain : les « six galeux » seront respectés ; les fusains seuls seront sacrifiés et une innombrable cohue continuera de s'écraser sur le trottoir de la place d'Armes.
A La Rochelle, Motillon et Montazaud n'eurent donc pas la majorité. Mais ces deux « amis du progrès » se rattraperont ailleurs.
Il faut faire du nouveau, c'est en vertu de cette maxime inepte qu'on déracine les vieux ormeaux et beaucoup d'autres choses encore.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Les Fêtes aérostatiques de La Varenne Saint-Hilaire
En complément du Kiosque à musique de La Varenne Saint-Hilaire.

Les fêtes aérostatiques attirent les foules à La Varenne, comme partout ailleurs. Les mécènes rivalisent de générosité pour financer ces manifestations, et notamment le prince Roland Bonaparte (1858-1924), petit fils de Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon. Celui-ci, par ailleurs très impliqué dans l'aéronautique en tant que président de la Fédération aéronautique internationale, fait ainsi un don de 2.000 francs pour participer au lancement d'un ballon dirigeable à la Varenne-Saint-Hilaire, lâché le 18 février 1897.
Après un parcours de 105 kilomètres, l'aérostat échoue dans le village de Méharicourt, près d'Amiens.
voir ici, 6 clichés réalisés par C Moulinet le 18 février 1897 à La Varenne Saint-Hilaire.

— Le gonflement de l'Aérophile a exigé 458 m3 de gaz et les opérations du lancement ont été exécutées avec la méthode et la précision habituelles. La force ascensionnelle que nous avons soigneusement mesurée était, y compris le poids du ballon et des instruments de 284 kg.
A peine notre généreux Mécène, le prince Roland Bonaparte à qui nous avions confié le soin de donner la liberté à l'Aérophile, eut-il effleuré de la lame d'un couteau la corde de retenue de 25 mètres de longueur, que l'aérostat bondit dans l'espace avec une vitesse verticale de 12 mètres par seconde et disparaît presque instantanément dans le brouillard, au milieu d'une énorme oscillation.
Une dépêche expédiée de Chaulnes (Somme), et reçue le soir même, nous avertit de l'issue de l'expédition et j'eus le plaisir le lendemain matin de constater que l'appareil à prise d'air avait bien fonctionné, quand aux enregistreurs, ceux-ci étaient en bon état quoique couverts de boue, et il fut difficile de retrouver les diagrammes dans leur complète intégrité.
Aidé d'un paysan, je pus reconstituer le traînage complet du ballon dans les champs et arriver au point précis de son atterrissage, à 100 mètres au-delà du village de Meharicourt. A partir de cet endroit, le ballon descendu au milieu d'un fort brouillard et poussé par un vent très faible, avait traîné les instruments pendant une demi-heure à une lieue de là environ jusqu'à ce qu'il eut rencontré les fils télégraphiques de la voie ferrée de Tergnier à Amiens.
L'aérostat fut recueilli par un habitant de Rozières, et les instruments par un habitant de Chaulnes. Quant au filet, on ne l'a jamais revu.
Le voyage géographique a été de 105 kilomètres parcourus en deux heures et demie. Ce qui donne une vitesse moyenne de 44 kilomètres à l'heure seulement pour la septième expédition de l'Aérophile.
(Journal L'Aérophile 1897)
Alain94210, de Cparama, nous indique que le lancement du dirigeable du 18 février 1897 ne s’est pas effectué à partir de la Varenne mais depuis l'usine à gaz de La Villette, contrairement a ce que la BNF affirme dans les clichés relatifs à cette manifestation.
Merci à Alain de cette information. Mais cela n’empêche pas La Varenne d’être impliqué dans de nombreuses autres fêtes aérostatiques.

La Varenne - Fête aérostatique 1908 : Mise en place de la Nacelle et départ du Ballon
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Avant que la place du Marché de La Varenne ne soit empruntée pour les fêtes aérostatiques de ballons captifs, ou ne serve d'expérience d'envol, la plaine de La Varenne accueille parfois des Ballons en errance. Après la fameuse déculottée Waterlootoise du 18 juin 1815, la France est envahie par les « alliés » (russes, autrichiens, anglais et prussiens), tandis que Louis XVIII reprend son trône le 8 juillet. A cette occasion, une Grande fête extraordinaire en l'honneur de la fête du Roi avec Grand feu d'artifice et ascension nocturne à ballon garni d'artifices est organisée, pour le 24 août 1815, par le Tivoli, le fameux jardin d'attractions et de plaisirs dit la Folie-Boutin du 78 rue Saint-Lazare, d'où va s'envoler le Ballon de M. Augustin, pour sa 24e ascension, au milieu de six mille spectateurs (1 franc l'entrée). Un deuxième ballon avec Madame Blanchard à son bord est lâché le même jour.
Parti à 10 heures, Augustin atterrit à La Varenne d'où il rejoint par la Marne le hameau de Créteil occupé par les Russes... :

— M. Augustin, qui s'est élevé de Tivoli en ballon illuminé, le 24 de ce mois, à dix heures 12 minutes, est descendu le même jour, à onze heures trois quarts, sur la plaine de la Varenne, commune de Saint-Maur, à trois lieues de Paris, après avoir, par un très beau temps, fait une station de près d'une demi-heure sur le jardin des Tuileries, saluant avec le drapeau, et jetant un nombre d'imprimés contenant des vers analogues à la fête. Descendu dans la plaine de la Varenne, M. Augustin n'ayant trouvé personne qui put lui donner aucun renseignement sur le lieu qu'il occupait, il s'est dirigé, conduisant son ballon à moitié gonflé, en suivant le cours de la rivière, au hameau de Créteil, a frappé à la porte d'une habitation, et a reçu l'hospitalité chez M. Destouches, propriétaire.
M. Augustin s'est présenté à sept heures du matin à la mairie pour dresser procès-verbal de son ascension, et a laissé son aérostat exposé à la curiosité publique et surtout à celle des Russes, cantonnés près de ce village, jusqu'à onze heures du matin. Cette dernière ascension de M. Augustin a eu lieu à ses frais : celle qu'il devait faire le 10 août n'ayant pu avoir lieu pour causes d'avaries dans le ballon.
(Le Moniteur Universel, 28 août 1815)
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

Les Tramways de Lannoy
En complément du Kiosque à musique de la Grand’Place de Lannoy.

Plan de Lannoy en 1825 et tracé du parcours des tramways

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Tramways de Roubaix-Lannoy
Par décret du 3 décembre 1875, la ville de Roubaix obtient la concession du futur réseau de Tramways à traction de chevaux et charge la Compagnie des tramways de Roubaix et Tourcoing de mettre en place trois voies ferrées : Ligne A : Tourcoing-Grande place à Tourcoing-hôtel des voyageurs ; — Ligne B : Roubaix à Wattrelos ; — Ligne C : Roubaix à Lannoy, longue de 4.115 mètres.
Quelques retards sont à déplorer comme en témoigne M. Julien, président de la Chambre de commerce de Roubaix qui, le 24 janvier 1878 adresse un courrier de doléances au directeur général des Tramways de Roubaix-Tourcoing :
Monsieur le Directeur,
Dans sa dernière séance, la Chambre de Commerce que j'ai l'honneur de présider s'est préoccupée du retard apporté à la confection de la ligne de Tramways de Roubaix à Lannoy.
Il y a là un grand intérêt en souffrance et, disons-le, l'impatience du public se manifeste aussi bien à Lannoy qu'à Roubaix. En effet, la municipalité de Lannoy vient d'adresser à notre Chambre de Commerce une demande d'intervention auprès de votre administration pour obtenir satisfaction. C'est donc au nom des intérêts commerciaux des deux villes, que je viens vous prier de hâter l'achèvement de cette ligne.
Je vous serai obligé, Monsieur le Directeur, de vouloir bien me fixer à cet égard.

Près de deux années se passent et toujours pas de tramways ! Et enfin, le 2 octobre 1879, le Journal de Roubaix nous informe :
Grâce à la vive impulsion donnée aux travaux d'établissement de la ligne de tramways de Roubaix à Lannoy par le service des Ponts-et-Chaussées et malgré les pertes de temps occasionnées par quelques journées de pluies, la circulation a été complètement rétablie à partir d'hier soir à 7 heures. La route de Lannoy se trouve donc ainsi notablement améliorée : la chaussée ne mesure pas moins de 7 m. 15 de largeur et est bordée de deux trottoirs.
Les cars ne peuvent désormais tarder à circuler ; ils pourront arriver sur la place même de Lannoy.
Puis le 11 octobre 1879 :
L'inauguration de la ligne de tramways de Roubaix à Lannoy se fera samedi après-midi 11 octobre.
Le premier car partira de la Grande-place de Roubaix à deux heures.

Lannoy - Tramway rue de Tournai, devant l'Hôtel de ville (à droite Grand'Place) — Tramway sur la rue de Tournai, à gauche Hôtel de ville et Grand'place, rue des Bouchers au fond
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Le départ et le croisement des voitures s'effectuent devant le Café Restaurant de l'Hôtel de Ville, qui fait l'angle de la mairie lannoyenne ; la voiture hippomobile, dont le départ est programmé toutes les 25 minutes à partir de 7 heure 15, longe la rue de Tournai, laisse à sa gauche la Grand'Place de Lannoy avant de bifurquer à droite dans la rue de Roubaix ; elle emprunte ensuite la route de Lannoy (route départementale n° 19) menant tout droit à Roubaix où elle termine sa course sur la Grand'Place roubaisienne. La dernière voiture part à 9 heures ½.

Le 26 avril 1880, la Compagnie des tramways de Roubaix et Tourcoing obtient de Roubaix, la rétrocession de la concession pour une durée de vingt cinq ans, mais, en déconfiture dès le 23 janvier 1882, essaie de vendre son affaire pour un million de francs : 14 kilomètres de voies en exploitation, 93 chevaux, 35 voitures, 8 wagons-fourgons à marchandises... Faute d'acheteur, M. Ruffelet père, syndic de la faillite de la compagnie des tramways, se charge, vaille que vaille, de la gestion des trois lignes de tramways jusqu'en 1891. Le 23 février 1891, Ruffelet cède les actifs relatifs aux tramways à la Société des Voies Ferrées Economiques gérée par Emile Francq et trois administrateurs.
Cette société est finalement reprise, le 28 avril 1894, par la Compagnie nouvelle des Tramways de Roubaix et Tourcoing qui décide de substituer la traction électrique à la traction hippomobile. L'ensemble des voies ferrées, soit quinze kilomètres dont quatre sur la ligne Roubaix-Lannoy, sont remplacées en 1895 par des
rails Broca pesant 36 kilos le mètre courant.
Les nouvelles voitures alimentées par fil aérien de la ligne reliant Lannoy à Roubaix sont en activité dès 1895 ; la traction par chevaux continue à fonctionner simultanément encore quelques mois, avant de disparaître définitivement en 1896.
En 1902-1903, la ligne C, Roubaix-Lannoy, devient la ligne n° 5 et se trouve prolongée entre la Grand'Place de Roubaix et la place de la Gare, soit un parcours total de 5.009 mètres.
En mai 1904, la construction d'une voie de garage rue de Roubaix et l'acquisition d'une sixième voiture va permettre au tramway d'y effectuer ses manoeuvres de croisement, lesquelles se déroulaient auparavant sur la place devant le Café de la mairie.
En 1956, les lignes A, B et C sont définitivement supprimées.

Lannoy - Rue de Roubaix Tramway
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Tramways Lille à Leers par Lannoy
Une seconde ligne, reliant Lille à Leers, passant par Lannoy, donnée en concession à la Compagnie Mongy, est en construction à partir de 1906. Longue de 15.660 mètres, cette nouvelle voie, à traction électrique, part de la gare centrale de Lille, passe par Saint-Maurice et Fives, traverse Hellemmes, Flers, Annappes, Hem, Lannoy (rue de Lille, rue Royale devenue rue Nationale, rue des Bouchers et rue de Roubaix), Lys et se termine à Leers.
Le tramway de la ligne C, Lannoy-Roubaix passant par la rue de Roubaix, des accords sont passés entre la Compagnie Roubaix-Tourcoing et la Compagnie Mongy, autorisant cette dernière à emprunter la voie en commun et utiliser son trolley sur cette partie, pour ses voitures.
Le 3 mars 1907, la pose de la voie ferrée est presque achevée sur Lannoy. Le 28 avril, le raccordement entre la ligne C, Lannoy-Roubaix et la ligne 2 Lille-Leers, rue de Roubaix, sont effectifs ;
les garages des rues des Bouchers, de Roubaix et du Bois, sont terminés.
Le 19 juin 1907, on procède à la pose du trolley sur le parcours de la nouvelle voie... qui est enfin inaugurée le 2 mai 1908.
En janvier 1936, le terminus de la ligne 2 est ramené rue des Bouchers à Lannoy. A partir de 1940, cette ligne est définitivement désaffectée sur Lannoy.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

LAON (02) - L'Eglise Saint-Rémi-au-Velours devenue la Salle de Spectacle laonnoise
En complément du Kiosque à musique de la Place de l’Hôtel de Ville de Laon.

La première Eglise Saint-Rémi dite Saint-Rémi-à-la-Place est construite sur la Placette, près du palais de la cour du Roi, dès le XIIe siècle. Datant de la même période, et à ne pas confondre avec la première, une seconde église Saint-Rémi, dite Saint-Rémi-à-la-Porte-du-Cloître, est édifiée le long du parvis de la Cathédrale Notre-Dame de Laon.
L'église Saint-Rémi à la Place rendant l'âme, le marguillier de Laon, Pierre Gerbaut, sieur de Bois-l'Echelle décide, avec l'aide financière des paroissiens, de faire édifier une nouvelle église en lieu et place de l'ancienne : de 1675 à 1677, Jean Marest, maître maçon et agent voyer laonnois, est chargé de cette tâche qui coûtera 14.240 livres 2 sols 6 deniers, non compris la construction du maître-autel, des deux chapelles, du banc femmes et de la boiserie longeant les bas-côtés de l'édifice, dont la dépense s'élèvera à 1.993 livres 7 sols.
L'Eglise Saint-Rémy-à-la-Place, est consacrée le lundi 4 avril 1677 par l'évêque d'Olonne, celui de Laon, le cardinal César d'Estrées, étant appelé à Rome en raison de ses fonctions d'ambassadeur. Les paroissiens de Saint-Rémi étant apparemment connus pour leur opulence qui leur permettait de doter leurs religieux de vêtements sacerdotaux de luxe et donc orné éventuellement de velours, l'église prendra également la dénomination de Saint-Rémi-au-Velours.
En 1790, l'église est désaffectée et saisie, devenue bien national. Les quelques reliques de l'édifice religieux sont transportées sous bonne garde dans la cathédrale Notre-Dame, tandis que les bancs, propriété des paroissiens, sont emportés par ceux-ci.
Le décret du 24 mai 1790 autorisant l'acquisition des biens nationaux en douze années, va permettre aux municipalités de rafler à bon compte, la quasi totalité desdits biens nationaux ; en janvier 1791, De Martigny, maire de Laon, ayant eu vent de ce décret, demande à en bénéficier, aux fins de faire main basse sur l'Eglise Saint-Rémy de la Place.
Marie-Joseph Caignart Du Rotoy (1732-1819), nouveau maire depuis le 17 avril 1791, réunit son conseil municipal le 4 août 1791 et décide de procéder à l'acquisition de l'Eglise Saint-Rémy-Place qui,
par sa position, pourrait convenir par la suite à quelque chose d'utile, sous la condition qu'elle ne servira à aucun étal de boucherie ; Caignart Du Rotoy envisage, dans le même temps, d'acquérir l'Eglise Saint-Michel-sur-le-Bourg, située près de la porte Mortée, afin de la transformer en local pour la distribution de la viande, emplacement qui lui paraît tout à fait propre à cet usage.
Le 26 septembre 1791, les deux édifices religieux tombent dans l'escarcelle de la municipalité au prix de 3.125 livres.

Laon - Ancienne église Saint-Rémi à la Porte — Façade du Théâtre, ancienne église Saint-Rémy
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La ci-devant Eglise Saint Rémy à la Place, composée d'une seule nef de vingt mètres de long sur quinze mètres de large, est, dès les lendemains de son acquisition, affectée à des comités politiques qui y tiennent leurs réunions.
Rapidement, elle est régulièrement utilisée pour des bals et spectacles et devient ainsi la Salle de Spectacle de Laon. Des citoyens se plaignent même, le 18 thermidor de l'an II (5 août 1794), de ce que les horaires desdits spectacles commencent et finissent trop tard ; aussi est-il décidé que le membre du Conseil chargé de la police au spectacle fera en sorte que les séances commencent à 5 heures et demie précises, afin que le rideau tombe à 8 heures et demie au lieu de 9 heures et demie ou 10 heures antérieurement ;
tout acteur ou actrice qui ne seroit pas prêt et qui apporteroit le moindre retard, sera à l'instant conduit pour trois jours en la maison d'arrêt.

Le quatrième jour complémentaire de l'an XII (21 septembre 1804) (1), Pierre-Félix Rossignol, maire de 1802 à 1806, donne lecture, au conseil municipal, d'une pétition des sieurs Jacques-François Troy père et de son fils Pierre, artistes dramatiques, par laquelle ils proposent qu'il leur soit accordé, pour le terme de 29 ans, la cy-devant Eglise de Saint-Rémy-Place pour y établir à leur frais une Salle de Spectacle aux clauses et conditions y énoncées, à laquelle pétition est joint un plan. Une commission est alors nommée pour étudier la faisabilité du projet.

L'affaire est rapidement conclue : le 11 brumaire an XIII (2 novembre 1804), un bail de vingt neuf ans, dressé par maître Carlier notaire, est signé entre la municipalité et les sieurs Troy père et fils, ce dernier étant par ailleurs peintre décorateur. L'Eglise leur est concédée à compter de ce jour, à charge par eux d'y installer une salle de spectacle. Suit une série de conditions que les Troy s'engagent à respecter :

— construire dans le local de Saint-Rémy, une salle de spectacle et un parquet propre à en faire une salle de redoute ;
— faire intérieurement un théâtre de 24 pieds, d'y placer tout le mechanisme ;
— installer un rideau d'avant-scène ;
— installer un foyer dans la ci-devant sacristie ;
— aménager des loges d'acteurs dans le ceintre du théâtre ; un parquet en banquettes rembourrées ; des premières loges banquettes rembourrées, toile de Paris, accoudoirs des loges garnis en velours d'Utrecht ; secondes loges au dessus des premières ;
— construire un escalier en bois conduisant aux premières ; un autre en bois conduisant aux secondes loges ;
— installer un bureau ; un cabinet pour les rafraîchissements ;
— peindre la salle en ornements ;
— restaurer les décors du théâtre existants ;
— former un plafond en toile peinte ;
— enfin d'y faire mettre des tonneaux pleins d'eau.

Aucun loyer ne sera exigé pendant les douze premières années, à l'exception de la rétribution des pauvres. A partir de la 13e année, un loyer annuel de 200 francs sera perçu.

La mairie qui s'était engagée à payer 2.000 francs pour réaliser une partie des travaux, seulement payables à l'issue de ceux-ci, va conduire Jacques-François Troy et ses ouvriers dans une impasse. Les entrepreneurs n'étant pas payés, cessent toute activité ; les ouvrages, qui devaient être réalisés dans les quatre mois du bail n'ayant pas été exécutés entièrement, la municipalité résilie le bail de Troy le 1er germinal an XIII (22 mars 1805). Six cents francs sont alloués à celui-ci comme indemnité de résiliation et les devis en cours s'élevant à 1442 frs 75c sont réglés par la mairie. Pierre Troy accepte de conduire et diriger les travaux pendant les huit mois qui suivent, moyennant quatre-vingts francs par mois, et s'engage à peindre et décorer la Salle.

La municipalité n'ayant pas les ressources suffisantes pour mener à bien son projet de Salle de Spectacle, décide, le 14 messidor an XIII (3 juillet 1805), de confier à une Société du Théâtre, la tâche de souscrire les fonds nécessaires aux travaux ; en contrepartie, la ville abandonne à cette société les futurs profits des spectacles. Une société, au capital de quinze mille francs est constituée, emmenée par M. Leleu, procureur général près la Cour de Justice criminelle de l'Aisne, et M. Dollé, notaire. Cent cinquante sept souscripteurs vont ainsi recevoir 168 actions et réunir la somme de 8.000 francs, la mairie recevant pour sa part 69 actions correspondant aux 3.482 francs qu'elle a déjà investis.
Le chantier reprend sous la direction de l'architecte départemental Carrière ; des entrepreneurs sont engagés : Visigny pour la menuiserie, Bourcier pour la serrurerie, Hanoteau pour les charpentes. Un second architecte, M. Cottenest, est chargé de superviser l'ensemble.

Une pré-inauguration de la Salle de Spectacle est annoncée pour les premiers jours de février 1807. Elle aura lieu à l'occasion du carnaval, pour lequel M. Deschamps, marchand épicier et quincaillier, nommé directeur des bals et redoutes, est chargé d'organiser quatre bals dans la Salle à peine finie : ceux-ci auront lieu les 5, 8, 10 et 15 février 1807, en présence de cinq musiciens. Un compte précis des entrées des convives a été tenu : le 5 février : 224 personnes ; le 8 : seulement 79 ; le 10, jour de mardi gras : 451 ; le 15, dernier bal : 189 personnes.

Le 12 mai 1807, Alexandre-André de Flavigny, maire de 1806 à 1808, annonce que les travaux de la Salle de Spectacle sont entièrement terminés, et que
sous peu, une troupe d'artistes dramatiques devait se rendre dans cette ville pour y jouer. Cependant les dépenses sont loin d'être terminées, seuls des acomptes ont été réglés aux ouvriers et la Société d'actionnaires du théâtre est dans l'impossibilité de faire face à ses engagements et de poursuivre les paiements. En conséquence la municipalité reprend la gestion de la Salle et annonce que ce qui reste dû aux ouvriers et fournisseurs sera acquitté successivement sur les revenus de la Salle.
Le passif laissé à la charge de la mairie est considérable : 22.700 francs 41c dûs aux ouvriers et fournisseurs ; 11.800 francs dûs aux actionnaires. Un décret du corps législatif entériné le 26 novembre 1808, autorise le baron Alexandre Etienne Guillaume de Théis, maire de Laon depuis juillet 1808, à reprendre l'ensemble de ces dettes qui seront payées par fraction, en fonction des disponibilités de la municipalité.

Laon - Place de l'Hôtel de Ville
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Le règlement du théâtre est officialisé le 2 juin 1807 :
— la troupe devra jouer les dimanches et jeudis ;
— les séances commencent à 6 heures ; les entr'actes sont d'un quart d'heure au plus ;
— l'intervalle entre chaque pièce ne pourra excéder une demi-heure ;
— le prix des loges grillées est fixé à 1 fr. 80. ; les premières loges : 1 fr. 50. ; secondes loges : 0 fr. 75. ; parquet orchestre : 1 fr. 50. ; parterre : 0 fr. 60.
— les femmes ne sont pas admises.

Le théâtre de Laon est fréquenté par des troupes ambulantes. Celles-ci circulent selon un programme fort bien organisé permettant d'alterner leurs spectacles entre les villes du quatrième arrondissement (Laon, Soissons, Saint Quentin, Beauvais et Compiègne). On voit qu'en 1817, le fils Troy a su tirer son épingle du jeu puisqu'il est directeur de la troupe ambulante de la comédie et de l'opéra de cet arrondissement, tandis que son père, seconde basse-taille dans l'opéra, joue quelques rôles de comédie.

Programme des troupes ambulantes se produisant à Laon, Soissons, Beauvais et Compiègne en 1817
M. Troy fils, directeur de la troupe, acteur et chanteur. - M. Troy père, acteur et chanteur.
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18 janvier 1826, le maire annonce triomphalement que l'état de la situation des finances de la ville permet d'éteindre entièrement ce qui reste dû sur la dette arriérée concernant les actions de la Salle de Spectacle. La dette initiale correspondant au remboursement de ces actions se chiffrait initialement à 8.283 fr 17. Le dernier paiement a lieu, ce 18 janvier, pour 3.083 francs.
Les héritiers de l'architecte, M. Carrière, ne toucheront le solde des honoraires, 149 francs, dûs à celui-ci qu'après une réclamation auprès de la municipalité faite le 30 juillet 1825 réitérée le 18 janvier 1826...

La séance du conseil municipal du 25 janvier 1831 dresse un sombre tableau de l'état de la Salle de Spectacle, quatorze ans après sa reconstruction : celle-ci est dans un
état de détérioration, qui nécessite l'intervention de la municipalité.
Devant l'état de
délabrement et de défectuosité de celle-ci, plusieurs adjudications sont allouées le 18 avril 1831 pour un montant de 3.436 francs 48 concernant : la construction d'un plancher sur la scène, d'un plafond sous les combles et du parquet du parterre ; la restauration des banquettes et des loges ; l'enduit et blanchiment du corridor ; la peinture des portes ; le regrattage des façades et leur enduit de deux couches d'huile ; les peintures et décorations du plafond de la salle et des loges.

Le 20 avril 1833, la municipalité décide d'octroyer la gratuité des droits de location de la salle auprès des troupes d'artistes et dramatiques lors des représentations données dans la Salle de Spectacle ; seule reste applicable une contribution pour les pauvres de 6 centimes.

Dans la soirée du 6 au 7 octobre 1918, des obus alliés tombent sur le Théâtre sur la place de l'Hôtel de Ville, en pleine représentation cinématographique : une soixantaine d'allemands y sont tués.
L'édifice, restauré par l'architecte Piéron, reprend ses activités en octobre 1920.


Laon - La Salle de spectacle / Théâtre et la station du tramway — Théâtre détruit par un obus allié en 1918
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Le théâtre ferme définitivement ses portes en 1965 ; le monument, classé le 5 décembre 1975, est restauré de 1976 à 1979, pour servir aujourd'hui d'annexe à la mairie.

(1) Calendrier républicain : cinq jours complémentaires étaient nécessaires, chaque fin d'année, pour compléter les 12 mois de 30 jours décrétés par la révolution.
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Re: Kiosques à Musique — Petits Plus

LUXEUIL-LES-BAINS (70) - La Nymphe Echo du parc thermal retrouvée… chez Alexandre Dumas !
En complément du Kiosque à musique du parc thermal de Luxeuil-les-Bains.

Le 20 juillet 1880, le Ministère des Beaux-arts, commande près de quatre-vingts statues et quelques tableaux, pour un montant de 430.400 francs, dont 346.200 francs financés par l’Etat ; le reste, soit 84.200 francs, devra être payé par les communes attributaires de ces œuvres d’art, étant précisé que chacune des communes concernées devra apporter une participation financière, préalablement à la passation définitive des commandes.
Le parc des Thermes de Luxeuil, pour sa part, est destinataire de la
Nymphe Echo, statue que le sculpteur Adrien-Etienne Gaudez (1845-1902), se propose de réaliser, moyennant la subvention de l’Etat fixée à 3.600 francs, le montant à charge de la commune restant à déterminer.

Gaudez réalise un premier modèle en plâtre de sa
Nymphe Echo, qui est exposée hors concours, en raison de la commande de l’Etat, au Salon de mai 1881 ; en même temps il propose une seconde œuvre, Un ciseleur au XVIe siècle, dont le Conseil municipal de Paris fait l’acquisition, pour 5.000 francs, le 2 juillet 1881.
Le 11 juin 1881, Charles Clément, dans le Journal des Débats, nous donne une excellente description de la Nymphe Echo :

« La Nymphe Echo de M. Gaudez, prouve au moins la souplesse du talent de ce sculpteur, car cette gracieuse figure ne rappelle en rien les qualités que nous avions signalées dans son Moissonneur.
La jeune fille courait, la jambe droite vivement portée en avant, le corps plié, tenant sa flûte de Pan d'une main ; elle vient de s'arrêter et retourne la tête en entendant la voix de Narcisse. Ce mouvement, très bien surpris, est rendu avec une extrême vérité. Tout est parfaitement d'accord dans l'attitude, dans la pantomime, dans l'expression du visage qui marque la curiosité et l'anxiété. Les formes un peu rondes sont très jeunes il y a de la vivacité, de la naïveté dans toute la personne de cette charmante entant. Mais il y a beaucoup à revoir dans ce modèle qu'il faut préciser, détailler davantage. Il y a là d'excellens élémens. Reste à savoir le parti que l'artiste en tirera dans l'exécution. »
Le même modèle en plâtre est de nouveau exposé lors de l’Exposition universelle de Paris de 1889 (n° 1864 du catalogue).

Au Salon du Palais de l’Industrie des Champs-Elysées de mai 1883, Gaudez présente sa
Nymphe Echo (n° 3677 du catalogue de l’exposition, toujours hors concours), cette fois-ci réalisée en marbre blanc, statue remarquable par sa sveltesse et qu'on aurait cru la jeune sœur du Vainqueur au combat de coqs de Falguière. Une seconde description précise que la Nymphe Echo s’enfuit nue en s’emparant de sa syrinx (flûte de Pan).

La Nymphe Echo d’Adrien Gaudez, devait donc être livrée à Luxeuil, dans les années suivant 1883. Mais, nous avons eu beau rechercher dans les journaux de la Haute-Saône et autres revues de presse, ainsi que dans les cartes postales du parc des Thermes de Luxeuil, nous n’avons trouvé aucun témoignage de cette statue. Tout comme nous, la très sérieuse Commission de récolement des dépôts d’œuvre d’art (CRDOA) du Ministère de la Culture, créée en 1996, s’y est essayée et a conclu ses investigations le 15 novembre 2012, par un constat d’échec, précisant par ailleurs qu’après avoir interrogé le maire de Luxeuil, celui-ci n’a pu trouver trace d’un quelconque récépissé de dépôt de cette œuvre à Luxeuil.

Continuant notre enquête, nous étions partis tout d’abord sur une piste très alléchante : le
New York Herald Tribune du 26 mars 1893 signalait qu’une exposition de peinture et de sculpture venait d’ouvrir à Chicago, à l’occasion d’une Exposition internationale, et qu’y figurait une statue de Mr. Gaudey (sic), « the Nymph Echo ».
Aussitôt, cherchant plus loin, nous arrivons à dégoter le catalogue de l’exposition qui nous apprend que le bâtiment de l’exposition, consacré à la France, est composé de deux bâtiments reliés par une colonnade semi-circulaire, situé au bord du Lac, près de Victoria House. Y figure une statue allégorique de Falguière, sur la République française ; à côté un marbre exquis de Michel représentant « Aurore » et une autre pièce du même, « l’Aveugle et le paralytique » ; et enfin,
the nude figure lying down is a charming statue by Gaudez, entitled « The Nymph Echo. » Cette silhouette nue couchée de cette charmante statue de Gaudez ayant pour titre la Nymphe Echo, nous fait comprendre qu’il nous faut abandonner cette fausse piste, puisque la Nymphe nue que nous cherchons n’est pas couchée, mais belle et bien debout, courant, la jambe droite vivement portée en avant, le corps plié.

Quelques sculptures d’Adrien-Etienne Gaudez
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Après de multiples recherches, nous tombons sur un recueil de chroniques, Paris qui passe, écrites en 1888 par l’écrivain et journaliste Paul Belon, où celui-ci relate une visite qu’il a faite à Alexandre Dumas (fils) dans son hôtel particulier du 98 avenue de Villiers. Reçu dans le salon de celui-ci, Paul Belon est amené à parler de la Nymphe Echo en marbre d’Adrien Gaudez, qui est précisément la propriété de Dumas :
— « Si monsieur veut se donner la peine de passer au salon… »
Changement de décor. Je reste seul, au milieu des fauteuils, canapés, poufs, crapauds, vis-à-vis, tête-à-tête, coussins brodés, toutes les merveilles de l'ameublement moderne : et j'en profite pour examiner à mon aise les tapisseries de haute lice, les tableaux, les terres cuites, les marbres, les bronzes et les mille bibelots d'art qui encombrent la vaste pièce bien connue du Tout-Paris. Ma curiosité va des uns aux autres, un peu au hasard, sans se presser, et je tombe en arrêt devant une superbe figure taillée dans le Paros par le statuaire Adrien Gaudez.
— « C'est la Nymphe Écho », me dit Alexandre Dumas, qui me surprend en pleine admiration. « Une de mes plus belles choses. »
— « Cela ressemble joliment à un chef-d'œuvre. »
— « Vous pourriez dire que c'en est un et vous ne seriez pas le premier. » (…)

Il faut se rendre à l’évidence : ni M. Ayriès, régisseur des Thermes de Luxeuil jusqu’en septembre 1885, ni son successeur Victor Thierry, n’ont apporté la contribution financière qui leur incombait pour l’acquisition de la Nymphe Echo ; aussi, sans coup férir, le Ministère des Beaux-Arts a tout simplement annulé la commande du 20 juillet 1880, et Adrien Gaudez a trouvé preneur pour sa statue en la personne d’Alexandre Dumas, grand collectionneur de peintures et sculptures, qui a fait placer cette œuvre dans une niche à claire-voie pratiquée au centre du double salon du rez-de-chaussée de son hôtel particulier.

Cet hôtel qu’Alexandre Dumas (1824-1895) a acheté en 1873, est rempli d’œuvres d’art,
de l’antichambre aux combles. voir ici ► Alexandre Dumas Collectionneur, le Figaro du 21 mars 1892.
Le 9 mai 1892, c’en est fini de la galerie de Dumas : celui-ci met en vente toutes ses œuvres d’art (plus de 200 pièces) à l’Hôtel Drouot, sous la direction du fameux expert Bernheim jeune :
— Vente Alexandre Dumas. La première journée d'exposition particulière de la galerie d'Alexandre Dumas a eu lieu hier, 9 mai, au milieu d'une grande affluence de notabilités de l'art, des lettres et du monde.
Parmi les chefs-d'œuvre qui ont été les plus admirés, il faut citer entre autres un magnifique Corot, le Peintre au chevalet par Meissonier, Aminta, un dessin, véritable perle de Prud'hon, des Vollon, portrait par Mme Vigée-Lebrun, des Tassaert, les Centaures et Centauresses de Fromentin, des Boilly, des Corot, Chardin, Decamps, Daubigny, Diaz, Delacroix, Jules Dupré, Fragonard, Greuze, Charles Jacques, Meissonier, H. Rigault, Troyon, Rousseau, etc., tous les grands noms de la peinture sont représentés dans ce bel ensemble de plus de 200 morceaux, qui sera encore visible aujourd'hui par invitation, exposé au public demain et livré aux enchères après-demain jeudi et vendredi.

Hôtel d'Alexandre Dumas au n° 98 avenue de Villiers à Paris (dessin 1881 Alphonse Trimolet, musée Carnavalet)
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Et le 5 novembre 1892 c’est au tour de l’Hôtel particulier d’Alexandre Dumas d’être vendu, pour 450.000 francs, à Ferdinand Dreyfus. A l’occasion de cette cession, le Figaro nous donne une description très détaillée de l’immeuble et souligne précisément la présence de l’immense statue de la Nymphe Echo : Au fond, attenant à la salle à manger et allant de l'avenue au jardin, était le double salon, coupé en son milieu par une immense statue, Echo, se dressant dans une niche à claire-voie.
— L'Hôtel de M. Alexandre Dumas. Quand, l'an dernier, l'auteur de Francillon a vendu sa galerie, nous avons dit que bientôt suivrait la vente de son hôtel. M. Alexandre Dumas, en effet, est résolu à finir ses jours à la campagne et à ne conserver à Paris qu'un pied-à-terre avenue Wagram.
L'immeuble de la Plaine-Monceau vient en effet d'être vendu à M. Ferdinand Dreyfus.
Il est situé, on le sait, entre l'avenue de Villiers et la rue Ampère, avec une vaste entrée par l'avenue.
La porte franchie, on avait à droite la maquette de la statue de Dumas père par Gustave Doré, à gauche le vestibule de l'hôtel, devant soi le jardin, un minuscule jardin.
Au rez-de-chaussée, la salle à manger, où se sont assis tant de gens célèbres, aujourd'hui disparus : Meissonier, Boulanger, Protais, Philippe Rousseau, le docteur Robin, sénateur, le général Cambriels, Lavoix...
Les survivants sont rares. Ils s'appellent l'amiral Charles Duperré, Miraut, Meilhac, Détaillé et Chariot (lisez Charles Narrey, l'ami le plus intime du maître.) Jamais ou presque jamais de femmes.
A côté se trouvait un premier bureau, une toute petite pièce dont les murs étaient couverts de tableaux et qui ne servait guère qu'à recevoir les interviewers, les artistes, les débutants ; Dieu sait s'il en est venu !
Au fond, attenant à la salle à manger et allant de l'avenue au jardin, était le double salon, coupé en son milieu par une immense statue, Echo, se dressant dans une niche à claire-voie.
Le premier salon n'était guère orné que de tableaux. C'est là qu'on admirait le roi Rodrigue de Delacroix, les Centauresses et le portrait de Mme Dumas par Lefebvre.
Dans le second salon, pas un tableau. Rien que des tentures japonaises, des meubles de Yeddo, des bronzes aux tons verts.
Par les fenêtres du fond on voyait, dans le jardin, appuyé contre le mur qui longe la rue Ampère, un chalet. Un souvenir de l'Exposition de 89, qui avait été cédé au maître par M. André.
Montons.
L'ancienne galerie occupait jadis la droite de l'hôtel. Depuis des constructions récentes, elle était devenue l'appartement privé de Mme Dumas.
La nouvelle galerie s'étendait à gauche de l'hôtel dont elle prenait la moitié en longueur.
C'est là qu'étaient tous les tableaux qui ont été vendus l'an dernier.
Au milieu d'eux, du côté des jardins, le billard.
Du côté de l'avenue, une longue console sur laquelle étaient exposés les 27 fameux dessins de Meissonier. A la fenêtre un balcon superbe, un balcon en fer forgé, celui du palais des Tuileries, acheté par Dumas à notre ami Picard, le démolisseur du Palais. Encore un mort.
Au second étage, deux pièces principales, la chambre à coucher de Dumas et un cabinet de travail.
Deux pièces réservées dans lesquelles jamais personne n'entrait. Narrey lui-même ne se permettait d'y monter que quand son ami l'en priait.
Le maître, en effet, se plaisait à être seul pour écrire, pour penser. Il faut, paraît-il, attribuer à ce goût très vif sa résolution présente de vivre loin de Paris.
L'immeuble de l'avenue de Villiers avait coûté à M. Alexandre Dumas 120.000 francs. Il l'a vendu 450.000.
(Le Figaro du 5 novembre 1892)

Aujourd’hui, inutile de chercher l’ancien Hôtel d’Alexandre Dumas : le n° 98 de l’avenue de Villiers est un des rares immeubles de cette voie que la mairie de Paris a autorisé à raser sans vergogne, pour permettre d’y construire un innommable building, haut du double des autres bâtiments. Avec de l’argent, que n’obtient-on pas ?...

La Nymphe Echo d’Adrien Gaudez, que le parc des Thermes de Luxeuil a dédaigné d’acheter, est passée en diverses ventes, et nous avons eu la chance d’en trouver la trace, malheureusement sans reproduction, lors d’enchères réalisées le 21 octobre 1998, au prix de 1.150 livres sterling.
Compte tenu de sa description, il s’agit à coup sûr de la bonne statue : sculpture en marbre blanc de 89 cm de hauteur, avec la nymphe Echo, nue, courant et tenant une syrinx, inscription Echo sur l’avant et signé A. Gaudez sur le côté. Seule ombre au tableau : la cheville droite du monument est brisée et deux orteils gauches sont manquants.
Auction 21.10.1998. — A french sculpted white marble figure of Echo running, by Adrien Étienne Gaudez, late 19th century, the nake nymph running and holding a syrinx, on naturalistic bas inscribed to the front Echo and signed to the side A. Gaudez, right ankle cracked, lacking two left toes. 35 inches (89 cm.)
Estimate : £800 - £1.200 — Price realised : £1.150
RFL Online Services GmbH Brunnenwiesen 34D — 70619 Stuttgart
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