Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

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Djclone
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Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Concernant le bric à brac du 1er ministre de la mort, il s'agirait du 75 de la rue Caulaincourt ( source La vie secrète de Montmartre Edition Omnibus)
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Carte à voir aussi dans la collection : ICI
Sujet déplacé de la collection
Bastille91
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ombellule
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour
Je peux vous éclairer depuis peu sur ce premier ministre de la mort, grâce au livre de Warnod "Brocante et les petits marchés de Paris" (1914), prêté par un ami.

Cet homme original s'appelait Dalechamp. Il est dit "poète et colombophile). Il a changé plusieurs fois de domicile habitant rue du Mont-Cenis, du temps où il était cocher de fiacre. Il habita donc longtemps le Maquis, puis le 35 rue Caulaincourt (ce doit être la vue de la brocante). Sur sa porte il était inscrit "Dalechamp Constant, brocanteur / métaux ; fait courses et déménagements ; sommelier, mise de vin en bouteilles ; débarras de cave, distribution de prospectus, livres, écrits ; vente et achat de toutes sortes ; réparations en tous genres, meubles, literie ; fabrique de sommiers ; sosie, amphitryon, serrurier."
Chez lui, se trouvaient des cages disposées les unes au dessus des autres et les oiseaux (pigeons) pouvaient aller et venir à leur guise. Avec un drapeau tricolore qu'il agitait dans les airs, il les faisait revenir à lui... ! Ces pigeons avaient leurs ailes peintes... en bleu blanc rouge.Car Dalechamp était un fervent patriote !! Il pensait pouvoir dresser grâce à eux une carte des airs pour les aviateurs !

Il existe une autre carte postale de Dalechamp (mais que j'ai identifié seulement à lecture du chapitre du livre de Warnod !!

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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

En 1910, on trouve :

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bastille91
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour à tous et merci à Djclone et à Danielle pour ces petits plus
Il y a quand même quelque chose qui me chiffonne sur cette adresse, la carte de François est oblitérée en 1905, sur D* il existe une carte oblitérée en 1904 ... le seul petit hic c'est qu'en 1904 le numéro 35 de la rue Caulincourt n'est pas indiqué et en 1904 il n'y a aucun Brocanteur au nom de Daléchamps.(avant 1904 non plus), je retrouve son nom et l'adresse 35 rue Caulincourt en 1909.
Sur la CPA de François un écriteau nous indique " Melle Jeanbert Sage Femme de 1er Classe " après une petite recherche elle était installée en 1904 au 61 Rue Custines. (environ 700 mètres du 35 de la rue Caulincourt )

Djclone nous donne en référence le 75 de la rue Caulaincourt (source La vie secrète de Montmartre Edition Omnibus), le 35 a bien été une adresse de Daléchamps au moins jusqu'en 1914 ... mais si cette carte de 1904 n’était pas au 35 ni au 75 de la rue Caulaincourt ?? qu'en pensez - vous :?:

Bastille91
Pascal
Brocanteur en 1904 et Rue Caulaincourt en 1904
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour Pascal et à tous...

Plusieurs hypothèses :
- Ce Constant Dalechamps était tout sauf constant !! Il a habité plusieurs endroits et sans doute parfois ne devait-il pas être répertorié dans les bottins...
- Je n'ai pas trouvé non plus ce monsieur en 1904 à aucun n° de la rue Caulaincourt
- Il apparaît dans le Didot Bottin 1908 au 35 rue Caulaincourt tandis que Melle Jeanbert est toujours rue Custine au 61...
- Peut-être cette plaque est-elle une plaque publicitaire, pas forcément à l'endroit où cette sage-femme exerçait. Mais peut-être aussi était-ce une plaque que Dalechamps avait récupérée... il me semble qu'elle est accrochée avec une chaîne à un clou... ??

Pour info, ma propre carte de la brocante est également oblitérée en 1905 (27 avril pour être précis) !!
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bastille91
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour Danielle et à tous
Pour la plaque de la sage femme ..elle est à mon avis plaqué sur le mur de pierre à coté de l'affiche "AVIS", les chaines sont sur la façade de la brocante (image), par contre aucune adresse n'est indiquée sur la plaque de la sage femme ...700 mètres c'est un peu loin :roll:
j'ai aussi l'impression de voir une corniche d'angle ce qui pourrait indiquer l'angle d'une rue ou de ruelle, (en haut à gauche de la carte) ... est-ce que le N°35 à l'époque aurait pu se trouver en angle de rue ?
Enfin voila mes impressions ;)
Pascal
il me semble qu'elle est accrochée avec une chaîne à un clou... ??
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Re

Voici ce que dit le texte de Warnod :
" Il avait une bien singulière maison, pas plus curieuse que celle qu'il occupe aujourd'hui, et qui se trouve au numéro 35 de la rue Caulaincourt.
Du trottoir on ne peut pas la voir, on est tout juste un peu surpris de voir un drapeau tricolore flotter au-dessus d'une porte prise dans une palissade en bois..." "... Une fois la porte franchie, on a devant soi un océan de verdure ; un petit escalier en pierre descend à pic et tout de guingois sous les arbres et parmi les broussailles"

J'ai scanné le coin de la carte pour voir mieux les détails : tu as raison pour la plaque, elle est sur le mur. La chaîne apparemment présente des menottes (?). On voit aussi la porte d'entrée ci-dessus décrite. La plaque de la sage-femme indique bien le 61 rue Custine en tout cas... En revanche, je ne crois pas qu'il y a ait une ruelle... mais plutôt une moulure en bois qui s'arrête...

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bastille91
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Danielle, juste pour le fun...pourrait tu scanner en très très gros plan et grosse résolution les deux cadres ronds séparément ... élection Municipale Daléchamps etc. etc. mais il me semble voir une date et sur l'autre cadre une photo
Pascal
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Voici les deux scans... Le second se lit aisément. Le premier un peu moins...

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bastille91
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour Danielle et à tous rien de vraiment concluant sur le cadre mais beaucoup de questions sur cette histoire, voici ce que j'arrive à lire
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(le T de mort représente la croix sur la tombe dessinée en dessous du mot)

Par contre est-ce que l'on connaît l’histoire de cette élection, car sur l'autre cadre le nom de l’élu est TUROT qui se retrouve déjà en 1904 aux élections du conseil des Prudhommes ( TUROT Journaliste (Grande-Carrieres, XVIIIe - 47 ter rue Dorsel et 9 rue Damrémont)
les amateurs de Montmartre devraient peut-être s'y retrouver ;)
Pascal
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour

Je lis
"ELECTIONS MUNICIPALES
du
1ER MAI 1904 Elles ont effectivement eu lieu les 1 et 8 mai 1904
QUARTIER GDES CARRIERES
XXX XXXXX XXXX MONTMARTRE
DALECHAMPS (peut-être Constant
Premier??MINISTRE DE LA MORT
CANDIDAT
peut-être républiqueSOCIALISTE
xxxxx des doutes sur "enterrement" - entièrement ??
DIEU PROTEGE LA FRANCE"

Sur le site de Djclone, on trouve :

Le Journal Le Temps du 1917/01/29 parle du premier ministre de la mort en ces termes dans sa rubrique AU JOUR LE JOUR: La Sagesse d’un fou: Sur les pentes de l’ancien maquis montmartrois vivait naguère un « simple du nom de Daléchamps. Il se signalait parfois à l’attention de ses contemporains en leur offrant de les représenter à la Chambre des députés. On ne sait pourquoi il se donnait comme « Premier Ministre de la Mort ». Ses affiches électorales étaient l’œuvre de sa main. Il les peignait en blanc sur fond noir, et sa profession de foi était, par les signes qui l’exprimaient, cabalistique.

Pour le reste, il faudrait fouiller dans les journaux de l'époque...
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour, Cette photo du musée Carnavalet laisse penser qu'il était peut-être au 84 rue Caulaincourt, ce qui selon le plan parcellaire de Paris de 1889 était situé dans le maquis, au niveau du début du futur avenue Junot:
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour à tous,
Alléché par ce Daléchamps, j'ai tenté d'en dénicher un peu plus.

Le bougre s'était donc frotté quelque peu à la politique puisqu'il s'était présenté aux législatives de 1902, en obtenant le score "fort honorable" de 14 voix sur 11.904 votants !
A noter que se présentant contre Marcel Sembat dans sa circonscription, Daléchamps n'était pas entraîné sur les mêmes pas de danse, lui qui pratiquait celle de la "mort" ne pouvait rivaliser avec la danse endiablée de son adversaire !
Il demeurait officiellement à cette date au 156 rue Marcadet.

Mais il n'était ni à son premier coup d'éclat, ni à sa première excentricité !
Dès 1900, il s'était illustré lors d'une "Grève des cochers", se faisant appeler chansonnier-poète-cocher, et publiant une de ses immortelles odes dans les journaux ! (je n'ai malheureusement pas encore toujours trace de la poésie probablement impérissable de notre fougueux Montmartrois !).
On apprend également, en 1901, qu'il est le trésorier du dépôt des cochers du boulevard Ornano.

En 1904, le 15 mai, le vieux maquis disparaît, et le poète cocher de fiacre a droit à un petit entrefilet dans les journaux !
Auguste Constant Daléchamps était une belle figure emblématique des derniers jours du vrai Montmartre !

Fouette, cocher !....
Jean-Marc


Journal Le Rappel 19 aout 1900
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Journal l'Echo du public 7 septembre 1901
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Journal La Justice 23 avril 1902 - Bulletin municipal de Paris 27 avril 1902
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Journal Le Rappel 21 avril 1904 - La fin du Maquis montmartrois
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Journal le Temps 15 aout 1900 - La Grève des Cochers de Fiacre
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JeanMarc
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Donc, notre Constant Daléchamps, prend le flambeau de la grève des cochers de fiacres de la "Compagnie générale des voitures à Paris", le 14 août 1900, et compose le 15 ou le 16 août des strophes enflammées, publiées le 17 août. Mais en fait, il semble que notre cocher n'appartienne pas à la compagnie en question.

En effet les grévistes sont convoqués au siège de la compagnie, 1 place du Théâtre Français, alors que Daléchamps est trésorier du dépôt d'Ornano. Après recherches (fructueuses), il appert que cet entrepôt se situe rue des Portes-Blanches (n°8) et appartient à la principale concurrente, la "Compagnie Parisienne de Voitures l'Urbaine", dont le siège social se situe 24 rue du 4 septembre à Paris, après avoir été au préalable situé 74 rue de Flandre.


Ancien lieu du Dépôt d'Ornano de l'Urbaine — Rendez vous des chauffeurs, situé face au dépôt Ornano, établissement que devait fréquenter Daléchamps de temps à autre !
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Cette compagnie se distingue de toutes les autres par le port de rigueur d'un Chapeau Blanc par les Cochers, et par la couleur jaune de ses voitures. Elle est, depuis deux ans, sous la houlette d'un administrateur judiciaire, du fait du décès prématuré de son dirigeant Henri de Lamonta, le 5 janvier 1898.

Ce de Lamonta mérite qu'on fasse un léger retour en arrière, d'autant qu'aucun écrit ne lui a été consacré à ce jour!
Né en 1844 à Digne, après quelques tentatives politico-littéraires que nous relaterons ultérieurement, il se lance dans la finance et crée sa propre banque, au 51 rue Taitbout, se faisant une spécialité du placement de titres de sociétés atypiques auprès d'épargnants et rentiers. Dès 1871, il lance un journal financier "Paris-Gazette", puis "la Gazette de Paris", 20 rue Saint Marc, destinée à défendre et vanter les placements juteux dont il tire ses commissions.


Le Figaro 19 aout 1878 - Publicité pour la Gazette de Paris
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Tant et si bien qu'en 1878, au vu des profits considérables récoltés par ses opérations, il transfère son siège social au 59 rue Taitbout, hôtel qu'il fait construire à cet effet. Le journal "Le Monde illustré" du 10/8/1878 le décrit sous forme dithyrambique :
"Le hall de l'hôtel mesure 21 mètres de longueur sur 9 de large. En entrant dans ce hall, on trouve, à droite, une vaste salle exclusivement réservée aux clients de la Gazette de Paris et où ceux ci peuvent venir faire leur correspondance, lire les journaux, prendre connaissance des dépêches, etc., qu'apporte incessamment un fil spécial à l'hôtel. Au fond, et à droite du rectangle que forme le hall, sont installés les services des caisses et des titres.
Au milieu, du côté gauche, se trouve une belle cheminée monumentale, reproduction exacte de l'une des
cheminées du château de Blois.
Le hall s'élève jusqu'à la hauteur du troisième étage. Il est recouvert d'un vitrage soutenu par une élégante toiture en fer, que des conduites d'eau ingénieusement disposées permettent d'inonder en un instant, soit pour entretenir les vitres dans un état de limpidité satisfaisante, soit pour produire en été une agréable fraîcheur.
Dans toutes les autres parties de la maison, on retrouve la même installation commode et intelligemment réglée, afin que les différents services s'effectuent avec rapidité. Nous pouvons terminer en déclarant que M. de Lamonta est parvenu à faire un établissement modèle qui mérite l'attention des étrangers qui affluent en ce moment à Paris."


Immeuble 59 rue Taitbout, siège social qu'Henri de Lamonta se fait construire
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Le 10 janvier 1879, Henri de Lamonta signe un Traité avec Jean-Jacques-Frédérick Terme, administrateur de la Compagnie Parisienne de Petites Voitures et Messageries, par lequel cette société s'engage à déposer toutes ses recettes journalières chez de Lamonta. Cette société, sise à Paris, 74 rue de Flandre, vient d'être créée en date du 19 décembre 1878, par apport de plusieurs entités distinctes :
— La Compagnie de Voitures l'Urbaine (Camille et Cie) ;
— La Compagnie anonyme des Messageries Parisiennes ;
— La Réunion des entrepreneurs de Transports des Abattoirs de la Ville de Paris.

Gustave Camille qui, en 1872, a fondé la société Gustave CAMILLE et Cie, dite Compagnie des Urbaines, démarrant avec une vingtaine de voitures, apporte en 1878 à la Cie Parisienne de Petites voitures, un fonds relativement important (200 coupés, 85 victorias et 600 chevaux), et surtout sa notoriété, les voitures de sa compagnie étant fort prisées, au point que les voitures de sa compagnie avaient fini par être désignées couramment à Paris sous le vocable de "Camilles". Il reste quelques temps "directeur" de la nouvelle société, et décédera le 22 avril 1882.

Traités passés entre la Cie Parisienne de Voitures l'Urbaine et Henri de Lamonta de 1878 à 1882

Le Petit Parisien 12 février 1879 - Souscription d'actions appels de fonds publique par de Lamonta.
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Dès sa création la société reçoit une sommation de sa principale concurrente, la Compagnie générale des Voitures, connue sous le nom de Compagnie des Petites Voitures à Paris, laquelle considère, à juste titre, que la raison sociale de la nouvelle société a été choisie de manière à créer la confusion. Le tribunal oblige la nouvelle compagnie à modifier son nom et elle s'appellera dorénavant Compagnie Parisienne de Voitures l'Urbaine.

A contrario, la Compagnie subit de son côté des préjudices pour "plagiat" de ses voitures, puisqu'elle est obligée de publier un communiqué en date du 30 septembre 1880 rédigé ainsi :

"AVIS AU PUBLIC
Quelques loueurs persistent à imiter l'apparence extérieure des voitures de la Compagnie Parisienne de Voitures l'Urbaine, afin de profiter de la faveur dont elles jouissent auprès du public. L'Administration rappelle que les caractères distinctifs des voitures l'Urbaine sont les suivants : les roues, la caisse et le train des voitures sont jaune paille, les portières des coupés sont ornées d'un écusson aux armes de la Ville de Paris surmontées d'un buste de cheval, les lanternes portent en exergue le mot Urbaine, les cochers ont la livrée blanche et le chapeau blanc."


Fiacre de la Compagnie l'Urbaine - Ecusson des voitures de l'Urbaine
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Mais revenons à notre banquier Henri de Lamonta qui est le "dirigeant de fait" de cette Compagnie ; d'augmentations de capital — sur lesquelles il ponctionne de grasses commissions, notamment en 1882, une somme de 480.000 frs — en émissions d'obligations auprès du public, par l'intermédiaire de sa banque, il va développer de manière considérable l'activité de "l'Urbaine", ainsi qu'accroître le patrimoine foncier de celle-ci.
Au 15 octobre 1880, l'Urbaine est propriétaire de 32.000 mètres carrés :
— 1. Dépôt de l'Etoile, 13 et 15, rue des Acacias.
— 2. Maison de rapport louée par bail pour 18 ans, à raison de 24.000 frs par an, 13 et 15, rue des Acacias
10.614 mètres ; 2.350.000 frs.
— 3. Dépôt de la Grange-aux-Belles, 93, boulevard de la Villette.
— 4. Atelier de construction et de réparation des voitures, 9, rue des Buttes-Chaumont.
7.554 mètres ; 1.450.000 frs.
— 5. Dépôt Piat, 11, rue Piat : 2.100 mètres ; 220.000 fr
— 6. Dépôt de Flandre, 74, rue de Flandre
— 7. Dépôt de Seine, 71 et 75, rue de Seine
6.242 mètres ; 733.000 frs.
— 8. Dépôt Montparnasse-Vaugirard (terrains non bâtis), 96 rue des Fourneaux ; 5619 mètres ; 225.000 frs.
Total 32.131 mètres.
— 9. Dépôt de Jemmapes (Aménagements et constructions), 58 quai de Jemmapes ; 150.000 frs.
— 10. Annexes aux Ateliers de Grange-aux-Belles (Aménagements et constructions) 9 rue des Buttes-Chaumont; 25.000 frs.

A la fin de l'année 1880, 2 autres acquisitions :
1° Dépôt d'Ornano (600 chevaux). 7.316 mètres de terrain, rue des Portes-Blanches, près du boulevard Ornano ;
2° Dépôt Vauvenargues (600 chevaux) et annexe générale pour les voitures d'été. 11.813 mètres de terrain à l'angle des rues Vauvenargues, Championnet et Ordener.

Le matériel roulant s'est augmenté, pendant l'année 1880 de 351 coupés, 166 victorias et cabs et plusieurs
voitures de grande remise, ce qui, au 31 décembre 1880 dernier, donne les chiffres suivants :
— 742 coupés, dont 14 à 4 places;
— 490 victorias et cabs ;
Et un nombre important de voitures de grande remise et de voitures de corvée.
L'effectif de la cavalerie, qui était de 1.135 chevaux au 1er janvier 1880, s'élève à 2.044 au 31 décembre.


Le Petit Parisien 15 octobre 1880 — Souscription obligations lancée par de Lamonta au profit de l'Urbaine
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La Compagnie, tout comme ses concurrentes, va essuyer quelques grèves, notamment en janvier 1884 :
— Jeudi 3 janvier, il est sorti 37 voitures sur 140 du dépôt de la rue des Fourneaux ; 70 sur 180 du dépôt de l'Etoile ; 15 sur 195 du dépôt de la rue de Flandre, et 17 sur 230 du dépôt de la Villette, soit un total de 137 voitures sorties sur 745. (...) Les chefs de dépôt ont été réunis chez M. de Lamonta, banquier de la Compagnie, 59, rue Taitbout. M. de Lamonta a déclaré qu'il était décidé à résister et a remis aux chefs de dépôt les sommes nécessaires pour restituer les cautionnements aux cochers qui refusent de travailler. Une vingtaine, ayant réclamé leur compte, ont été ainsi définitivement réglés.

Grève des Cochers de l'Urbaine en janvier 1884
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Henri de Lamonta, devenu "Comte", marié avec une certaine Bianchi (fille d'Alexandre Bianchi, décédé le 19 mars 1891, très connu à la Bourse de Paris et nièce de Marius Bianchi, agent de change honoraire, ancien député de l'Orne), outre son siège social rue Taitbout, va acquérir quelques propriétés :
— Hôtel particulier 78 rue de Courcelles à l'entrée du Parc Monceau, à Paris ;
— La Villa " Monplaisir ", à Dieppe (Seine-Inférieure), face à la mer.
... propriétés qui figurent nommément, pour faire bonne mesure, sur l'annuaire des châteaux des années 1897 à 1900 !

De Lamonta, décédé, comme il est dit plus haut, le 5 janvier 1898, à l'âge de 54 ans, la Compagnie est mise en liquidation judiciaire le 13 juillet 1898, entre les mains d'un certain Ponchelet, l2 rue Chanoinesse, qui aura toutes les difficultés du monde à détricoter l'écheveau des affaires de l'homme d'affaires.
Le 25 janvier 1902, la veuve de Lamonta est condamnée à payer à la masse des créanciers, la somme de 5.328.000 frs, son mari ayant, par des manoeuvres dolosives entre 1879 et 1882, fait main basse sur une grande partie des fonds provenant d'une augmentation de Capital de l'Urbaine !...
Aux termes d'un concordat homologué le 8 mars 1902, la Compagnie s'engage à payer aux créanciers 64% de leurs créances, payable en .... 75 ans ! Il va sans dire que ces conditions de règlement farfelues n'ont jamais été respectées, que la faillite de la Compagnie a été prononcée en 1909, et que les derniers actifs mis en adjudication chez Maître Meunié, notaire à Paris, 37 rue Poissonnière, n'ont pas trouvé preneur. Néanmoins, elle continuera une activité restreinte jusqu'en 1930, puisqu'elle sera absorbée, à cette date, par ce qu'il reste de sa concurrente, la Compagnie générale des voitures à Paris, devenue Compagnie Auxiliaire des Voitures à Paris en 1928. L'ensemble de cette nouvelle entité dépose son bilan en 1934, signe un concordat en 1935, prend le nom-sigle de C.G.V. (Compagnie générale des voitures à Paris) en 1977, pour s'appeler définitivement SCOR en 1989, la fameuse grande compagnie de Réassurance, à échelle internationale.
La Comtesse A. de Lamonta, née Bianchi, va continuer de mener grande vie, au 64 Boulevard de Courcelles, face au Parc Monceau, où elle reçoit tous les après-midi de 14h à 18h le gratin des "nouveau riches" parisiens ; dans le même petit immeuble, vit Madame Victorien Sardou, née Soulié, épouse de l'auteur dramatique célèbre.
Elle fréquente assidûment l'Opéra, y détenant une baignoire en avant scène, la Comédie Française, lieux mondains auxquels elle est abonnée ; elle décéde à Fontainebleau en octobre 1917.

Jean_Marc


Le Figaro 22 février 1904 mise en vente Villa Monplaisir à Dieppe — Vue actuelle de cette villa (Bld de Verdun - anciennement Aguado)
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Sources :
Journal des sociétés civiles et commerciales Juillet 1902
Archives commerciales de France 20/7/1898
Archives commerciales de France 16/1/1879
Archives commerciales de France 24/2/1909
Journal du Palais 1881
Journal des finances 11/1/1906
Journal des finances 15/3/1902
Journal des finances 25/1/1902
Journal des finances 8/3/1902
Journal des faillites et liquidation 1900
Journal des faillites et liquidation 1900
Annuaire des châteaux 1897 1898 1899-1900
Paris Mondain 1908
Le Figaro 6/1/1898
Le Figaro 15/4/1891
Le Figaro 19/3/1891
Le Figaro 23/9/1873
Le Figaro 19/9/1873
Le Figaro 15/9/1873
Le Temps 25/1/1902
Le Temps 23/2/1901
Le Temps 8/1/1898
Le Temps 6/1/1898
Le Temps 15/6/1889
Le Monde Illustré 12/1/1884
Le Monde Illustré 10/8/1878
Le Petit Parisien 28/3/1882
Le Petit Parisien 15 octobre 1880
Le Petit Parisien 12 février 1879
Le Petit Parisien 22/4/1882
Le Petit Parisien 30/9/1880
Le Gaulois 12/10/1917
Les Journaux de Paris pendant la Commune - Lemonnyer 1871
Catalogue général de la Librairie Française 1877
Conseil Municipal de Paris - Rapports et Documents 1886


(à suivre peut-être, si ça intéresse quelques uns !...)
Modifié en dernier par JeanMarc le ven. 28 févr. 2014 12:00, modifié 1 fois.
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Bonjour Jean Marc et les autres,
une petite carte photo concernant l'Urbaine située en effet 6 rue de Portes Blanches (j'y ai habité plusieurs années... quelques temps après :lol: !!), ce qui explique que j'ai acheté quelques cartes de cet endroit !!! A noter que c'est la société Kermina La Métropole qui succéda à l'Urbaine, célèbre pour ses taxis G2 qui seront réquisitionnés en partie pour la guerre 14-18.

Un cocher et son haut de forme blanc :

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En voilà quelques-uns au 8 rue des Portes Blanches un café qui faisait face au Rendez-vous des Cochers.

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Enfin une dernière avec les maréchaux de l'Urbaine (texte au dos de l'un d'entre eux)

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JeanMarc
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Merci Ombellule !
Comme promis plus haut, voici les faits de "jeunesse" du patron de Daléchamps :

Henri de Lamonta s'était tout d'abord essayé à l'écriture, créant un journal pendant la Commune de 1871, "l'Honneur National" qui comportera 16 numéros du 14 janvier au 6 avril 1871, puis publiant un fascicule sur le bonapartisme en 1872 :
LAMONTA (Henri de) — L'Armée et la conspiration bonapartiste. In-8°. 1872 — Le Chevalier. l fr.
C'est probablement en raison de cette publication qu'il va s'attirer les foudres d'un certain Firmin Maillard, par le Figaro interposé !


Journal l'Honneur National 1871 + L'Armée et la conspiration bonapartiste
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Petite échauffourée au Figaro, entre Henri de Lamonta et Firmin Maillard
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Le Figaro 15/9/1873
"De tous les journaux de la Commune, le plus étrange et le plus abject, le plus curieux et le plus bizarre, le plus méconnu et le plus recherché, c'est sans contredit le Père Fouettard.
S'il n'a pas laissé, dans l'histoire de l'insurrection, une trace plus profonde de son passage, cela tient uniquement à la brièveté de son existence il n'a eu que neuf numéros.
Le Père Fouettard. était un journal dans, le genre et dans le format du Père Duchêne ; mais son langage, quoique dépourvu de grossiers jurons, était plus terre à terre, plus trivial et plus populacier encore. (...)
Le Père Fouettard fouettera tout ce qui mérite d'être fouetté, et rien n'arrêtera sa lanière, non rien, entendez-vous, diable de diable, rien.
Ainsi grands mômes et vieux moutards, relevez la chemise.
Et pan, pan, pan!
Vous, femmes, troussez vos jupons.
Et pan, pan, pan!
Vous, curés, à bas la soutane!
Et pan, pan, pan!
(...)
D'après M. Firmin Maillard, le Père Fouettard était rédigé par M. H. de la Monta, qui pendant la guerre, avait publié à Bordeaux l'Honneur national, journal d'actualités. Nous reproduisons cette assertion sans la garantir."

--------------------------------------------------
Le Figaro 19/9/1873
" Nous avons eu raison, dans notre dernier article, de ne rien affirmer relativement au rédacteur du Père Fouettard.
M. Maillard en attribue la paternité à M. H. de Lamonta, mais celui-ci la repousse avec indignation. De nouveaux renseignements, recueillis ces jours derniers, nous donnent la certitude que M. Maillard a commis une erreur. Voici, au surplus, la lettre que nous recevons de M. H. de Lamonta " :

Paris, le 17 septembre 1873.
Monsieur le Rédacteur du Figaro.
On m'apporte à l'instant le Figaro du 15 septembre qui, sur l'assertion de M. Firmin Maillard, me dénonce comme ayant été, pendant la Commune, le rédacteur du Père Fouettard.
Je ne puis, sans protester énergiquement, laisser passer une imputation que je considère comme calomnieuse.
De près ou de loin, je n'ai jamais pris part à la rédaction de cette feuille, que je m'abstiens de qualifier.
J'oppose donc le démenti le plus formel et le plus catégorique aux assertions de M. Firmin Maillard.
Je fais assigner, du reste, devant les tribunaux, l'auteur et l'éditeur d'un écrit qui porte atteinte à ma réputation d'homme et d'écrivain.
Mais la publicité du Figaro est trop considérable pour que je ne lui demande pas de répandre ma protestation comme elle a répandu l'accusation.
Je compte, monsieur le rédacteur, sur votre loyale impartialité pour faire droit à ma requête, et vous prie d'agréer l'assurance de ma considération distinguée.
HENRI DE LAMONTA,
Directeur de Paris-Gazette,
20, rue Saint-Marc.

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Le Figaro 23/9/1873
BOÎTE AUX LETTRES

Paris, 19 septembre 1873.
Monsieur le Rédacteur en chef,
Je vous serais très obligé de vouloir bien donner à la note suivante la publicité de votre journal.
J'ai dit dans mon Histoire des journaux publiés à Paris pendant le siège et sous la Commune, histoire publiée il y a deux ans, que M. de Lamonta avait rédigé le journal le Père Fouettard. M. de Lamonta affirme, dans le Figaro d'avant-hier, n'avoir jamais, de près on de loin, pris part à la rédaction de cette feuille.
Devant cette affirmation, je n'ai qu'à m'incliner et je regrette que ma bonne foi ait été surprise.
Agréez, monsieur, l'assurance de ma parfaite considération.
FIRMIN MAILLARD.


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Sur la notoriété d'Henri de Lamonta après sa mort :

extrait Roman de Félicien Champsaur — Tuer les Vieux 1925


— Vous ne savez donc faire que des romans ?
Hélas! Et je regrette de n'avoir pas choisi la finance. Quand j'avais vingt ans, j'allai voir un banquier, M. de Lamonta, directeur d'une compagnie de voitures, rue Taitbout, des fiacres alors, des fiacres jaunes : l'Urbaine. Il était parti de Digne, mon pays, sans fortune, et je savais qu'il avait erré, dans sa jeunesse, à travers Paris avec des pantalons tirebouchonnant et effilochés. Comme il n'était pas sot, il me dit :
— Vous savez comment j'ai commencé. Eh bien, faites comme moi. A présent j'ai six millions. J'en dois trois. Ça fait neuf.
Tout de suite, il me donnait une leçon d'affaires...

----------------------
... et pour finir, une chanson de Francis Lemarque :

Les fiacres
Les fiacres jaunes de l'Urbaine
Peuvent bien cesser d'exister
S'ils ne sont plus, ils ont été
Et je crois les voir trottiner
En descendant tout d'une haleine
De Montmartre à la Madeleine
Ou la sinistre Trinité

Sans prendre garde au paysage
Pourvu qu'on ne fût pas pressé
Et qu'on tînt les rideaux baissés
Ils nous faisaient faire un voyage
Où quelquefois dans un virage
Tout était à recommencer
Tout était à recommencer

Le cocher qu'était un complice
Et les agents fermant les yeux
N'y voyaient aucune malice
C'était, c'était le temps
C'était, c'était le temps
C'était le temps des amoureux
C'était, c'était le temps
C'était, c'était le temps
C'était le temps des amoureux

Les fiacres jaunes de l'Urbaine
Peuvent bien cesser d'exister
S'ils ne sont plus, ils ont été {x3}


Fiacre de l'Urbaine à l'entrée des Buttes Chaumont
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Des nouvelles fraîches de notre à présent vieille connaissance, j'ai nommé l'ami Daléchamp !
Août 1900
Lors de la fameuse grève d'août 1900, dont Daléchamp était apparemment un des meneurs, le préfet de police Louis Lépine se voit affublé du sobriquet de "petit bonhomme" ; notre poète pousse la chansonnette sur "M. Bixio" (président de la compagnie générale des voitures), faisant "passer d'agréables quarts d'heure à ses camarades".
Les grévistes s'organisent contre les "renégats" qui osent reprendre le travail. Pour ce faire, une ribambelle de cochers sont lancés à bicyclette à la poursuite des collègues récalcitrants afin de relever les numéros de leurs fiacres, et d'autres, déguisés en touristes, munis d'appareils photographiques prennent des instantanés (mais oui, et on est en 1900) de ceux-ci, afin de les confondre plus tard.
Lors d'une réunion des grévistes du 24 août 1900, des "faux frères" sont démasqués, et les lazzis pleuvent ! Sont ainsi cloués au ban de l'infamie :
V. le « Rouquin »,
X. le- « Bouffi »,
Y. dit « Rothschild »,
Z. dit le « Barbu de Réaumur ».
... et les quolibets à leur encontre sont la règle !

Jean-Marc
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26/5/1913 (reprend avec quelques précisions en plus, et surtout un dialogue de Daléchamp, les éléments dont Ombellule nous a gratifiés)
Emile Deflin, journaliste au Gil Blas, fait une visite au patriote de la rue Caulaincourt.

L'homme aux pigeons tricolores
Connaissez-vous Daléchamps ?
Vous ne connaissez pas Daléchamps ?
Vous devriez le connaître.
Par ces temps troublés, il est estimable de compter parmi ses relations un bon patriote, un vrai.
Et Daléchamps est un bon, un vrai patriote.
Donc, je vais vous donner son adresse, c'est au n° 35 de la rue Caulaincourt, un peu au-dessus de la rue Tourlaque. Vous vous trouverez, là, en face d'une palissade grisâtre, à l'alignement des immeubles voisins. Cette palissade, je préfère vous en avertir tout de suite, dissimule à l'œil du passant un ravin à pic, produit des tremblements chroniques d'un terrain particulièrement tumultueux à cet endroit. C'est au fond du ravin qu'habite mon brave ami Daléchamps.
Dans la palissade une petite porte et, sur la porte, un écriteau, un écriteau manuscrit, d'une écriture et d'un style harmonieusement saccadés :
BROCANTEUR
Pour tous pays
Fermé dimanches et fêtes
DALÉCHAMPS Auguste-Constant
Brocanteur, métaux, ventes et achats de toutes sortes
Fait courses et déménagements
Sommelier. Mise de vins en bouteilles
Débarras de cave
Distribution de prospectus. Livres. Ecrits
Fabrique de sommiers
Menuiserie en tous genres
SOSIE. — AMPHITRYON. — SERRURERIE

Telles sont les honorables professions de ce Daléchamps qui cumule : il brocante, fait les courses, les sommiers, les débarras, il est sommelier, il est sosie, il est amphitryon !
Mais je vous ai dit qu'il était aussi patriote et c'est son plus beau titre.
Daléchamps (Auguste-Constant) ne travaille pas seulement pour lui et pour les clients, il travaille surtout pour son pays, il travaille pour la France.
Il élève des pigeons tricolores.
Oui !
Si vous avez un jour le courage de descendre — à pic — jusqu'au domicile de mon ami, il vous montrera ses trente pigeons voyageurs et tricolores.
Car il les a teints, ses trente pigeons, en bleu, en blanc et en rouge et il leur fait faire l'exercice tous les jours à midi.
J'ai assisté hier à la manœuvre.
Pour la circonstance, Daléchamps leur fit exécuter mille prouesses.
Ayant hissé sur le toit du pigeonnier un trophée de drapeaux franco-russes, mon brocanteur-sosie-amphitryon-patriote lâcha ses ramiers...
Et ce fut autour des drapeaux une guirlande tricolore d'ailes déployées, de l'effet le plus communicatif.
Puis Daléchamps leur substitua un trophée de drapeaux allemands et les ramiers se ruèrent en des battements éperdus.
Ainsi les exercices se succédèrent, le patriote soumettant ses élèves aux mouvements les plus imprévus, faisant flotter tour à tour des drapeaux français, des drapeaux russes et des drapeaux allemands aux quatre points du terrain de manœuvres. A aucun instant, les oiseaux ne se trompèrent, alors que je leur donnai moi-même les plus divers commandements.
Ah ! mon ami Auguste-Constant Daléchamps avait le droit d'être fier !
— Voyez-vous, me dit-il en rassemblant autour de nous ses trente pigeons fidèles, comme pour leur faire entendre ses nobles paroles, voyez-vous, si la guerre éclatait, ils partiraient.
— Ils partiraient ?
— Oui, ils partiraient en éclaireurs, comme leurs grands frères, les oiseaux-aéroplanes. Ils seraient utiles, croyez-
moi, car je les ai dressés, ils sont prêts. Et s'il le fallait...
— S'il le fallait ?
— Ils donneraient leur sang pour la patrie. n'est-ce pas, mes enfants ?
Et les trente pigeons assemblés battirent de leurs ailes tricolores, frénétiques.
Je n'ai pu m'empêcher de battre, plus modeste, des mains...

Emile Deflin.
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28/4/1914 Elections municipales
Le joyeux programme
Paris a eu au moins un candidat dont le programme ne ressemblait pas à celui de tout le monde : c'est Daléchamp, brocanteur, colombophile, ami des arts et premier ministre de la mort.
Le candidat Daléchamp réclamait avant tout le déplacement des cimetières et l'aménagement des gares du Métropolitain en piscines.
Sans doute, les électeurs de Montmartre tiennent-ils plus à leurs cimetières qu'à des piscines : ils n'ont donné que trois voix à Daléchamp.
Trois farceurs seulement sur la Butte ?
C'est peu.
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Bulletin paroissial, paroisse St Jean de Montmartre 15/2/1915 n° 9 numéro de Guerre.
Quelques noms de Montmartrois tombés au champ d'honneur et pour lesquels les familles ont demandé des prières à la paroisse :
(...)
21-22. Les deux fils de M. Daléchamps.
(...)
-----------------------------------
28/1/1917
18e arr. — Auguste Daléchamps. bien connu à Montmartre, où il fut candidat à chaque élection et où il vivait entouré d'animaux et d'oiseaux, dans une cabane installée rue Caulaincourt, dans un terrain vague, a été pris de folie subite, hier, et conduit à l'infirmerie spéciale du Dépôt.

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Cocher Parisien (Urbain Taximètre)
publié par Mektoub 17 Lun 28 Juin 2010 13:34

Sources
Gil Blas 26/5/1913
L'Homme libre 28/4/1914
Le Temps 24/8/1900
Journal des débats politiques et littéraires 25/8/1900
Bulletin paroissial, paroisse St Jean de Montmartre 15/2/1915 n° 9 numéro de Guerre
Mektoub : ses jolies cartes
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Où il est démontré que la réputation des cochers n'est plus à faire ! Buveurs, roublards, carotteurs, maîtres-chanteurs, mal élevés, parfois violents, etc...
Extraits de la séance du Conseil Municipal de Paris du 4 mai 1881 réunie à propos de quinze réclamations déposées par les cochers des différentes compagnies parisiennes, et où assistent les dirigeants de ces compagnies : M. Bixio, président (Compagnie générale des voitures de Paris) ; marquis de la Bigne, administrateur et Camille, directeur (compagnie l'Urbaine) ; M. Jauret, directeur des Gauloises convoqué, ne s'est pas dérangé.

— Sur la suppression de l'uniforme.
M. Camille dit qu'il connaît le métier depuis 60 ans et que si on n'impose pas un uniforme on verra bientôt des cochers en blouse.
M. Bixio dit que la Préfecture de police a la manie de tout réglementer, même les fouets.


— Sur le droit de stationnement partout où cela ne gènera pas la circulation.
M. Bixio demande qu'on laisse les cochers libres de stationner où ils voudront et qu'on ne les oblige pas à charger, même sur la station.
M. Camille répond que cela amènera des faits de chantage, par exemple, qu'un cocher demandera 5 francs pour faire une course les jours de pluie.
Il est proposé d'accorder aux cochers le droit de ne pas conduire pendant un certain délai n'excédant pas 30 minutes sous le contrôle du gardien de la paix chargé de la surveillance de la station.
M. Camille proteste vivement.
Il déclare que, sous prétexte de manger ou de faire manger leurs chevaux, les cochers useraient dix fois par jour de ce repos de 30 minutes, mais, en réalité, ils iraient chez le marchand de vin pour boire.

— Sur l'abrogation de l'article relatif à la prohibition de fumer sur le siège.
M. Camille dit que c'est inconvenant et qu'à l'Urbaine on punit les cochers qui fument sur leur siège.

— Sur la suppression des mises à pied et traduction devant le tribunal.
M. Camille préfère de beaucoup le système de la mise à pied, parce que les amendes prononcées par le tribunal pour contraventions sont, en fait, toujours supportées par le patron.

— Sur l'abrogation des articles concernant la longueur et la forme des fouets.
M. Camille est, au contraire, partisan du maintien des articles. Il dit que ce sont les plaintes, très justes, du public qui ont amené la réglementation des fouets, utile même aux loueurs. Il cite en effet le cas de M. Richard, directeur des Lutéciennes qui, antérieurement à la réglementation, a été condamné à 10.000 francs de dommages-intérêts à la suite d'une blessure à l'œil faite à un passant par un cocher des Lutéciennes.
— M. de la Bigne soulève la question du strapontin.
Les cochers, dit-il, demandent qu'on paye suivant le tarif des voitures à quatre places quand on se sert du strapontin. Nous nous y opposons, attendu qu'ils nous carotteraient la différence comme ils le font pour les colis.
(...)
-------------------------
Babs fait fort justement remarquer que notre cocher encourt la suppression imminente de son permis !... :D :D
Figures Parisiennes - Cocher de Fiacre
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publié par Babs Sam 26 Avr 2014 21:14
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Fouette Cocher !... (suite... mais peut-être pas fin, sait-on jamais ?)

J'ai enfin pu mettre la main sur le texte de la chanson du poète-cocher Daléchamp, chanson qui est à l'origine de cette dénomination de poète-cocher.

Autour de la Grève des Cochers. — La grève des cochers de la Compagnie générale des Voitures s'éternise : le calme et surtout l'entente des grévistes leur a donné une force de résistance sur laquelle ne comptait certes pas M. Bixio, et, en vérité, on ne peut croire que les revendications de ces cinq mille hommes qui, depuis treize jours, vivent avec soixante-quinze centimes en moyenne par tête, que leur alloue le syndicat, ne soient vraiment justifiées. On ne se s'impose pas, de gaieté de cœur, un jeûne qui menace de durer plusieurs semaines, sans avoir la conviction de son bon droit. Voilà, ce qu'indéniablement se dit le brave public parisien, qui, quoique lésé dans ses intérêts par cette grève, approuve tacitement les cochers — avec lesquels, cependant, il a eu quelquefois maille à partir.

C'est ainsi que les rares cochers de la Compagnie qui s'étaient séparés de leurs camarades et étaient restés sur le siège, constatèrent avec stupéfaction qu'ils ne « chargeraient » pas de Parisiens dans leur véhicule, et ne pourraient compter, pour faire leur journée, que sur des étrangers ou des provinciaux, peu au courant des mœurs de la capitale.

Mais, un signe certain de la prolongation de l'état de choses actuel, si les concessions en somme peu importantes que demandent les grévistes ne leur sont pas accordées, c'est la réelle bonne humeur, l'entrain, et on peut dire la gaieté régnant parmi les cinq mille et quelques cochers qui refusent de remonter sur leur siège. Ils discutent bien très haut à leurs réunions quotidiennes, mais ils chantent aussi à pleine voix ; et voici l'espèce de Marseillaise composée, sans prétention, j'aime à le croire, par l'un des leurs, le cocher Daléchamps. Ces vers, que nous publierons les premiers vont d'ailleurs être imprimés, dès demain, à plusieurs milliers d'exemplaires — aux frais du comité de la grève, s'il vous plaît ! — et distribués à tous les grévistes. Ils pourront ainsi l'apprendre par cœur et la chanter en choeur.


LA GREVE DES COCHERS
Chanson créée par notre camarade Daléchamps (Constant), cocher et trésorier du dépôt d'Ornano.


I
C'est la grève forcée,
Qu'on vient d' nous imposer,
Ne pouvant pluss payer
Le prix de la journée !

Refrain
C'est la grève - C'est la grève - des cochers
Travailleurs
Ayons du cœur
Et sachons résister.

II
Nous venons de nommer
Une délégation
Chargée de nous représenter
A l'administration.

III
A Bixio tout surpris,
Les cochers syndiqués,
Exprimèrent l'avis
Qu' la moyenne fût baissée.

IV
Vous avez du gagner,
Leur dit-il, du pognon
Depuis l'Exposition,
Fallait le conserver.

V
Depuis sans conscience,
Nous menant en troupeaux,
Avec indifférence,
Il ferme ses dépôts.

VI
Remercions la presse
Qui veut bien nous aider.
Calmes, mais sans faiblesse.
Nous devons triompher.

VII
Paul, Wagram et Camille,
Déjà sont triomphants.
Bientôt dans la famille,
Tous, nous serons contents.

VIII
De même l'Urbaine, Seine,
Qui sût nous protéger,
La Métropolitaine
Retournent travailler.

Final
Et l'accord étant fait,
Demain probablement,
Le public satisfait,
Nous reverra sur l' banc.

Il faut entendre Daléchamps lui-même rythmer ces strophes de sa voix grave, inspirée, qui donne parfois aux mots et aux phrases la signification qu'ils n'ont pas toujours.
Petit, maigre, la barbe et les cheveux longs et blonds, le cocher-poète ne manque pas d'une certaine allure, et en tout cas de conviction.

Mais, pendant que les cochers jeûnent, discutent et chantent, que font les chevaux ? Leur sort, pour ceux qui aiment ces braves bêtes, ne manque pas d'être intéressant, dans les circonstances présentes. Elles ne jeûnent pas, mais n'ayant pas de poète, s'ennuient terriblement. Et puis, des chevaux, lorsqu'ils restent inactifs à l'écurie, risquent de tomber malades. Aussi, la Compagnie générale s'est-elle vu obligée d'engager bon nombre de palefreniers supplémentaires, dont le travail depuis sept heures du matin jusqu'à sept heures du soir consiste à promener dans la cour clés dépôts, lorsque celles-ci sont assez grandes, le long des fortifications dans le cas contraire, les chevaux inoccupés.
Chaque homme en promène deux à la fois monté sur l'un et tenant l'autre à la main. Les bêtes, inaccoutumées à ce long repos, sont devenues — ô stupeur ! — presque fringantes.

J'interroge, rue de la Jonquière, un homme d'écurie.
— Si la grève se prolonge une semaine encore, il y aura des chevaux inattelables. Ils seront redevenus peureux, démarreront difficilement, seront devenus rétifs ou rueurs. Certes du fait de ce chômage forcé, la Compagnie
verra sa cavalerie diminuer, et perdra peut-être ses meilleurs chevaux au moment où il faudra les remettre en service. En attendant, voyez, ils se portent assez bien et ont même très belle apparence : la grève les a fait engraisser.

Montville.
(Le Journal 17 août 1900)

Paris 1912 - Taxi de la Compagnie "L'Urbaine". (précisément la Compagnie où travaillait Daléchamp)
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publié par Jean-Pierre Rigouard Mar 11 Fév 2014 12:17

Chanson de Constant Auguste Daléchamp (Le Journal 17 août 1900)
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Jean-Marc
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Re: Montmartre-le bric à brac du 1er ministre de la mort

Merci infiniment Jean-Marc.
Je suis d'autant plus intéressée que j'ai quelques cartes de ce dépôt de l'Urbaine rue des Portes Blanches avec des cochers !! Ah trouver Dalechamp sur l'une des voitures, un rêve !!
Je viens en attendant et à l'instant d'acheter une chromo de la grève des cochers éditée par la Boucherie du Rond Point Ornano !!

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Ombellule / Danielle
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