Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

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JeanMarc
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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Maison Pépin, épicerie et marchand de couleurs - 1 rue du faubourg Saint-Antoine (XIe arrt.)

Beaucoup à dire sur ces deux immeubles, somme toute d’apparence classique, encadrant l’entrée de la rue du Faubourg-Saint-Antoine, l’un à gauche au n°1 formant l’angle avec le n°2 rue de la Roquette, le second au n°2 du faubourg à l’angle de la rue de Charenton.
Nous passerons rapidement sur l’immeuble situé en façade, rue de la Roquette, avec tous ses larges panneaux publicitaires signalant la présence notamment du Cabinet dentaire au 1er étage et surtout celle des Ateliers du Meuble «
Au Confortable » (magasins de ventes 4 à 8 rue de Rome), installés dans le passage du Cheval Blanc dont l’accès est visible sous les troisième et quatrième fenêtres dudit immeuble en partant de la gauche. Ce passage, également appelé cour du Cheval Blanc, abrite une vingtaine d’artisans et commerçants, essentiellement dans le domaine du bois. Au fronton de l’entrée, Emmanuel Zwiener signale grâce à son enseigne qu’il fabrique des meubles d’art ; par ses réclames nous en savons plus : successeur de Heubès depuis 1882, il est ébéniste en meubles de luxe, artistique, genres Boule, Louis XV et propose également des imitations de meubles antiques. En 1896, J.H. Jansen et Cie lui succède jusqu’en 1911…

TOUT PARIS - 286 bis - Faubourg St-Antoine et Rue de Charenton - Place de la Bastille (XIe et XIIe arrts.)
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publié par zelig dim. 6 févr. 2022 11:20 ► ICI

Franchissons l’angle de la Roquette et arrêtons-nous devant le n°1 rue du faubourg Saint-Antoine où nous voyons en façade « Couleurs-Vernis-Colles fortes-Brosserie-Linoleum » et sur la partie verticale du store « La Popote du vieil Ebéno – E et A. Naveau ».

Maison dite Pépin, 2 rue du faubourg Saint-Antoine, la Popote du vieil Ebéno
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Lors de nos recherches, nous avons pu dénombrer, en 1799, pas moins de 913 épiciers répertoriés sur Paris, dont 19 installés sur la rue du faubourg Saint-Antoine (n°1, 8, 26, 31, 36, 52, 55, 69, 75, 82, 91, 97, 104, 117, 127, 131, 145, 186 et 206). C’est ainsi que nous avons pu trouver qui occupe, à cette date, le rez-de-chaussée du n°1 du faubourg à l’entrée de la porte de Montreuil : il s’agit du citoyen Blondel sur lequel nous ne possédons aucun élément si ce n’est qu’il reste dans l’affaire six ans avant de la céder en 1806 au sieur Ferté. Celui-ci la revend en 1808 à Michel-Pierre Braulart.
Michel-Pierre Braulart
, né à Paris le 19 janvier 1784, est le fils de l’huissier Jean Louis Braulart (1758-1832), qui, de 1798 à 1804, était installé en face de l’épicerie, au n°2 rue du faubourg Saint-Antoine, avant de déménager au n°5 place Saint-Antoine (future place de la Bastille).
Tout comme ses prédécesseurs, Michel-Pierre Braulart ne s’éternise pas dans ce commerce et, dès décembre 1810, il recède celui-ci à
Jean-Baptiste Robillard qui, lui, y est attesté, pendant dix ans, jusqu’en 1821.

C’est en 1822 que le fameux
Pierre-Théodore-Florentin Pépin (1799-1836), originaire de Remies dans l’Aisne, fait l’acquisition de l’épicerie ; dans le même temps, il se marie, le 2 juillet 1822, avec Adélaïde Alexandrine Rouveau (1800-1867). Très impliqué dans son commerce, Pépin ajoute à son activité la vente de fromages en 1827, puis fait l’acquisition, le 22 mars 1831, auprès des sieurs Boinest et Pinet, d’un brevet d’invention d’une durée de cinq ans, pour une machine à décortiquer ou pelliculer tous les légumes secs, les grains, et faire l’orge perlé et mondé. Pépin ne s’arrête pas là puisque, la même année, il devient officiellement épicier et marchand de couleurs et vernis ; pour faire marcher la boutique, Pépin est secondé par son épouse, par sa belle-mère Anne Marie Louise Corpet (1770-1846), veuve de Jean-Parfait Rouveau qui était jardinier fleuriste, et par un commis épicier (en 1834, il engagera pour ce poste son neveu Prosper Maurice Magnier, né à Remies en 1818).

Les ennuis de Pierre-Théodore-Florentin Pépin vont commencer lors de l’insurrection contre Louis-Philippe des 5 et 6 juin 1832 ; Pépin se trouve accusé d’avoir tiré sur les gardes nationaux, de sa maison du n°1 faubourg Saint-Antoine. Il est cependant acquitté, dès le 16 juin 1832 par le conseil de guerre, à six voix contre une.
Aussitôt ce jugement, Pépin tente de se justifier publiquement, en publiant un entrefilet le 22 juin 1832 dans le journal
le Constitutionnel :
— M. Pepin nous écrit que si quelques personnes se sont réunies samedi soir et dimanche devant sa maison, c'était uniquement par curiosité, et que plusieurs même lui ont témoigné leur contentement sur l'arrêt qui lui a rendu justice. « Deux hommes de la banlieue, il est vrai, ont fait quelques menaces, ajoute M. Pépin, mais indirectement, et je suis persuadé qu'ils en auront du regret, parce que le public reconnaît, en observant bien la position des localités, que les coups de feu qui ont causé l'effervescence dont j'ai failli être victime, ne partaient pas de chez moi, mais bien de la maison attenante à la mienne, et qui forme l'angle avec façade sur la place Saint-Antoine, vis-à-vis le pont du canal. Aussi les coups de canon tirés sur le lieu d'où partaient les feux de mousquetterie ont porté sur cette maison, et non sur celle que j'habite, qui fait face à la rue de Charenton, d'où l'on m'a arraché par l'effet d'une fatale erreur, contre laquelle je me propose de réclamer ; car elle est encore reproduite dans le rapport de M. le général qui a commandé l'artillerie. Il me nomme comme ayant été dans la maison sur laquelle il a dirigé le feu de ses batteries, quoi qu'il soit constant que j'étais chez moi avec ma femme et mes enfans. »
Cependant, compte tenu des menaces dont il continue à faire l’objet, il est contraint quitter les lieux avec sa famille et s’installe en tant que grossiste en céréales au n°30 quai de la Gare d’Ivry, laissant l’épicerie-fromages-couleurs à un de ses cousins Constant Pépin (1806-1834), originaire de Remies, marié avec Marie-Mélanie Courtaigne (1812-1841).

A Ivry, Pierre-Théodore-Florentin Pépin crée une usine, munie d’une machine à vapeur de 8 CV, permettant de mettre en application le brevet qu’il a acheté l’année précédente ; à cet effet, il embauche des ouvriers, notamment, Jean Garrot. Le 23 juin 1834, le journal
Le Temps publie un article vraisemblablement concocté par ledit Pépin :
Légumes secs décortiqués – Grains Perlés.
Il y a quatre ans environ, la Société d'encouragement proposa un prix pour la construction et la mise en activité d'une machine propre à dépouiller les légumes secs de leur enveloppe. Plusieurs concurrents se présentèrent, et l'un d'eux fut reconnu comme ayant résolu cet important problème. Les procédés qu'il avait imaginés n'ayant pu être publiés, la Société se borna à constater le résultat obtenu, sans pouvoir décerner à l'inventeur, M. Pépin, le prix dont il était digne. Ce fabricant exploitait, dès cette époque, dans une usine importante, mue par une machine à vapeur de la force de huit chevaux, le décorticage en grand des légumes et la préparation des grains perlés.
Pour bien concevoir l'importante de cette industrie, il faut se rappeler que le conseil de santé a reconnu qu'en dépouillant les légumes de leur écorce, ordinairement très épaisse, on les rend plus faciles à apprêter et à digérer, et plus agréables au goût. Il faut aussi considérer que cette fabrication diminue chaque année le chiffre de l'importation des grains perlés que nous fournissent les autres contrées. L'établissement de M. Pépin (quai de la Gare d'Ivry, n°30) fournit à la consommation intérieure une grande masse d'orge perlé, d'orge mondé et d'avoine transformée en gruau de Bretagne. Sous le point de vue de la salubrité comme sous celui des jouissances de la table, la décortication des légumes secs est un fait industriel d'une certaine importance. Cette fabrication qui intéresse à la fois le riche et le pauvre, et qui fournit aux habitans de nos colonies et aux équipages de nos vaisseaux des alimens d'une conservation facile, a été jugée digne de prendre place à l'exposition des produits de l'industrie.

Pendant ce temps, l’épicerie-couleurs du faubourg Saint-Antoine est en train de sombrer. Constant Pépin, le cousin, décède le 24 mai 1834, et sa veuve Marie-Mélanie Courtaigne-Pépin est déclarée en faillite le 8 août 1834. A partir de cette date, les événements vont se précipiter.
Pierre-Théodore-Florentin Pépin reprend l’épicerie en main en septembre 1834 et installe, au
n°25 rue de Bercy sa machine à décortiquer les légumes secs, laquelle est actionnée par un manège à deux chevaux lui appartenant.
Pépin est appréhendé en octobre 1834 à son domicile, porteur d’
un fusil de munition, d’un sabre dit briquet, de deux pistolets de tir et d’une épée avec ceinturon. Il faut préciser ici, que Pépin, anti-royaliste, fait partie, depuis plusieurs années, de la Société des Droits de l’Homme et dirige la section Romme du 12e arrondissement. En comparution devant la 6e chambre, le 22 novembre 1834, Pépin est à nouveau acquitté.
A partir de cette date, Pépin s’acoquine avec
Joseph Fieschi (né le 13 décembre 1790) et Pierre Morey (né le 9 novembre 1774), également membre de la section Romme du 12e arrt., en vue de la préparation d’un attentat contre Louis-Philippe. Pépin et Morey se chargent en commun du financement du matériel nécessaire, tandis que Fieschi en sera l’exécutant. Après plusieurs conciliabules, il est convenu de faire fabriquer une machine en bois à plan incliné, montée sur quatre pieds en chêne, sur laquelle seront arrimés vingt-quatre canons de fusil, le tout devant être installé au troisième étage d’un immeuble situé au n°50 boulevard du Temple ; les canons pointés, de la fenêtre, sur le milieu du boulevard devront être simultanément mis à feu au passage du défilé royal qui doit avoir lieu le 28 juillet 1835, à l’occasion de la commémoration des « trois glorieuses de 1830 ».
En février-mars, la machine infernale en bois est payée 500 francs par Pépin qui règle également, pour 130 francs, le mobilier du local loué pour Fieschi, boulevard du Temple. En juin-juillet 1835, les 25 canons de fusils sont achetés au prix de 187,50 francs, payés par moitié avec Pierre Morey.
L’attentat se déroule comme prévu le 28 juillet 1835, mais sans atteindre Louis-Philippe. Dix-huit personnes sont tuées : le maréchal duc de Trévise, le général Lachasse de Vérigny, le colonel Raffé, le comte Villatte, le lieutenant-colonel Rieussec, les sieurs Léger, Ricard, Prudhomme, Benetter, Inglar, Ardoins, Labrouste et Leclerc, les dames Briosne, Ledhernez et Langoret, les demoiselles Rémy et Rose Alyzon ; 24 autres personnes sont blessées.


L'attentat de Fieschi 50 boulevard du Temple 28 juillet 1835 par Pierre Maurice Delondre (1851-1892) (huile sur toile Musée Carnavalet)
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Joseph Fieschi, blessé de toute part lors de la mise à feu de son engin, est immédiatement arrêté. Après avoir cuisiné celui-ci, les très nombreux enquêteurs obtiendront tous les aveux nécessaires à inculper les complices, Pépin et Morey. Pépin, en fuite, est arrêté le 28 août 1835 et incarcéré à la Conciergerie.
Le juge d’instruction soupçonnant Pépin d’avoir jeté des affaires compromettantes dans sa fosse d’aisance, le commissaire Félix-François Milliet, accompagné des inspecteurs de police Daré et Puyo, extraient Pépin de sa cellule, le lendemain 29 août, et l’emmènent à son épicerie, tandis que Pierre Pinel charretier entrepreneur de vidanges commence à vider ladite fosse d’aisance ; c’est le moment que choisit Pépin pour fausser compagnie à ses sbires. Une perquisition est réalisée à son domicile, le 14 septembre, en présence de sa belle-mère (son épouse étant à cet instant toujours incarcérée) à l’issue de laquelle le commissaire Barlet saisit, au premier étage servant de bureau,
sept registres ayant trait au commerce d’épiceries, graineteries et couleurs, onze cahiers ou mains courantes, ainsi qu’une forte liasse de papiers manuscrits.
L’évasion durera trois semaines : Pépin est arrêté à nouveau le 22 septembre à la ferme de Belesme, près de Lagny : il est surpris en chemise, au premier étage du bâtiment, caché dans une fausse armoire placée au fond d’une alcôve. Il avait sur lui 840 francs en pièces d’or et 100 francs en argent, divers vêtements, trois cartes du département de l’Aisne, un volume des œuvres de Saint-Just et une note de sa main contenant l’itinéraire de Paris à Dieppe.
S’ensuivent de très nombreux interrogatoires des personnes de l’entourage des mis en cause, et notamment de l’épouse de Pépin, Adélaïde Alexandrine Rouveau (libérée le 20 octobre), de sa belle-mère Anne Marie Louise Corpet veuve Rouveau, de son commis épicier Prosper Magnier, de sa domestique Marianne Patout (28 ans) et de son garçon de boutique, broyeur de couleurs, François Budin (27 ans).
Après des enquêtes très approfondies et étayées de nombreux documents, la Cour des Pairs expose, le 11 janvier 1836, l’ensemble des motifs qui vont appuyer la sentence qui sera infligée le 14 février aux trois inculpés, à savoir la guillotine.
L’échafaud est dressé le 19 février 1836 au rond-point de la rue du faubourg Saint-Jacques où « 60.000 personnes » attendent l’évènement dans toutes les rues avoisinantes : Pépin est le premier à éternuer dans le sac, suivi de Morey puis de Fieschi.

Exécution de Fieschi, Pépin et Morey le 19 février 1836 (Pellerin, imprimeur-libraire à Epinal, Estampe 1836)
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Après cette tragédie, la veuve de Pépin, Adélaïde Alexandrine Rouveau, mère de quatre enfants, poursuit son activité de marchande d’épiceries et de couleurs au faubourg Saint-Antoine et se marie en secondes noces, le 22 mars 1838 avec Minor-Christophe Lecomte (né le 3 juillet 1813 à Quimper), de son état ouvrier peintre.
Minor Lecomte ne sera guère un appui pour son épouse puisqu’il est arrêté en septembre 1838 pour les publications de
l’Homme Libre et du Moniteur Républicain contenant des pamphlets séditieux envers Louis-Philippe ; il est condamné le 12 juin 1839 à cinq ans de prison et incarcéré au Mont-Saint-Michel du 28 octobre 1839 au 11 juin 1844.

Lors de l’insurrection de juin 1848, une vingtaine de barrières sont érigées sur Paris et notamment, place de la Bastille, à l’entrée de la rue du faubourg Saint-Antoine, au pied de la Maison Pépin qui sera transpercée par plusieurs obus, comme en témoignent de nombreux journaux :

Aspect de Parts. Le théâtre de la lutte, dans le quartier compris entre l'Hôtel de Ville et l'église St-Paul, présente l'aspect d'une ville qui aurait essuyé les horreurs d'un long bombardement. Des façades entières de maisons ont disparu sous l'effet de la canonnade et des obus. Les boutiques, les appartemens sont dévastés ; il ne reste, pour ainsi dire, pas de carreaux aux fenêtres. De tous côtés, ce sont des traces sanglantes.
Tous les acacias à l'entrée de la rue Saint-Antoine, près la place de la Bastille ont été coupés par les boulets.
A l'entrée du faubourg St-Antoine, la maison de la Petite-Jardinière, établissement rival de la Belle-Jardinière, a encore plus souffert que cette dernière ; elle a été incendiée par les obus, ainsi que le café voisin, à l'entrée de la rue de la Roquette, et s'est affaissée en décombres. A trois heures, les pompiers éteignaient le feu. La maison Pépin, la maison formant les angles de la rue de Charenton, ont été criblées par les batteries établies à l'angle de la place, près des ateliers des frères Chevalier. Des pans de mur ont été abattus…

(Gazette de France 29 juin 1848)

La Place de la Bastille et la Barricade de l'entrée du faubourg Saint-Antoine, le 25 juin 1848 par Jean-Jacques Champin (1796-1860) (Huile sur toile Musée Carnavalet) (détail)
En premier plan gauche, la Maison Pépin à trois étages, à l’angle de la rue de la Roquette et du faubourg Saint-Antoine
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De 1845 à 1851, Minor Lecomte exploite l’épicerie-couleurs avec son épouse, avant d’être à nouveau incarcéré le 3 décembre 1851 à la suite du coup d’état du 2 décembre, puis expulsé hors de France ; les motifs invoqués sont : Socialiste des plus dangereux. Un des meneurs les plus actifs du parti démagogique. Orateur de club. Délégué du 8e arrondissement au Comité socialiste, il a donné sa démission en disant en disant que lorsqu'il conspirait il voulait connaître tous ses complices.

A présent seule à gérer l’épicerie et couleurs, Adélaïde Alexandrine Lecomte-Rouveau finit par vendre son fonds de commerce en 1856 à Emile Quercy (né en 1825) et à son épouse Elisabeth Pelletier (née en 1830).
A partir de 1858, les époux Quercy abandonnent le commerce d’épicerie pour se consacrer uniquement aux couleurs et vernis. Lors de la naissance de leur fils Joseph en septembre 1863 (décédé à six mois), on apprend qu’ils ont un commis du nom de Jules Asselineau, âgé de 25 ans.
En 1874 Quercy vend l’affaire à la société en nom collectif
Léon Gaignon et Blanchet.
Léon Jean Gaignon
(1833-1889), originaire de Montsûrs en Mayenne, célibataire, se défait de son associé le 3 mai 1876, liquide à l’amiable sa société et gère seul son affaire de couleurs vernis et produits chimiques. Le 1er mai 1886, il la cède à Eugène Alexandre Framery, lequel y remplissait la fonction d’employé de commerce depuis quelques temps.
Eugène Alexandre Framery (1860-1931) s’est marié en premières noces le 18 février 1886 avec Eugénie Caroline Noury ; à ce mariage assiste Léon-Jean Gaignon en tant que témoin. Caroline Noury, décède le 18 juillet 1887 à l’âge de 23 ans ; Framery convole en secondes noces, le 4 juin 1888, avec une des trois sœurs de Caroline, Joséphine Célina Noury (1869-1945).
Le 1er août 1894, les deux cousins Naveau originaires de Coulommiers acquièrent le fonds de commerce de Framery et créent, le 30 octobre 1894, la société en nom collectif
Eugène et Armand Naveau, aux fins de l’exploiter.
Eugène Alfred Naveau (1867-1918) se marie le 22 avril 1897 avec Clarisse Émilie Lavet (1876-1956) née à Paris et deux ans plus tard Armand Gaston Naveau (1867-1929) épouse Augustine Léonie Bertau, née en 1876 à Champs dans l’Yonne.

Le 17 décembre 1901 tous les journaux parisiens relatent l’incendie qui a ravagé les magasins de MM. Naveau, fabricant de couleurs et vernis, au n°1 rue du faubourg Saint-Antoine, décrivant l’intervention des pompiers de la caserne de Chaligny avec leurs huit lances en manœuvre et concluant que les dégâts matériels sont considérables. Un seul quotidien,
la Libre Parole, plus sérieux que les autres, va s’apercevoir que les magasins de MM. Naveau sont restés intacts et qu’en fait ce sont les magasins de nouveautés « A la Belle Fermière » aux 5 et 7 rue du faubourg Saint-Antoine qui ont été sinistrés.

Entrée du faubourg Saint-Antoine : on aperçoit le magasin « A la Fermière » incendié en 1901, confondu par les journalistes avec le Belier Mérinos en face.
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Le 4 janvier 1912, c’en est fini de la Maison Pépin couleurs et vernis, ci-devant épicerie ainsi que de la Popote du Vieil Ebeno : les cousins Naveau vendent le droit au bail du n°1 rue du faubourg Saint-Antoine à Justin Rey, marchand de vins.
Marie-Joseph Justin Rey, né en 1875 au Briffoul en Aveyron, marié depuis 1899 avec Marie Eulalie Dorde, est l’ancien propriétaire du cinéma Parisiana au n°373 rue des Pyrénées.
De leur côté, les Naveau font l’acquisition, en date du 5 février 1912, de l’affaire de marchand de vins que tenait Tissandier au n°9 rue de la Roquette et y installent leur nouveau magasin de Marchand de couleurs.
Après les décès successifs des Naveau (Eugène le 8 octobre 1918 et Armand le 15 janvier 1929), l’affaire revient à la veuve d’Armand, Augustine Léonie Bertau, laquelle cède son fonds de commerce le 4 février 1930 à Arthur Paul Cleton et son épouse Germaine Eugénie Souchet.
Le désormais bar-restaurant du n°1 rue du faubourg Saint-Antoine, affermé à divers exploitants, était toujours la propriété de Justin Rey en 1932… Aujourd’hui c’est le « Café Milou ».


619 bis - TOUT PARIS - Rue de la Roquette au Faubourg St-Antoine (XIe et XIIe arrt.)
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publié par Michel lun. 12 août 2013 11:49

Rejoignons le 12e arrondissement en traversant le faubourg et arrêtons-nous devant l’immeuble de proue du n°2 rue du faubourg Saint-Antoine / n°1 rue de Charenton.
Cette maison à l’enseigne « Literie - Au Bélier Mérinos », attestée depuis 1817, est affermée à M. Prévost qui y exerce l’activité de « marchand de laines dites laines-fer en meubles », articles de literies. En 1826, Prévost cède l’affaire à Jean-Marie Giraud qui précise dans ses réclames, que son commerce consiste en négoce de laines pour meubles, de toiles à matelas et de velours et tapis pour meubles et literie.
Jean-Marie Giraud (1784-1849), originaire de Saint-Etienne s’est marié à Paris le 30 mai 1816 avec Thérèse Françoise Adélaïde Pouillet (1799-1877) dont le père est marchand limonadier dans le 4e arrt. à Paris.

Alors que l’insurrection de juin 1848 bat son plein dans le faubourg Saint-Antoine (voir ci-dessus), et que, selon les témoins, «
le feu de la batterie fut dirigé sur la maison du Bélier Mérinos qui fut trouée en plusieurs endroits et sur une autre maison formant l’encoignure de la rue de Charonne qui fut démolie de fond en comble », Jean-Marie Giraud décide le 18 juillet 1848, de marier une de ses trois filles, Hélène Claudine Giraud, à Pierre Gager, marchand de couleurs installé au 9 rue du faubourg Saint-Antoine.
Décédé le 16 mai 1849, après avoir tenu son commerce pendant 23 ans, Giraud n’assistera pas au mariage de ses deux autres filles qui auront lieu la même année, le 11 septembre 1849 (Marie-Esther) et le 29 novembre 1849 (Marie-Henriette Rachel).
Ainsi,
Marie Esther Giraud (1826-1872) épouse Alexandre Louis Grison (1817-1871) qui devient le successeur du magasin Au Bélier Mérinos, qui va élargir la gamme de ses produits par des lits en fer, des sommiers élastiques etc…
Marie-Henriette Rachel Giraud, quant à elle, épouse le frère d’Alexandre-Louis, Edouard Grison, lequel deviendra avoué puis greffier en chef du tribunal civil de Versailles. Le grand-père et le père d’Alexandre et Edouard Grison, Achille-François et Achille-Pierre, étaient quincaillier à Paris, tout d’abord au n°9 quai de la Mégisserie dès avant 1798, puis au n°68 du même quai de 1811 à 1836, enfin au n°14 quai Pelletier à compter de 1837.
Après le décès de Louis-Alexandre Grison du 19 août 1871, sa fille
Adélaïde Amélie Grison (1850-1928) continue l’affaire et se marie le 18 juin 1873 avec Emile Désiré Jean Mousset (1847-1891).
Né à La Chapelle, Emile Mousset travaille, lors de son mariage de 1873, en tant que commis chez son père et son oncle, Jacques et Jean Mousset, fabricants de lits de fer, installés depuis 1861 au n°126 rue du faubourg Saint-Denis.
La raison sociale de l’entreprise du Bélier Mérinos devient
Mousset-Grison et Cie ; celle-ci propose à présent à sa clientèle de belles literies, des berceaux, des barcelonnettes, et assure le cardage des matelas et l’assainissement des literies grâce à ses machines à vapeur.
Après le décès d’Emile Mousset à l’âge de 44 ans, le 11 novembre 1891, sa veuve Adélaïde Mousset-Grison maintient l’activité de l’entreprise avec ses enfants
Henri Alphonse (1875-1947), Esther-Alexandrine (1877-1924) et Edouard (tué à la guerre, à 29 ans, le 2 mars 1915).
En décembre 1930, Henri-Alphonse Mousset annonce le transfert du Bélier Mérinos du n°2 rue du faubourg Saint-Antoine au
n°53 rue de Châteaudun…
Aujourd’hui, un magasin de produits de beauté à l’enseigne Bleu Libellule est installé au n°2 rue du faubourg Saint-Antoine, à l’emplacement du Bélier Mérinos.

Quelques réclames en 1901 et 1931 pour le Bélier Mérinos
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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Usines à gaz puis Manufacture de chaussures Dressoir & Pémartin rues du général-Lasalle, Rampal et Rébeval (XIXe arrt.)

Avant qu’elle ne soit annexée à Paris, la commune de Belleville décide, en 1834, de se doter d’une Usine destinée à l’éclairage au Gaz et, à cet effet, charge de sa construction Romain Hippolyte Payn (1793-1875) et Auguste Marie Ribot (1805-1876) qui fondent le 22 avril 1836, une Société en nom collectif idoine dénommée Payn et Ribot.
Dans un premier temps, la société, préalablement à sa formation, fait l’acquisition, le 23 août 1834, d’un terrain appartenant à Louis-Alexandre Joannis, artiste peintre, et à son épouse Marie-Jeanne-Pauline Lambert.
Cette
Usine à gaz dite de Belleville sera installée au bas de la rue Saint-Laurent (future rue Rébeval), à l’angle que celle-ci forme avec le passage Renard (futur passage Lauzun) ; son entrée est fixée au n°52 rue Saint-Laurent.
L’ingénieur civil
Georges Nicolas Frimaire Danré (1797-1859), assisté, entre autres, de l’ingénieur mécanicien J.-C. Haselden est désigné pour mener à bien ce projet.

Description de l’Usine à Gaz de Belleville
Cette usine se compose, savoir :
D'un petit corps de bâtiment à gauche en entrant, élevé sur terre-plein d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage dans lequel sont établis les bureaux de l'administration ;
D'un autre petit corps de bâtiment à droite en entrant, élevé sur caves d'un rez-de-chaussée et de deux étages, servant d'habitation à M. le directeur de la compagnie ;
Jardin en face et en retour de ce bâtiment ; cour entre lesdits bâtiments ; dans le fond du jardin, bâtiment en construction, à l'angle du passage Renard et de la rue Saint-Laurent, sur ledit passage, et ensuite grand atelier de fabrication pour le gaz ;
Dans le fond de la cour, grand bâtiment pour la fabrication du gaz et des huiles ; en retour, en remontant vers les bureaux, bâtiment servant à l'épuration et au condensateur ;
Vastes terrains au fond et à gauche, dans lesquels se trouvent six gazomètres, les hangars et les ateliers ; grand magasin à charbon sur la rue Saint-Laurent.


Usine à Gaz de Belleville 1879
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Avant que la construction de l’usine soit achevée, des essais se déroulent en octobre 1836, au cours desquels, une explosion survient, heureusement sans conséquence majeure. Le directeur de l’usine Georges Danré, se hâte de jouer la transparence sur cet incident :
Une explosion occasionnée par l'imprudence et l'ignorance d'un aide plombier, a eu lieu, ce matin, au bas de la rue St-Laurent à Belleville, au moment de l'essai des tuyaux qui venaient d'être placés.
Pour nous assurer que les joints sont bien faits et ne fuient pas, nous avons l'habitude de mettre un tampon à l'extrémité des tuyaux posés à la fin de la journée. Le lendemain matin, le maitre plombier envoie à l'usine un de ses hommes pour demander le gaz, et aussitôt que la soupape de l'usine est ouverte, on retire le bouchon d'un tuyau d'un pouce de diamètre, formant l'axe du tampon, afin de perdre l'air. Quand l'air a été entièrement chassé par le gaz, et quand le gaz arrive pur, ce que la couleur et l'odeur du fluide indiquent suffisamment, on procède à l'essai en présentant une lumière à l'entour de chacun des joints des tuyaux placés la veille.
Ce matin, cette opération a été conduite avec une précipitation blâmable de la part de l'ouvrier nouvellement au service du maitre plombier. Il a eu l'imprudence d'approcher la lumière de l'axe du tampon, immédiatement après l'ouverture de la soupape de l'usine. Le mélange de gaz hydrogène et d'oxygène était en ce moment dans les conditions voulues pour détoner. Le tampon, comme cela devait être, a été repoussé avec force, et a occasionné une faible contusion à la cuisse droite de l'ouvrier qui venait de commettre cette imprudence. Deux tuyaux ont éclaté sur la ligne d'essai, sans qu'il en soit résulté aucun accident. Le directeur de l'usine sortait, au moment même de l'explosion, accompagné de l'ouvrier qui était venu demander le gaz, pour aller assister à l'essai. Pour prévenir toute interprétation contraire à la vérité des faits que nous annonçons, nous vous prions d'avoir l'obligeance d'insérer la présente lettre dans votre plus prochain numéro.
Georges Danré, directeur de l'usine. J. C. Haselden, ingénieur-mécanicien.

(Journal du Commerce 23 octobre 1836)

Le journal du Commerce du 22 décembre 1836 annonce que l’Usine à Gaz de Belleville est désormais fonctionnelle :
La commune de Belleville est à présent éclairée au gaz d'huile de résine, depuis le haut de la rue de Paris (rue de Belleville). L'usine dont M. Danré est le fondateur, pousse maintenant ses tuyaux alimentaires le long du faubourg du Temple, jusqu'au canal Saint-Martin. La pose des tuyaux vers les faubourgs Saint-Martin et Saint Denis se continue avec activité ; et tout semble indiquer que ces rues jouiront au printemps prochain de l'éclairage au gaz d'huile de résine bien supérieur au gaz de houille, par l'absence de toute mauvaise odeur, et de toute combinaison avec le soufre qui détruit si rapidement les couleurs et les dorures.
Le succès qu'obtient si juste titre, ce gente d'éclairage, lui a fait donner la préférence dans un grand nombre de villes qui veulent s'éclairer au gaz. Occupé à monter des usines en province, M. Danré ne pouvait consacrer à la direction de celle de Belleville tout le tems que son importance actuelle réclame. D'un commun accord entre M. Danré et ses actionnaires, la direction exclusive de l'usine de Belleville vient d'être confiée à M. Auguste Ribot.


Usine à gaz de Belleville - Atelier d'épuration et gazomètres (cliché Albert Fernique 1879)
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A la suite de plusieurs actes notariés datés du 16 au 26 mai 1838, Auguste Ribot cède ses parts dans la société Payn et Ribot qui devient par conséquent la société Payn et Cie, ayant pour seul gérant Romain Hippolyte Payn. Dans le même temps, ce dernier décide de cesser la production du gaz au moyen de résine, la remplaçant par la production au moyen de houille.
De nouvelles acquisition de parcelles de terrain viennent compléter la zone d’implantation de l’usine à gaz :
– 14 juin 1838, cession de Pierre Joseph Follet et de son épouse Marie-Cécile Douchet (54 rue Saint-Laurent).
– 3 décembre 1838, cession de Jean-Jacques Taillandier, fabricant de brosses, et de son épouse Rose Mérices.
– 26 décembre 1840, cession de Charles Lauzin et de son épouse Adélaïde-Madeleine Lecordier.
– 18 novembre 1841, cession de Jean-Guillaume Fossez et de son épouse Anne-Elisa-Charlotte Griffoin.
– 29 avril 1842, cession de Pierre-Jean Bénard, nourrisseur, et de son épouse Marie-Françoise Navel.
– 3 novembre 1843, cession de Benjamin-Isidor Langlois, loueur de voitures, et de son épouse Emilie-Anne-Claudine Maupas.
– 14 décembre 1844, adjudication succession famille Mezy.
– 23 août 1845, cession de Jeanne-Virginie Soret, veuve de Michel-Auguste Lauzero, marchand de bois.
– 23 octobre 1845, cession de Jean-François Langolff et de son épouse Edme-Augustine Decoin.
– 13 octobre 1849, cession de Vincent-Marie Faucheur, marchand épicier.
– 17 janvier 1854, cession de Pierre-Charles Lauzin, fabricant de cuirs vernis.
– 11 décembre 1854, cession de Etienne Vital-Mélin, fabricant de papiers gaufrés, et de son épouse Stéphanie-Eugénie Pajot.

Le 23 juillet 1855, à l’instar de cinq autres usines à gaz parisiennes, la société Payn et Cie signe un traité avec la ville de Paris, par lequel la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz obtient, pour une durée de cinquante ans, la concession de l’éclairage et le chauffage par le gaz, à compter du 1er janvier 1856.

Usine à gaz de Belleville – Vue générale (cliché Albert Fernique 1879)
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En janvier 1889, le Conseil municipal de Paris décide d’attribuer des concessions à six compagnies pour l’éclairage par l’électricité. L’ingénieur Victor Popp (1846-1912) obtient le réseau desservant la rue de Belleville, le faubourg du Temple, la place de la République, les Grands Boulevards, les rues Royale et de Rivoli, la place de la Concorde et les quais de la rive droite jusqu’aux fortifications. A partir de cette date, Victor Popp installe ses usines et ses canalisations. En octobre 1891, il annonce avoir mis en place 5 usines, réalisé 389 kilomètres de canalisations sur les rues principales des 1e au 4e arrt., 9e, 11e, 12e et 20e arrt., et installé 40.000 lampes, 750 moteurs et 8.000 pendules…
Aussi, dès 1891, la Compagnie parisienne d’éclairage et de chauffage par le gaz est-elle contrainte de fermer son usine à gaz de Belleville. Le 26 avril 1892, le service des Domaines de la Cie du Gaz met en adjudication, en cinq lots, une partie des terrains qu’elle occupait :
1er lot - rue A (future rue Rampal), 279 m² mise à prix 19.530 francs
2e lot - angle rue Rébeval et rue A (future rue Rampal), 372 m² mise à prix 37.200 francs
3e lot - passage Lauzun, 345 m² mise à prix 17.300 francs
4e lot - angle rue Rébeval et rue B (future rue du Général Lasalle), 229 m² mise à prix 25.000 francs
5e lot - rue B (future rue du Général Lasalle), 396 m² mise à prix 19.800 francs

La société en nom collectif
Dressoir et Pemartin, fabricant de chaussures, se porte acquéreur de ces cinq lots, afin d’y construire une usine.
C’est en 1876 que
Pierre Désiré Dressoir (1824-1881) et son fils Jean Baptiste Emile Dressoir (1856-1931), installent leur première fabrique de chaussures au n°40 quai de l’Hôtel de Ville, transférée dès l’année suivante au n°5 rue de Montmorency dans le 3e arrt.
Le 25 février 1877, les ouvriers de Dressoir se cotisent et allouent 19 francs 20 c aux ouvriers lyonnais sans travail. On apprend ainsi par le journal Le Rappel que l’atelier Dressoir du 5 rue de Montmorency comprend le père et le fils Dressoir, et les ouvriers Belamy, Pémartin, Landrogne, Jules Dubreuil, Paul Dubreuil, Schmitt père et fils, Billiet, Bourgoin, Jacquemot, Labrousse, Kesteloot, Casard, Maretheux, Agoul, Deladesière, Methay, Vitu, Arrivot, Willems, Benoist et Caudroux.
Alors qu’Emile Dressoir est marié, depuis le 1er avril 1876 avec Marie-Marceline Pémartin (1851-1900), sa sœur, Marie Geneviève Dressoir, s’est, quant à elle, mariée le 17 janvier 1874 avec
Jean-Justin Pémartin (1846-1903), ébéniste de son état et frère de Marie-Marceline. Rapidement, Pémartin se convertit dans la chaussure et travaille avec son beau-frère, avec lequel il finit par s’associer le 23 mars 1881, créant avec lui la société en nom collectif Dressoir et Pémartin, au capital 50.000 francs.
En 1882, l’atelier est transféré du n°5 au n°19 rue de Montmorency, puis, en 1887, au n°140 rue du faubourg Saint-Martin dans le 10e arrt.
Plusieurs mouvements de grève vont successivement impacter les chaussures Dressoir et Pémartin, notamment le 21 janvier 1888 où le journal le Cri du Peuple signale que
vingt-deux ouvriers de la Maison Dressoir et Pémartin, viennent de quitter l’atelier de ces exploiteurs devant une diminution de salaire de 25%.
L’Intransigeant du 1er juin 1888 se fait l’écho des coupeurs en chaussures de la maison Dressoir et Pémartin, au nombre de dix-huit, qui se sont mis hier en grève. Après maintes tracasseries, les patrons prétendaient infliger des amendes imméritées dont le plus clair résultat était un abaissement notable du salaire de ces travailleurs.
Et le 13 juin 1888, le journal le Parti Ouvrier annonce qu’à la suite d’une nouvelle grève des coupeurs de chez Dressoir et Pémartin, ceux-ci exigent, pour reprendre le travail :
1° Abolition des amendes (une amende de 50 centimes par tige défectueuse aurait été octroyée aux ouvriers)
2° Travail payé à raison de 65 centimes l’heure.
3° Fixation à dix heures de la durée de la journée de travail.

Emplacement Chaussures Dressoir en 1893
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La société Dressoir et Pémartin ayant donc été désignée, le 26 avril 1892, adjudicataire des cinq lots provenant des terrains de l’ancienne usine à gaz désaffectée, s’attelle aussitôt à l’édification de sa nouvelle manufacture de chaussures. Elle engage pour cela l’architecte Louis Moreau (87 boulevard Voltaire) qui va successivement déposer une dizaine de permis de construire, sur une période de plus de vingt ans :
– 14 mars 1893 : construction, rues nouvelles A et B (dénommées rue Rampal et rue du Général Lasalle le 28 décembre 1894 après enquête préfectorale du 25 janvier 1893)
– 2 avril 1893 : bâtiment de deux étages, passage Lauzun
– 30 novembre 1896 : construction, rue du Général Lasalle et rue Rampal
– 19 décembre 1900 : construction trois étages, rue Rampal
– 29 mai 1903 : construction six étages, 52-54 rue Rébeval
– 17 juin 1903 : construction six étages, 16 rue du Général Lasalle, angle rue Rampal
– 29 mai 1909 : surélévation un étage, 18 rue du Général Lasalle
– 25 avril 1910 : construction quatre étages, 10-12-14 rue du Général Lasalle
– 2 juin 1910 : surélévation un étage, 10-12-14 rue du Général Lasalle
– 31 mai 1920 : garage rez-de-chaussée, 6 passage Lauzin
– 4 décembre 1928 : atelier rez-de-chaussée, 12 rue Rampal

Manufacture Dressoir, Pémartin, Pulm et Cie
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Dès 1894, les ouvriers de Dressoir et Pémartin viennent s’installer dans les nouveaux locaux qui occuperont bientôt les n°10 à 18 rue du Général Lasalle, n°19 et 16 à 22 rue Rampal, le n°12 du passage Lauzun et les n°46-52-54 rue Rébeval.
Une grève qui durera deux mois viendra encore émailler la vie de cette manufacture. Le 24 mai 1894, la Chambre syndicale ayant décidé, dans une de ses dernières assemblées, de ne plus tolérer de femmes dans la corporation, demande impérativement à ses membres de ne pas se présenter à la maison Dressoir, rue Rébeval, pour y travailler, ayant appris que la maison voulait prendre quelques femmes comme coupeuses.
Le 22 juin 1894, la grève chez Dressoir et Pémartin est reconduite. Le 24 juillet 1894,
la chambre syndicale des coupeurs brocheurs avertit la corporation que l’index de la maison Dressoir est levé momentanément et qu’elle saura la reprendre en temps et lieu…

A compter du 30 juin 1903, la raison sociale de la manufacture de chaussures devient Société Dressoir, Pémartin, Pulm et Cie, en raison de l’entrée du nouvel associé, Armand Paul Pulm (1867-1911), marié depuis le 16 avril 1896 avec Cécile Eugénie Dressoir, une des sœurs d’Emile Dressoir.
Par un communiqué du 12 mars 1905 publié par
la Petite République, on apprend que la manufacture Dressoir, Pémartin et Cie emploie à présent 1.200 ouvriers et ouvrières ; ceux-ci, à l’issue d’une nouvelle grève de dix jours, ont obtenu gain de cause à leurs revendications : augmentation des tarifs, suppression de la retenue pour frais de vapeur, etc.

En septembre 1818, la société conclut des accords avec la société anonyme des Chaussures Incroyable dont le siège est situé 17 rue Bolivar, laquelle, à cette date, est à la tête de 140 magasins de chaussures ; Emile Dressoir et Emile-Justin Pémartin (1878-1945), le fils de Jean-Justin, finissent par prendre le contrôle des chaussures Incroyable et Fayard en 1922, devenant ainsi, fabricants et vendeurs de chaussures.
Le 13 juillet 1924, la SNC en commandite simple Dressoir, Pémartin et Cie est transformée en commandite par actions, au capital de 14 millions de francs, dont les actionnaires sont à présent : Jean-Baptiste Emile Dressoir, Emile-Justin Pémartin, Jean-Baptiste Julien Bourg, Louis Pémartin, Jean-François Soulié, Jean-Charles Louis Maène, Maria-Emilie Dressoir veuve Chamouton, Raymond-Pierre-Paul-Philippe Gricourt, Emie-Antoine-Charles Talboutier, Paul-Hector Damours, Louis-André Manteau et Auguste-Edouard Emonot.


Ouvrier de la Manufacture Dressoir en 1917 — Affiche publicitaire
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Après avoir absorbé les chaussures Incroyable, la société Dressoir et Pémartin est à son tour avalée, en décembre 1927, par le groupe Ehrlich dirigé par Michel-Nathan Ehrlich (1890-1948) qui devient, le 23 février 1928, la société Ehrlich et Cie.
Trois ans après, le banquier Albert Oustric (1887-1971) rachète le tout, mais est condamné le 5 janvier 1932 à dix-huit mois de prison ferme pour des irrégularités financières. Le 19 février 1934, le Tribunal de commerce donne un coup de pied dans cette fourmilière et prononce la faillite simultanée de dix sociétés de chaussures françaises : Monteux, Ehrlich, Raoul, Générale des Chaussures Françaises, Fayard, Guéritte, Noël, Incroyable, Pinet et Dressoir.
Le 3 novembre 1934, les actions de chacune de ces sociétés sont mises en adjudication à l’étude de Maître Thibierge. Le 1er juin 1935, les chaussures Dressoir signent un concordat avec la Société Française de Gérance, limitant le paiement des créances à 20% sur une durée de dix ans.

Les locaux de l’ancienne manufacture sont revendus en partie à des particuliers, mais également à l’Etat qui y installe, en 1964, au n°14 rue du Général Lasalle, le S.G.A.M. (Service du groupement des achats de matériels), organisme chargé de procéder à d’importants achats pour l’administration : mobilier scolaire et de collectivités, appareils audio-visuels, articles textiles, literie, machines-outils, vaisselle et matériel de cuisine, matériel de bureau, machines à écrire, appareils de chauffage, articles en inoxydable, etc…

Le 18 mars 1969, la préfecture de Paris prend un arrêté d’expropriation en vue de rénover le quartier Rébeval déclaré insalubre. Sont concernés notamment les copropriétés du n°18 rue du général Lasalle (1304 m²) et n°46 et 48 rue Rébeval (479 m²).

Suite à une question écrite le 31 décembre 1970 à la mairie, concernant ce qu’il est advenu du n°18 rue du général Lasalle, le Préfet de Paris fournit les explications suivantes le 19 février 1971 :

— L’immeuble situé 18, rue du Général-Lasalle est un immeuble en copropriété dont quelques lots ont été acquis à l’amiable par la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations. Les lots qui n’ont pu être acquis ont fait l’objet d’une ordonnance d’expropriation en date du 28 mai 1969. Tous les copropriétaires ont été indemnisés. Une décision judiciaire a fixé les indemnités dues à chacun des copropriétaires selon le mode d’indemnisation choisi par eux, à savoir : soit valeur libre sans obligation de relogement par l’organisme de rénovation, soit valeur occupée avec demande de relogement. Tous les copropriétaires ayant opté pour cette dernière solution ont été relogés.
Cet immeuble abritait également cinq artisans ; le juge de l’expropriation a tenu compte dans la fixation de l’indemnité de leur situation d’artisan et tous ont accepté l’indemnité proposée. Celle-ci leur a été versée il y a un mois environ et trois ont quitté les lieux. Les deux artisans encore sur place ont été mis en demeure de libérer les locaux qu’ils occupent dans les meilleurs délais afin que la démolition totale de l’immeuble puisse être entreprise. En ce qui concerne la concierge qui, occupant un logement de fonction, ne pouvait prétendre à aucun relogement, un accord est intervenu entre elle et la Société centrale immobilière de la Caisse des dépôts et consignations.

Les locaux vont ensuite être occupés quelques années par le service des archives de l’Education nationale puis rester à l’abandon durant plusieurs décennies, avant qu’en 2005, il serve d’atelier à de pseudo-artistes, en fait un squat portes ouvertes. En 2007, la Caisse des Dépôts, propriétaire des lieux abandonnés, obtient l’expulsion des squatters : de gros travaux sont alors entrepris, à l’issue desquels, un hôpital psychiatrique, annexe de Maison blanche, est ouvert en 2011.

TOUT PARIS - 519 - Rue Rampal - Sortie des Usines (XIXe arrt.)
Le cliché nous montre en premier plan la rue Rampal et à droite, l’entrée de la rue du Général Lasalle.
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publié par rigouard jeu. 23 mai 2013 09:50

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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Villa Frochot - 2 rue Frochot et 28 rue Victor-Massé (IXe arrt.)

Le bel hôtel particulier, caché en partie par l’Omnibus à impériale se dirigeant vers son terminus de la place Pigalle, a été édifié en 1837, à l’angle du n°2 rue Frochot et du n°28 rue Laval qui deviendra la rue Victor-Massé en 1887. Il appartenait à un certain Husson qui, durant le mois de septembre 1857, n’a eu de cesse de vouloir céder cette propriété, publiant de nombreuses annonces dans divers journaux, notamment, La Gazette de France, le Charivari, le Siècle ou encore La Presse, faisant également intervenir Norbert Estibal, fermier d’annonces du 12 place de la Bourse pour parvenir à ses fins. Ainsi, M. Desbrousses en devient propriétaire, attesté jusqu’en 1860.

TOUT PARIS - 455 bis - Rues Frochot et Victor-Massé (IXe arrt.)
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publié par zelig sam. 13 nov. 2021 10:43 ► ICI

En 1861, Léon Crémière (1831-1913), associé à Erwin Hanfstaengl (1838-1905), y installent leur atelier de photographie et deviennent, dans le même temps, membres de la Société française de photographie. Crémière est nommé photographe de la maison de l’Empereur par décret du 1er avril 1862. La guerre de 1870 et l’exil de Napoléon III mettent fin aux heures de gloire de Crémière qui ne peux désormais plus se servir de la référence de l’empereur pour doper son activité.
Crémière cède donc, dès 1871, l’emplacement de l’Hôtel particulier du 28 rue Laval au facteur de pianos,
Benoît-Amédée Thibout (1823-1877), époux, depuis le 5 décembre 1854, de Zoé Pauris (1834-1919), qui y installe sa fabrique, conservant toutefois le magasin d’exposition qu’il occupait depuis 1846 au n°21 rue du Faubourg Montmartre (Thibout avait commencé son activité en 1845, sous la raison sociale Amédée Thibout et Cie, au n°6 rue des Filles du Calvaire).
Thibout étant décédé le 14 février 1877, en son domicile du 28 rue Laval/2 rue Frochot, sa veuve Zoé Pauris tente tout d’abord de revendre l’affaire, passant une annonce pour une adjudication devant avoir lieu le 28 septembre 1877, sur une mise à prix de 50.000 francs. Faute d’enchères convenables, Zoé Pauris-Thibout conserve son commerce, bientôt secondée par son fils
Hugues-Amédée Thibout (1862-† après 1917).

Villa Frochot — Annonce cession Hôtel de M. Husson 28 rue de Laval 5 septembre 1857 — Tentative d’adjudication des Pianos Thibout et Cie du 20 décembre 1877
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Hugues Thibout continue le développement de la fabrique de pianos et ouvre en outre, en septembre 1886, dans les locaux de la rue Frochot, un salon spécialement aménagé pour y donner des cours, des auditions et soirées musicales. En juillet 1891, Pauline Seignette, veuve du facteur de pianos Henri Herz (1803-1888) cède sa manufacture à Hugues Thibout ; la maison Herz est par conséquent transférée au 28 rue Victor Massé.
Touchés par un mouvement de grévistes, les ouvriers de la Maison Thibout-Herz cessent le travail le 5 février 1903 ; le conflit est rapidement réglé puisqu’à la suite d’un accord intervenu entre Hugues Thibout et les délégués de la Chambre syndicale ouvrière des facteurs de pianos et orgues, l’ensemble du personnel reprend le travail dès le 10 février.
En 1903, Thibout s’associe avec Joseph-Emile-Roger Rimoux (1881-1915) (1), créant la
Société Amédée Thibout, Rimoux et Cie, et déménage sa fabrique de pianos au n°27 rue des Petits-Hôtels dans le 10e arrt. Cette société sera dissoute en date du 1er décembre 1911, Thibout étant racheté l’année suivante par la manufacture Pleyel dirigée par Gustave Lyon.

Le marchand de tableau
Félix-Isidore-Joseph Gérard (1864-1937) vient s’installer en 1904, au 2 rue Frochot, en lieu et place du facteur de pianos. Le père de Gérard, Félix-Laurent-Joseph qui, dans le même temps, décède le 5 septembre 1904 au 35 rue des Martyrs, était également un célèbre marchand de tableaux et organisait périodiquement des expositions qu’il accompagnait d’un catalogue raisonné ; de même son frère Emile et ses demi-frères Léon et Albert exerceront la même profession.
Agée de 59 ans, Marthe Ceheux, l’épouse de Félix-Isidore-Joseph Gérard, décède le 5 octobre 1925 dans sa villa du 2 rue Frochot ; Gérard quittera les lieux en 1928.

Après transformation des lieux, le
Restaurant Yedo vient s’installer à cet emplacement le 1er décembre 1929 : une visite s’impose dans ce nouveau restaurant qui, par le confort de son ameublement et sa décoration intérieure rivalise avec les plus somptueux palais asiatiques. Rapidement, le Yedo, devient un dancing-cabaret à l’enseigne « Au Yedo » (tel. Trud. 61-56). Ainsi, en février 1932, on danse, on chante dans un cadre merveilleux avec Orchestre et Attractions et les artistes Diena, Claude Berly, Campara et Rafaela.
En mars 1932, le fantaisiste Holmy prend la direction du cabaret Yedo où
une troupe fort bien composée va défendre, à ses côtés, la chanson française.
L’attrait pour le japonais semblant s’amoindrir, le cabaret se transforme bientôt en chinois : en avril 1934, le Yedo devient le cabaret Montmartre-Shanghaï puis Nuit de Chine et enfin Le Shanghaï. L’établissement propose toujours son dancing à 21 heures 30, avec Mayamba et son orchestre exotique. L’année suivante, changement de programme avec l’orchestre Mario Melfi ; Thé dansant à 4 heures - Soirée à 9 heures - Dimanche, matinée à 3 heures…

Cabaret Le Shanghaï — Restaurant Yedo
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Quelques annonces du Cabaret Shanghaï de 1934 à 1939
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Durant le conflit 1939-1945, alors que bon nombre de cabarets sont restés ouverts à l’occupant, le Shanghaï a gardé porte close.
Suite au règlement d’une succession ou d’une donation dont nous ignorons l’antériorité, une ordonnance du 13 août 1948, prononcée par le Tribunal de la Seine, met en possession de la Brasserie-dancing Le Shanghaï, la cinéaste
Henriette Reynaud (1931-1995) ; celle-ci épousera, en 3e noces, le 22 décembre 1967, le photographe et cinéaste Claude Renoir (1913-1993), le fils de l’acteur Pierre Renoir (décédé en 1952 au 7 rue Frochot) et petit-fils du peintre Auguste Renoir.
Restant dans le domaine artistique, le Cabaret est à nouveau transformé, en 1954, en un
Théâtre en rond, sous la houlette de l’ancienne actrice Paquita Claude (1910-2006), qui en prend la direction avec son compagnon le comédien André Villiers (1905-1996). Ce théâtre, le premier de ce type à Paris, dispose de 305 places disposées autour de la scène centrale de cinq mètres de diamètre.
Fermé en 1966 pour raisons financières, le théâtre est remplacé par un cercle de jeux privé…
Depuis octobre 2020, un restaurant péruvien à l’enseigne de la Villa Mikuna, a pris possession de cet Hôtel particulier de la rue Frochot.

Villa Frochot et entrée de l'avenue Frochot
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(1) Joseph-Emile-Roger Rimoux qui décèdera le 26 septembre 1915 à Souain sur le front de la Marne, s’était marié le 16 mai 1905 dans le 16e arrt., « intéressé dans la maison Thibout-Herz », demeurant au 30 avenue Henri Martin, avec Suzanne Charlotte Estelle Petit domiciliée 128 rue de la Pompe. A ce mariage, assistait comme témoin, le couturier Emile-Martin dit Félix Poussineau (1841-1930), élisant domicile au n°6 rue Boissy d’Anglas, pour qui son frère Auguste Poussineau, avait fait bâtir, en 1893, la fameuse villa Les Roches Brunes à la Pointe de la Malouine de Dinard.

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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Bateau à Bains Ouarnier quai de la Mégisserie et Ecole de natation quai Voltaire (Ier et VIIe arrts.)

Nous avons décrit ICI la pancarte portant la réclame « Paris-Tailleur » fixée le long de la passerelle du quai du Louvre, menant au ponton d’embarquement des bateaux-omnibus. Sur la carte présentée ici, la passerelle d’embarquement et le ponton du quai de la Mégisserie sont un véritable catalogue publicitaire. On y voit le chocolat Grondard, la Mutual life insurance company, les Montres Japy, les Pianos A. Bord, les Biscuits Pernot Fleur des neiges, les vêtements de la Belle Jardinière, le Savon Minéral L.J. Lecat, les Eaux minérales de l’entrepôt d’Ivry.
De même, le bateau-omnibus amarré au ponton est transformé en « bateau-sandwich », avec notamment les publicités pour la Cie Néerlandaise d’assurances vie et pour l’inévitable Chocolat Menier.

Descente de Bateau au Châtelet (quai de la Mégisserie) - Perspective du Tribunal de Commerce et de la Tour Pointue
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publié par zelig jeu. 15 juil. 2021 10:42 ► ICI

Réclames du ponton d’embarquement au quai de la Mégisserie
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Avant que les pontons ne soient amarrés le long du quai de la Mégisserie, celui-ci avait pour hôtes permanents, des bateaux à bains et des bateaux à lessive, comme bon nombre de quais parisiens.
En date du 25 prairial de l’an VI (13 juin 1798) le Fond des Domaines aux archives nationales répertorie 21 bateaux à bains sur la Seine et une école de natation, propriétés de :
— Ouarnier l’aîné (1 bateau à bains près du Pont Neuf quai de la Mégisserie)
— Ouarnier le jeune (2 bateaux à bains près du grand Châtelet)
— Daguenet (1 bateau à bains à la Samaritaine)
— veuve Blanchet (2 bateaux à bains devant la rue des Poulies)
— Martin Gautier (1 bateau à bains devant la rue de la Bourgogne)
— Duhamel (3 bains à bains vis-à-vis de la Monnaie)
— Le Roi (2 bateaux à bains quai du Nord)
— Piron (3 bateaux à bains près du terrain Notre-Dame)
— Petit (1 bateau à bains pointe de l’Ile près du terrain)
— veuve Binet (2 bateaux à bains quai de l’Union)
— Tronchon (3 bateaux à bains pointe de l’Ile Louviers)
— Deligny (Ecole de natation quai d’Orsay)

A la même date le prix des bains publics est fixé à 10 centimes, celui des particuliers à 50 centimes.

Jean-Jacques Ouarnier (l’aîné), marchand marinier s’est marié le 2 février 1755 à Paris avec Marie Elizabeth Robiquet. En 1783, lors du mariage de leur fils, ils résident à Paris 1er, rue Fromenteau (devenue rue du Musée avant de disparaître en 1850).
Leur fils
Charles Jacques Ouarnier (né vers 1760 - † 26 prairial an X / 15 juin 1802 à Paris), marinier, s’est marié le 14 janvier 1783 à Chatou avec Anne Benoîte Réal (vers 1762-1830) (sœur de Pierre-François Réal, procureur fiscal au Chatelet puis préfet de police).
A la suite du décès de Charles Jacques Ouarnier en 1802, les trois bateaux à bains tant du quai de la Mégisserie que du grand Châtelet ne sont plus en activité à Paris. La veuve Réal-Ouarnier se remarie, quant à elle, le 23 décembre 1807, avec Louis Fontaine.

Jacques François Etienne Ouarnier (30 juillet 1790-17 octobre 1871), originaire de Compiègne, fils de Charles Jacques Ouarnier et d’Anne Réal, poursuit ses études à l’école Saint-Cyr, devient lieutenant d’artillerie avant de quitter l’armée en 1816, pour venir amarrer, dès 1818, comme son père et son grand-père, un nouveau bateau à bains froids au quai de la Mégisserie, destiné à recevoir femmes et hommes, bien entendu soigneusement cloisonnés entre eux. Il obtient même de la municipalité, qu’un escalier soit conçu spécialement le long du quai pour faciliter l’accès à son établissement :
— On vient de construire un escalier à double rampe, pour établir une communication des bains en pleine eau de la Seine, au quai de la Mégisserie.
A droite et à gauche de ce double escalier, adossé au mur de soutènement du quai, dont l’un conduit aux bains des hommes, et l’autre à celui des femmes, et sur une grève qui n’étoit couverte que d’immondices, on a formé deux petits parterres composés de fleurs, d’arbrisseaux, de grotte de rocailles, etc.
(Journal de Paris 1819)
Il faut préciser ici, que non seulement les femmes devaient être isolées des hommes dans les bains publics, mais que l’accès à ces bains devait être également séparé.

Le quai de la Mégisserie en 1830 (gravure Antoine-Louis Goblain [1776-1842])
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Deux ans après son installation au Quai de la Mégisserie, Ouarnier s’auto-satisfait dans un « article-réclame » publié dans le Constitutionnel le 10 juillet 1820 :
— Les Bains Ouarnier, établis bas du Pont-au-Change, ont reçu cette année une grande amélioration. Nos docteurs peuvent maintenant prescrire en toute assurance, aux dames, l’usage des bains à l’eau vive. Elles trouveront dans ce bel établissement de fort jolis cabinets distribués avec autant d’élégance que de propreté. Une personne attachée au service particulier de ces bains, est à même de donner à chaque instant les soins dont on pourrait avoir besoin. On trouve aussi dans cet établissement de bons consommés, et au besoin, des lits de repos.
Le 25 juillet 1821, Ouarnier annonce, par l’intermédiaire du Journal de Paris, que le succès obtenu l’année précédente, l’a déterminé à faire construire des bains de rivière beaucoup plus vastes, réunissant l’élégance et la commodité, afin de satisfaire plus promptement l’impatience des dames, précisant qu’il a fait préparer des bains d’hommes qui offrent les mêmes avantages.
Afin de tenir ses bains, Ouarnier est aidé de plusieurs employés et notamment sa sœur Anne Rachel Ouarnier, mariée avec Pierre Blaise Pottée, ainsi que leurs deux filles Anne Céline et Aimée Philiberte.

Comme on peut le voir sur plusieurs gravures et dessins aquarellés réalisés en 1829 et 1830 dont celle reproduite ci-dessus, le quai de la Seine, au niveau du quai de la Mégisserie, est largement encombré par les Bains d’Ouarnier, mais également par les bains à lessive qui, à cette date, sont la propriété du sieur Brigand dont nous ne connaissons, le concernant, que quelques événements que nous rapportons ci-après.
Le journal des Débats du 21 janvier 1820 relate que lors de la débâcle de la Seine qui s’est faite cette nuit provoquant la rupture des glaces, des blocs ont provoqué d’importants dommages notamment l’engloutissement de deux bateaux de blanchisseuses ;
au-dessous du quai de la Mégisserie, sont entassés des débris de bateaux de charbon, des réservoirs à poissons et des bateaux de blanchisseuses. Et le journal de poursuivre :
— Le sieur Brigand qui, il y a environ quinze mois, a perdu un bateau dans lequel plusieurs femmes ont péri, a vu s’engloutir, dans cette catastrophe, tout ce qui lui restoit. Lui-même a manqué perdre la vie dans la maisonnette de son bateau. On n’a eu que le temps de le sauver par la fenêtre. Nous nous empressons d’annoncer que beaucoup de citoyens ont offert des secours au sieur Brigand. Une souscription en sa faveur est ouverte chez M. Robert Dumesnil, notaire, place du Louvre n°22.
Brigand qui, grâce à l’aide des mariniers de la Seine, a pu reprendre rapidement un bateau à lessives, toujours à la Mégisserie, va encore faire parler de lui en 1838, après avoir été pris en flagrant délit par la police fluviale, le 12 mars, en possession d’un filet de pêche prohibé connu sous le nom de « trouble ». Malgré l’appel qu’il interjette, prétextant que son bateau à lessive constitue également sa résidence, Brigand est condamné le 21 juin 1838 à 50 francs d’amende.

Le Pont au Change et le quai de la Mégisserie en 1829 (Dessin aquarellé Christophe Civeton [1796-1831])
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Revenons à Ouarnier qui ouvre, à la Mégisserie, des bains spéciaux réservés aux israélites, des bains dorénavant chauds et, en 1827, une Ecole de natation pour les femmes au bas du quai Voltaire, vis-à-vis la rue de Beaune.
Veuf de sa première épouse Edmée Eugénie Binstock, Jacques François Etienne Ouarnier se remarie en secondes noces, le 12 mars 1833, avec
Agathe Adrienne Lemaire (1812-1881) ; c’est précisément elle qui délivre les cartes d’entrées aux baigneuses de l’école de natation.

Quelques péripéties surviennent fréquemment. Ainsi
l’Estafette du 30 août 1835 relate les faits suivants :
— Les dames qui fréquentent les bains froids de la Seine, sur le quai de la Mégisserie, étaient inquiétées depuis quelques temps par les apparitions d’un individu qui venait se placer près des planches mal jointes qui entourent le bateau. Plusieurs fois l’intervention des surveillans fut nécessaire pour éloigner cet homme. Mercredi, il se présenta encore, et voulut, en plongeant, pénétrer dans l’intérieur du bassin ; mais ce malheureux n’a pu arriver jusque là, et il a été trouvé noyé entre deux planches du bateau. Il a été transporté à la Morgue, et reconnu pour être un nommé Deminincourt, cordonnier, rue de la Tonnellerie.

George Sand aux bains Ouarnier
Quelques mois avant le début de sa liaison avec Frédéric Chopin, Amantine Aurore Lucile Dupin (1804-1876), dite George Sand depuis 1832, a fréquenté l’Ecole de natation de Jacques François Etienne Ouarnier, pour le plus grand bonheur des paparazzi de l’époque. Ceci se passe en 1837 au quai Voltaire, alors que George Sand réside à l’Hôtel de France 21-23 rue Laffitte.
— Ces jours derniers, le bain Ouarnier, école de natation pour les femmes au quai Voltaire, a été le théâtre d’un véritable événement littéraire ; George Sand débutait sur ou dans la Seine, non pas comme romancier, mais comme nageur. A son apparition dans l’enceinte orientale, il s’est élevé un murmure qui a dû flatter l’auteur d’Indiana. Toute la population grelottante s’est réunie par groupes aux bords du bassin, et les baigneuses ont attendu impatiemment l’entrée de George Sand dans les eaux trop heureuses de le posséder. On croyait qu’il donnerait une tête, mais le public s’est étrangement mépris.
George Sand a montré une timidité singulière ; la femme célèbre qui s’habille en garçon et fume des cigarettes avec tant d’aplomb, n’a trempé que fort gauchement ses jolis pieds dans le bassin où les plus mignonnes et les plus délicates beautés de la capitale font des tours d’adresse et de courage à peu près masculins. En voyant une si parfaite inexpérience, les baigneuses, un moment interdites et craintives, ont retrouvé leur enthousiasme ; Mlle Noblet, qui fait la coupe beaucoup mieux assurément qu’elle ne joue la tragédie, et Mlle Dupont, qui fait la planche avec autant de talent que les soubrettes, ont rendu des passades à George Sand, lequel a pris la chose de la meilleure grâce possible. Parmi les néréides de la haute société parisienne qui s’étaient donné rendez-vous à cette matinée thermale, on remarquait Mme Paul Delaroche.
(Journal de Paris 1er septembre 1837)

Ecole de natation Ouarnier quai Voltaire — Portrait de George Sand vers 1835 (pastel Charles Louis Gratia)
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En 1845, la sœur de Ouarnier qui travaillait à la tenue des bains de la Mégisserie, Anne Rachel Ouarnier-Pottée, devenue veuve depuis le 16 juin 1826, est déclarée « propriétaire » des bains du 38 quai de la Mégisserie. Pas pour longtemps puisqu’elle décède le 27 juin 1846, laissant son frère reprendre les rênes de l’affaire.
Le 1er août 1849, Ouarnier, qui fait face à quelques difficultés, est déclaré en cessation de paiement. Rien de définitif puisque le 3 juin 1850 il signe un concordat et s’oblige à payer ses créanciers, en totalité, sur cinq ans, la dernière échéance étant fixée en septembre 1855.
Dorénavant, Ouarnier ne conserve que son établissement du Quai Voltaire où il emploie huit personnes, et aucun remplaçant ne s’installe pour le moment sur le quai de la Mégisserie. Nous avons une description détaillée de l’école de natation Ouarnier du quai Voltaire qu’il est intéressant de rapporter ici :
— Pour que l’eau des bassins soit pure et claire, Ouarnier a organisé en amont des toues, un filtre qui dépouille l’eau des corps étrangers qu’elle charrie et la rend si limpide qu’on en boirait (note : le rédacteur de cet article ne croit pas si bien dire puisqu’effectivement des « corps », sous forme de cadavres, sont régulièrement repêchés en Seine par les bateaux de bains et à lessive !)
L’établissement a la forme d’un carré long. Deux cents cabines ornées à l’intérieur d’un banc, d’une glace et de trois patères garnissent les côtés latéraux. A l’extrémité sud, c’est la « Giraffe » ou estrade, du haut de laquelle les plus hardies se précipitent. Au bas bout, c’est un rectangle de bois dont les pieds en fer plongent dans l’eau. Les timides et les enfants se cramponnent aux traverses de cette annexe et clapotent dans une entière sécurité.
On arrive au bain Ouarnier par un escalier de pierres qui a son sommet sur le quai Voltaire, et dont le pied repose sur une berge pavée, où les maris attendent, en regardant couler l’eau, la sortie de leur moitié. Certaines de ces dames appellent cet endroit « le vestiaire », dénomination contre laquelle je proteste : assimiler un époux à une ombrelle ou à un manteau me semble profondément injuste…
Toujours est-il que les masculins, confinés sur la rive, ne peuvent franchir le pont qui aboutit au comptoir où madame Ouarnier délivre des cartes.
Celles qui hantent ce « balnearium » ont pris, pour la plupart, un abonnement de saison, en sorte qu’elles se contentent de montrer leur coupon au bureau, se rendent dans la lingerie, où on leur remet leur costume, traversent le buffet, dont les étagères sont garnies de gâteaux et de vins d’Espagne et pénètrent enfin dans un petit salon orné de glaces, la dernière antichambre du gynécée aquatique !
C’est de quatre heures à cinq heures du soir que l’aspect de l’établissement est le plus pittoresque. Le spectacle de cent cinquante bonnets de toile cirée se débattant dans l’onde bouillonnante, jacassant, criant et remuant, ne manque pas de charme.
(L’Evénement 29 juin 1866)

Chaque année, lors de la période hivernale, l’établissement est tracté depuis le chemin de halage, par un attelage de bœufs, jusqu’à sa station d’hiver près de l’île des Cygnes, pour revenir, après la période de gel passée, sur le quai Voltaire, au courant du mois d’avril.
A la suite du décès de Jacques François Etienne Ouarnier le 17 octobre 1871, l’Ecole de natation du quai Voltaire est mise aux enchères au prix de 40.000 francs par maître Benjamin Prestat, notaire 77 rue de Rivoli, pour le 22 décembre 1871.

L’affaire continue cependant sous le nom de Ouarnier jusqu’en 1892, date à laquelle M. Morin la reprend et l’exploite jusqu’en 1903.
Signalons également qu’à quelques mètres de l’Ecole de natation Ouarnier, toujours sur le quai Voltaire, les sieurs Gontard et Dardel tenaient un établissement de bains depuis 1874, transformé en école de natation pour hommes à partir de 1887, reprise par Duchêne en 1890.
En 1904, il ne subsiste plus que des Grands bains pour hommes tenus par Schmitt et un bateau-lavoir appartenant à Louis-André Leneru depuis 1889.

Ecole de natation quai Voltaire au Pont Royal
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Nous avons vu que le quai de la Mégisserie n’a plus de bains froids depuis la cessation de paiement de Ouarnier en 1849. Ce n’est qu’en 1876 qu’un nouveau bateau à bains froids vient s’amarrer près du Pont-au-Change de la Mégisserie. Ce bateau a été acquis le 15 novembre 1876 par Louis-Emile Bigey auprès de son futur beau-père Louis-Joseph Leneru (1823-1901) qui stationnait précédemment ce bateau sur le canal Saint-Martin.
Quinze jours plus tard, le 2 décembre 1876,
Louis-Emile Bigey (1854-1930) se marie avec Eugénie Charlotte Leneru (1857-1931) ; avant son mariage, Bigey demeurait à Saint-Maurice (Charenton) sur le bateau à lessives que ses parents François-Antoine Bigey (1816-1901) et Séraphine Loisement possédaient depuis 1854.
Hormis son acquisition de 1876, Bigey ne fait guère parler de lui, sauf ce 5 juillet 1877 où le journal La Lanterne signale qu’au Quai de la Mégisserie, le nommé Louis Bigey, propriétaire des bains du Pont-au-Change, a retiré de la Seine, hier après-midi, le cadavre d’un jeune homme paraissant âgé de 18 ans que le commissaire Bérillon a envoyé à la Morgue.

Guère plus prolixe, son successeur,
Félix Hugot, ne se signale ni sur les annuaires, ni sur les journaux pendant plus de dix ans : seuls deux faits divers attestent de son installation sur le quai de la Mégisserie dans le désormais Bains des Fleurs. De son côté, François-Antoine Bigey fils reprend un bateau à lessive amarré au quai du Louvre qu’il tiendra de 1885 à 1899, tandis que son père cèdera celui de Saint-Maurice le 12 mai 1899 au sieur Godard.
Félix Hugot (né en 1820), maître de bains, marié avec Emélie Eléonore Hugot (1825-1890), s’est ainsi signalé comme propriétaire des Bains des Fleurs le 15 février 1881, lorsque son fils, Charles Henri Victor Hugot (né le 11 décembre 1856 à St Mandé), a sauvé un enfant qui se noyait, puis le 3 mars 1881, lorsqu’une couturière a tenté de se noyer.
La famille Hugot, père et fils, tient ainsi les Bains des Fleurs durant seize ans, de 1881 à 1897, date à laquelle l’affaire est reprise par
Leneru, Bouvet et Cie ; dans le même temps, Charles Henri Victor Hugot, devenu maître de bains au quai du Louvre, se marie le 22 juillet 1897 avec Jeanne Albertine Paymal (née à Bercy en 1856) qui était employée aux Bains des Fleurs.

Le Quai de la Mégisserie en 1862
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Le nouveau gérant des Bains des Fleurs, Louis-André Leneru, n’est autre que le frère d’Eugénie Charlotte Leneru épouse de Louis-Emile Bigey, lesquels étaient propriétaires des Bains de la Mégisserie en 1876, et de Henriette Augustine Leneru épouse d’Hippolyte Tissier qui tenaient un bateau à lessive au quai de Gesvres puis au quai de Bourbon. ► voir ICI notre article à ce sujet.

Louis-André Leneru (1847-1928), marié le 6 octobre 1868 avec Emma Gabrielle Froidure (1851-1894), s’est remarié en secondes noces le 8 décembre 1898 avec Marie Schergel (1866-1909). Avant d’acquérir les bains de la Mégisserie, Leneru était, en 1890-1894, dragueur et marchand de sables et cailloux, associé à Piketty et Guérin. En 1896, toujours associé avec Bouvet et Cie, il avait également acheté les Bains du Pont-Neuf et, le 10 février 1897, l’Ecole de natation basée au quai du Louvre.

La crue de la Seine de janvier 1910 signe la fin d’une grande partie des bains flottants, bateaux à lessive et autres écoles de natation. Le 27 mars 1911, Louis-André Leneru procède à la dissolution de sa société.

Le Quai de la Mégisserie (cliché Eugène Atget) - Le Ponton d'embarquement de la Mégisserie n’a pas été épargné lors de la crue de janvier 1910
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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Mairie du XVIIIe arrondissement - place Jules Joffrin

Félix Desportes (1763-1849), premier maire de Montmartre de 1790 à 1792, a fait aménager la première Maison Commune montmartroise au premier étage de l’ancien presbytère désaffecté, qui jouxtait son domicile, au n°3 de la place publique qui deviendra la Place du Tertre en 1830.
Cette installation précaire et provisoire durera près d’un demi-siècle.


La Maison Commune de Montmartre au 1er étage du n°3 place du Tertre, de 1790 à 1837
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Publié par Ombellule et Rokoto

En 1836, la municipalité de Montmartre dirigée par Jean-Louis Véron (1762-1861) (1), maire de 1830 à 1841, décide de faire édifier sa propre Mairie et engage l’architecte Paul-Eugène Lequeux (1806-1873) afin d’en établir les plans. Elle sera construite sur la place de l’Abbaye — place des Abbesses à compter de 1867 —, et inaugurée le 3 mai 1837 avec les discours de circonstance du maire Véron, de Jules Seveste (1803-1854), conseiller municipal qui avait présidé à l’exécution du monument et du préfet de la Seine, Claude-Philibert Barthelot, comte de Rambuteau. En clôture de l’inauguration, Jules Seveste, capitaine de la compagnie de la garde nationale de Montmartre et directeur de son théâtre a offert à la commune un spectacle gratis composé du Muet d’Ingouville et de Riquiqui. (2)

Mairie de Montmartre, place de l’Abbaye (des Abbesses) de 1837 à 1892
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Publié par Cparama

Lors de la séance municipale de Paris du 13 août 1878, Jean Lafont (1835-1908), conseiller municipal de Paris, dépose une proposition tendant à la construction d'une nouvelle mairie pour le 18e arrondissement. Il explique que l'exigüité des locaux de la mairie actuelle, érigée en 1836 pour la commune de Montmartre, a des conséquences très-fâcheuses, entre autres l'évacuation de l'école de garçons et de l'asile au moment de la révision des listes électorales et le refus à l'Association polytechnique de professer ses cours gratuits du soir dans une des salles de la mairie. Il demande que le Conseil vote pour le dix-huitième arrondissement l'installation d'une maison commune qui puisse satisfaire à tous les intérêts et à tous les besoins de la très-importante population de cet arrondissement.
Faute de fonds, la demande de Jean Lafont reste sans effet jusqu’au 21 juillet 1882, date à laquelle, le Conseil municipal décide d’acquérir un immeuble situé 13 rue Hermel, appartenant à M. Baustert, en vue d’y installer la nouvelle mairie du XVIIIe arrondissement. Cette propriété, s’étendant jusqu’à la rue du Mont-Cenis, est composée d’un terrain d’environ 900 m² comportant un petit pavillon au centre ; au-devant de ladite propriété, un terrain de 1.085 m² est occupé par le marché découvert de la rue Ordener, face à l’Eglise Notre-Dame de Clignancourt de la place Sainte-Euphrasie. Faisant suite à la propriété Baustert, se trouve un autre terrain communal de 445 m².
L’ensemble de ces terrains et immeubles s’étendant ainsi sur 2.430 m², le projet de construction de la mairie est entièrement viable. Le 19 juin 1882, l’éphémère préfet Charles Floquet, entérine l’acquisition de l’immeuble Baustert au prix de 205.000 francs, par l’intermédiaire des sieurs Baron et Tourret ; un crédit de 213.000 francs incluant les frais, est ouvert au budget de la ville. Le contrat de cession, autorisé par le Conseil de préfecture le 20 mars 1883, est signé le 19 mai 1883, mais
les droits d'enregistrement et intérêts afférents à l'acquisition de l'immeuble n'ayant pas été prévus, une rallonge sera nécessaire pour boucler l’affaire : le 21 février 1884, le Conseil municipal sera contraint de voter un nouveau crédit de 40.000 francs pour régler lesdits droits.

Réuni le 27 avril 1887, le Conseil municipal décide d’accroître la superficie destinée à accueillir la future mairie et vote l’acquisition de deux terrains, d’environ 600 m², situés au 72 rue du Mont-Cenis et rue Hermel, attenants à ceux déjà obtenus, appartenant aux sieurs Jeantin et Armandot. Cette cession est négociée au prix de 205.000 francs, auquel s’ajoute des indemnités d’éviction pour les locataires évaluées à 120.000 francs. Le 23 avril 1888, la ville devra débourser 15.983 francs à maître Mahot de La Quérantonnais, notaire, au titre des droits d’enregistrement relatifs à cette acquisition.


Emplacement sur lequel la Mairie du 18e arrondissement a été construite (cliché Ombellule, Cparama)
Le bâtiment d’un étage qu’on aperçoit à droite est l’Ecole primaire communale du 77 rue du Mont-Cenis / 115-117 rue Ordener, avant qu’elle ne soit surélevée de trois étages. Au centre, figure le pavillon Baustert qui sera démoli pour laisser place à la nouvelle mairie ; l’emplacement situé au-devant de ce pavillon était occupé à cette date par le marché découvert Ordener.
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Disposant à présent de plus de 3.000 m², la municipalité engage l’architecte Marcelin Varcollier (1829-1895) pour dresser les plans et devis de la future mairie, dont le coût de construction y compris l'ameublement est évalué à 1.600.000 francs. Dès le mois d’août 1888, les travaux de démolition, déblais et terrassements commencent.
La première pierre du monument est officiellement posée le 16 décembre 1888, à l’angle des rues Hermel et Ordener en présence du maire Jean Baptiste Bin, de ses adjoints Wiggishoff, Lamquet, Gros, Teyssèdre et Josset et de l’inévitable Poubelle, préfet de la Seine ;
une estrade avec des draperies rouges à crépines d’or est dressée sur la place Sainte-Euphrasie et des fauteuils sont installés pour accueillir les notabilités montmartroises. Bin y va de son discours et annonce tout de go que les travaux de la mairie seront terminés dans un an ; Poubelle prononce quelques phrases ; Félix Jahyer, président du « vieux Montmartre » fait l’éloge de la butte ; le poète montmartrois Amédée Burion récite quelques poèmes. Suit le défilé des musiques qui clôture la cérémonie.

Plans du quartier place Sainte-Euphrasie (place Jules Joffrin), avant et après édification de la Mairie du XVIIIe (1878 et 1894)
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Le 24 mai 1889, le journal La Justice qui suit l’avancement des travaux de très près, annonce que la construction est aujourd'hui en très bonne voie ; les quatre murs de côté atteignent la hauteur du premier étage, et sur la façade principale, le pavillon formant avant-corps de bâtiment, et qui doit être couronné par une terrasse à ciel ouvert, est terminé quant au gros-œuvre.
Le conseil municipal, dans sa séance du 20 octobre 1889, prévoit maintenant que les travaux seront probablement terminés dans le cours de l'année 1890 et réussit à faire passer une phrase indiquant que la dépense est évaluée à 1.800.000 francs (soit 200.000 francs de plus que prévu), non compris les frais de décoration et d'ameublement (alors qu’ils devaient être inclus). En conséquence, un mémoire est soumis au préfet le 27 juin 1890 prévoyant des travaux complémentaires fixés à la somme de 346.657 francs 50 c que le Conseil municipal approuve par délibération du 7 août 1890.

La nouvelle Mairie du 18e arrondissement, non achevée, est ouverte et inaugurée le dimanche 17 juillet 1892 sous la présidence d’Eugène Poubelle assisté du maire Jacques Wiggishoff et de ses adjoints MM. Lamquet, Gros, Teyssèdre, Josset et Douillet. Suivent les traditionnels discours de MM. Wiggishoff et Poubelle, de M. Boll, vice-président du Conseil municipal de Paris et de M. Lavy, député de Paris…
La place Sainte-Euphrasie désormais campée entre la Mairie et l’Eglise est rebaptisée place Jules Joffrin le 29 juillet 1895.
Le monument est achevé en 1905 par l’architecte Léon Salleron (1820-1904), Varcollier ayant pris sa retraite en avril 1893, puis décédé deux ans plus tard. L’ancienne mairie de Montmartre de la place des Abbesses sera aussitôt abattue : sur son emplacement, un square dédié au poète Jehan Rictus sera implanté en 1936.


TOUT-PARIS - 1205 – Mairie du XVIIIe et la Rue Hermel
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Publié par zelig sam. 23 juil. 2022 13:07 ► ICI

(1) Jean-Louis Véron, né en 1762 à Ully Saint-Georges dans l’Oise, est décédé à l’âge de 99 ans, le 3 février 1861, au 10 boulevard de Clichy. Il était Chevalier de la Légion d’honneur.

(2) Ce théâtre, qui deviendra le Théâtre de l’Atelier de la place Charles-Dullin, avait été fondé en 1822 par Pierre-Jacques Seveste (1773-1825) et continué, après son décès par ses enfants Jules et Edmond.

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Parc d’attraction Magic City et Magasins de l’habillement militaire – 73-75 Quai d’Orsay (VIIe arrt.)

Jusqu’en 1790, cette partie du Quai d’Orsay allant de la rue de la Boucherie-des Invalides (rue Surcouf) jusqu’au port de Grenelle, était totalement inexistante. A cet emplacement, face au quartier du Gros caillou, se situait un bras de la Seine et, reliée par le pont Rouge, l’Ile du Mat ou de Querelle ou encore Maquerelle dite également l’Ile aux Cygnes, longue de mille deux cents mètres et large de cent cinquante mètres. (à ne pas confondre avec l’Ile aux Cygnes de Grenelle qui a été créée artificiellement en 1825).
L’Ile aux Cygnes, plus longue que l’Ile de la Cité, était occupée par des chantiers de bois de charpente et de chauffage et un atelier de déchirage des bateaux, dont la ville de Paris avait obtenu la concession par lettres-patentes de mars 1721.
Lors de sa « Neuvième promenade », notamment aux Invalides, Jean-Jacques Rousseau emprunte, en 1767, le « bacq des Invalides », afin de visiter l’Ile aux Cygnes :

J’eus encore ce plaisir l’année dernière, en passant l’eau, pour m’aller promener à l’Ile aux Cygnes. Un pauvre vieux invalide, dans un bateau, attendoit compagnie pour traverser. Je me présentai ; je dis au batelier de partir. L’eau étoit fort et la traversée fut longue. Je n’osois presque pas adresser la parole à l’invalide ; de peur d’être rudoyé et rebuté comme à l’ordinaire ; mais son air honnête me rassura. Nous causâmes. Il me parût homme de sens et de mœurs. Je fus surpris et charmé de son ton ouvert et affable. Je n’étois pas accoutumé à tant de faveur. Ma surprise cessa quand j'appris qu'il arrivoit tout nouvellement de province. Je compris qu'on ne lui avoit pas encore montré ma figure et donné ses instructions. Je profitai de cet incognito pour converser quelques momens avec cet homme, et je sentis, à la douceur que j'y trouvois, combien la rareté des plaisirs les plus communs est capable d'en augmenter le prix. En sortant du bateau, il préparoit ses deux pauvres liards. Je payai le passage, et le priai de les resserrer, en tremblant de le cabrer. Cela n'arriva point; au contraire, il parut sensible à. mon attention, et surtout à. celle que j’eus encore, comme il étoit plus vieux que moi, de lui aider à sortir du bateau. Qui croiroit que je fus assez enfant pour en pleurer d'aise ? Je mourois d'envie de lui mettre une pièce de vingt-quatre sous dans la main pour avoir du tabac ; je n'osai jamais. La même hante qui me retint m'a souvent empêché de faire de bonnes actions qui m'auroient comblé de joie, et dont je ne me suis abstenu qu'en déplorant mon imbécillité.
(tome sixième des Rêveries du promeneur solitaire édition de 1857, page 502)

Plans Iles aux Cygnes 1772 et 1790
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Il est ordonné, par lettres-patentes du 20 juin 1773, de combler le petit-bras afin de relier l’île des Cygnes à la terre ferme, cependant l’exécution de ces travaux ne sera pas réalisée dans l’immédiat.
De nouvelles lettres patentes, datées du 30 septembre 1773, autorisent la concession de deux arpents, dans l’île des Cygnes, aux entrepreneurs de la cuisson des abattis de Paris. L’ordonnance de police du 11 avril 1786 confirme que la cuisson des abattis parisiens
ne pourra être faite ailleurs qu’à l’île des Cygnes et dans les bâtiments à ce destinés ; il est par ailleurs défendu aux tripiers, tripières et à telles autres personnes que ce soit, sous peine de 500 livres d’amende, et de confiscation des chaudières et ustensiles, même de punition exemplaire en cas de récidive, de cuire ou préparer, soit chez eux, soit dans les autres endroits de cette ville et faubourgs, les abatis de bœufs et de moutons ou partie d’iceux, sous tel prétexte que ce puisse être ; il est enjoint de les faire cuire et préparer par les entrepreneurs de la cuisson établie à l’île des Cygnes.

Les travaux permettant de relier définitivement l’Ile aux Cygnes au Gros Caillou, commencés en 1786, seront terminés plus de vingt ans après, attesté par le décret consulaire du 11 mars 1808 qui constate l’achèvement du quai.
La partie occidentale de la ci-devant Ile des Cygnes sera occupée par l’extrémité du futur Champ de Mars et par la fameuse tour de fer, et, à sa droite, par le Garde-Meuble et le Dépôt des Marbres du gouvernement, lieu destiné à stocker les kyrielles de statues achetées à tire larigot aux artistes exposant chaque année au Salon, et dont la ville de Paris ne disposait d’aucun emplacement pour les installer.

A l’extrémité orientale de l’ancienne Ile des Cygnes, la rue de la Vierge est prolongée, en 1812, jusqu’au quai d’Orsay (elle deviendra l’avenue Bosquet en 1864) ; dans le même temps, la rue Saint-Jean, qui lui est parallèle, est prolongée jusqu’à la rue de l’Université. Entre ces deux voies, la rue Malar, qui avait été ouverte en 1816 sur les terrains de la citoyenne Rose Malar, depuis la rue Saint-Dominique jusqu’à la rue de l’Université, est prolongée en 1832 jusqu’au quai d’Orsay.
C’est précisément sur la parcelle de 25.682 m², circonscrite entre la rue de la Vierge, le quai d’Orsay, la rue Malar et la rue de l’Université, que la municipalité, décide de construire un des deux Entrepôts de la ville, le second étant prévu sur la place des Marais, sur la rive droite du Canal Saint-Martin. Une ordonnance royale du 22 juin 1833 entérine ce projet.
La concession de
l’Entrepôt des Douanes du Gros-Caillou sur l’ex-Ile des Cygnes qui devait être adjugée le 23 juillet 1833 est repoussée au 31 août et attribuée à la société Alary et Cie, qui s’engage à construire deux grands magasins à trois étages, séparés par un vaste hangar, lesquels bâtiments deviendront la propriété de la ville, à l’issue de la concession de 81 ans.
Jacques-François-Xavier Alary (1789-1849), architecte et entrepreneur, et ses associés lèvent des fonds à hauteur de 600.000 francs pour l’exécution des travaux dont la première pierre d’élévation est posée le 20 octobre 1833 par Louis-Philippe lui-même ; en fait, dès le lundi 2 septembre, les travaux ont été activement menés grâce à une équipe de trois cents ouvriers, et les fondations sont déjà en place.

Plan partiel Quai d'Orsay 1840 et 1900
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L’entrepôt du Gros-Caillou ouvre ses portes le 1er avril 1834, accompagné par le préfet de la Seine, le comte Barthelot de Rambuteau ; à cette occasion, le maire du 10e arrondissement (qui deviendra le 7e en 1860), fait prendre les armes à un bataillon de la garde nationale, dont la musique est montée sur le bateau à vapeur « Le Commerce de Paris », arrivé le matin, chargé de café pour l’entrepôt.
Cette préouverture est suivie de l’inauguration définitive, le 30 août 1834, toujours en présence du Préfet, suivi par l’habituelle armada d’édiles et de notables.
En 1837, une ligne de chemin de fer, reliant la gare de Grenelle et l’Entrepôt de l’Ile aux Cygnes, est installée le long de la Seine. Cependant, dès l’année suivante, le 21 février 1838, les concessionnaires annoncent que leurs prévisions ne se sont pas réalisées et que les produits annuels sont encore de beaucoup au-dessous des dépenses. Aussi, après avoir désespérément cherché une solution à ces difficultés, la société Allary et Cie met en adjudication son entrepôt pour le 20 août 1838, sur une mise à prix de 600.000 francs, alors que sa construction lui avait coûté 1.600.000 francs. Faute d’acquéreur, une nouvelle adjudication a lieu le 2 octobre 1838 au prix de 400.000 francs. Sans succès !

Droits de douanes de l’entrepôt de l’Ile aux Cygnes 1834-1835 - Mouvement marchandises entrepôt des Cygnes avril 1838
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Le 30 janvier 1839, par ordonnance de Louis-Philippe, la ville de Paris suspend l’exploitation de l’Entrepôt des Douanes de l’Ile des Cygnes.
Les bâtiments reviennent alors à la ville de Paris qui les afferme au Ministère de la guerre, lequel y installe dès septembre 1841, un quartier d’infanterie : le journal le Siècle affirme que
les troupes y ont trouvé de beaux logements et de vastes terrains pour les manœuvres. En avril 1842, l’infanterie est dégagée pour laisser place au Magasin central de l’équipement militaire qui était installé auparavant, depuis 1830, au n°5 rue Saint-Jean-de-Beauvais dans le 5e arrt. Durant l’année 1842, les bâtiments sont appropriés et notablement agrandis pour accueillir les magasins de l’habillement, du campement, de l’harnachement et du petit équipement, ainsi que la pharmacie centrale, le tout étant sous l’autorité de l’Intendance militaire du n°58 rue de Verneuil.

TOUT PARIS - 1453 - Entrée des Magasins de l’Équipement militaire - Quai d'Orsay (VIIe arrt.)
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publié par zelig sam. 23 oct. 2021 11:06 ► ICI

Ces magasins situés dorénavant au n°73 quai d’Orsay, disposent d’un budget conséquent et déploient une grande activité ponctuée par les nombreuses adjudications des fournitures pour l’armée. Le Ministère de la guerre procède, en permanence, à de colossales commandes, telles que :
— trente mille mètres de toile de lin propre à la doublure d’effets d’habillement à l’usage de l’armée (janvier 1834)
— six mille couvertures de laine grise (décembre 1842)
— quatre cent kilos de sulfate de quinine (juin 1862)
— cent mille mètres de toile en lin ou en chanvre, dite 3 fils, pour tentes de troupes (novembre 1877)
— deux cent mille mètres de toile enduite pour havre-sacs ((juin 1882)
— cinq mille casques de cuirassiers et de dragons (juillet 1886)


De telles commandes ne se font pas sans que quelques employés de cette administration, peu scrupuleux, tentent de réaliser des profits illicites, dont certains finissent par être découverts. Le journal Le Mot d’Ordre du 18 mars 1892 se fait l’écho de certaines de ces pratiques :
— Administration militaire. Le ministre de la guerre a ordonné la mise à la retraite d'office de l'officier d'administration principal chargé de la gestion du magasin général de l'habillement et du campement au quai d'Orsay. Cet officier d'administration ayant voulu dissimuler quelques petits excédents dans les quantités d'effets qui lai étaient confiées, a méconnu les instructions réglementaires sur le service des comptables. Il est remplacé par M. De Beaucourt.
Cette affaire, toute disciplinaire, est distincte de celle des faux poinçons apposés sur les basanes de pantalons destinés à la cavalerie par un entrepreneur peu scrupuleux, aujourd'hui déféré à la justice où il se dit fort d'établir, parait-il, que son représentant, ayant agi en dehors de lui, est seul coupable. L'Etat ne perd rien ; les basanes vont être remplacées aux frais de l'adjudicataire.
L'opinion a été préoccupée par les conditions ambiguës qui ont présidé, vendredi dernier, à une adjudication de bretelles pour la troupe. Le ministre de la guerre fera recommencer l'adjudication.

Magasin 73 quai d’Orsay : adjudications fournitures d’habillement et d’harnachement septembre 1878
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Voici les directeurs qui se sont succédés à la tête du Magasin central de l’habillement, harnachement, campement du 73 quai d’Orsay (4e bureau) : Jacques-Marie Michelon de 1842 à 1850 ; Pierre-Victor Prillieux en 1851 et 1852 ; Thomas-Valentin-Bienvenu Grégoire de 1853 à 1857 ; Jean Arrigas de 1858 à 1876 ; Jacques Villeréal en 1877 et 1878 ; Louis-Henry Vigneron de 1879 à 1883 ; Charles-Ferdinand-Théodore Meyer en 1884 et 1885 ; Jean-Pierre-Ferdinand Imbault de 1886 à 1892 ; Léon-Jacques de Beaucourt de 1893 à 1908.
En 1905, le Ministère de la guerre décide d’implanter l’ensemble de ses Magasins centraux d’équipement, d’habillement dans de nouveaux locaux qui y ont été aménagés à Vanves, au 7 rue Larmeroux.
La ville de Paris ayant récupéré terrains et locaux en l’état en juin 1906, décide de céder l’ensemble par adjudication. Il va sans dire, que malgré sa mise à prix élevée (4.300.000 francs) et sa large superficie (à cette date réduite à 24.383 m²), les acquéreurs se précipitent pour se saisir de cette affaire. Le 5 octobre 1907, une Société civile appartenant à
Théodore-Ernest Cognacq (1839-1928) — le fondateur, avec sa femme Marie-Louise Jaÿ, de la Samaritaine —, constituée à cet effet, emporte la mise pour 5.011.000 francs (5.365.000 francs, frais inclus). Le quadrilatère des terrains ainsi acquis, est précisément mesuré à cette occasion : n°73 à 79 quai d’Orsay 204 mètres en façade de la Seine ; rue Malar 95 mètres ; n°160 rue de l’Université 186 mètres ; n°1 avenue Bosquet 107 mètres.
Ernest Cognacq prévoyant d’édifier Hôtels et immeubles de standing sur ces terrains, procède, en 1909, à la démolition de tous les bâtiments et entrepôts existants. Mais dès le mois janvier 1910, il voit ses projets engloutis par la fameuse crue de la Seine, au cours de laquelle le quai d’Orsay se trouve sous les eaux. Aussi, Cognacq va-t-il changer son fusil d’épaule et décider d’affermer ce terrain moyennant un loyer annuel de 400.000 francs, assorti d’une promesse de vente dudit terrain au prix de 12 millions de francs (comme quoi Ernest Cognacq n’était pas autant philanthrope qu’on l’a laisser entendre !) devant expirer en 1916, à un certain Coleman qui projette d’y aménager un vaste parc d’attractions.

Le quai d’Orsay inondé en janvier 1910
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publié par zelig mar. 19 avr. 2022 19:13

John Henry Coleman (1863-1943), banquier installé 22 place Vendôme (Banque Franco-américaine), sort d’une faillite, prononcée contre lui et son associé Henry-Francis Fletcher, par le Tribunal de commerce de la Seine le 8 octobre 1906, pour la Société « Automobiles Corre limited » dont l’objet était la fabrication et la vente d’automobiles au n°37 rue de Villiers à Neuilly-sur-Seine et ayant son siège à Londres, 311 Oxford Street.
Qu’à cela ne tienne, Coleman crée donc le 11 juillet 1910 la Société
Magic City Park, au capital de 5 millions de francs divisé en 50.000 actions, dont un quart est libéré par les actionnaires ; il est en outre créé 100.000 actions bénéficiaires, sans fixation de valeur nominale, attribuées à Coleman, en rémunération : de son apport du bail signé par la Société civile propriétaire du terrain, et des accords qu’il a passés avec John Calvin Brown pour la construction au prix forfaitaire de 3.400.000 francs de douze grandes attractions qui devront être achevées et livrées le 1er avril 1912.
Le conseil d’administration se compose de MM.
Emile Bernays (1869-1930), banquier, président de la société ; J. Patureau, W.A. Woodhouse, John Calvin Brown, E. Lehmann et Lautier.
John Calvin Brown n’en est pas à son coup d’essai puisqu’en 1907 il a installé le parc White City à Manchester ► voir ICI, suivi en 1909 du Parc Sainte-Marie où il a fait construire pour l’Exposition internationale de l’Est de la France à Nancy, dix attractions : le Grand Water Chute, la Figure Huit ou le Huit volant, le Palais du rire, le Pèlerinage, le Cake Walk, le Toboggan, le Grand Cinématographe, le Guignol et le Grand Tourbillon. ► voir ici le Water-Chute et ► ici le Toboggan
John Calvin Brown est donc chargé d’aménager le Magic City, dont il est nommé directeur pour cinq ans.
Plusieurs autorisations de bâtir sont successivement déposées : le 24 septembre 1910, pour la construction du Water-chute, d’un panorama et d’attractions diverses ; le 18 octobre 1910, pour l’installation d’un bâtiment d’un étage avec Salle de patinage et salle de bal, sur les plans de l’architecte Charles Lefebvre (1843-1917) ; le 14 novembre 1910, pour la construction d’un second bâtiment d’un étage, par l’architecte Paul-Louis Fenard (1874 - † après 1935) ; le 30 janvier 1911, pour la conception d’un édifice à rez-de-chaussée.
Afin de tenir en haleine la clientèle à venir, Coleman fait publier d’innombrables communiqués dans toute la presse parisienne, annonçant l’ouverture prochaine du Magic City, avec force détails. L’inauguration, tout d’abord prévue pour Pâques 1911 (16 avril), est quelque peu retardée, notamment en raison de quelques grèves organisées par plusieurs catégories d’ouvriers ; annoncée à nouveau pour le 25 mai, elle a finalement lieu le 2 juin 1911 à 8 heures en présence du tout-Paris, l’ouverture au public étant prévue le lendemain 3 juin, de midi à minuit.
L’entrée monumentale du parc se situe à l’angle du quai d’Orsay et de l’avenue Bosquet ; le tarif de l’entrée coûte un franc donnant droit à une attraction et chaque attraction suivante est à un franc.

Plan du Parc Magic City en 1923
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Magic City : Entrée principale quai d'Orsay-avenue Bosquet — Allée principale vue de la salle de Bal (cliché JanineB, cparama)
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Pour cette réalisation, John Calvin Brown n’avait encore encaissé que 2.400.000 francs sur le contrat d’entreprise qui lui avait été confié ; Coleman et la société Magic City, lui reprochant les retards d’exécution et les nombreuses malfaçons, refusent de lui régler le solde de ses travaux réévalués à 1.400.000 francs. Un procès s’ensuit, à l’issue duquel les parties transigent en acceptant de payer 1.062.000 francs à John Calvin Brown, dont 562.000 francs payable au moyen d’un prélèvement de 5% sur le montant des recettes du parc. Il va sans dire que Brown est démis de ses fonctions de directeur, dès le mois d’octobre 1911.
En juin 1912 de nouveaux administrateurs sont nommés (Fletcher, Gasc, Isorni et J. Fribourg) en remplacement des anciens (John Clavin Brown, Woodhouse, Fray, Colemann et Tognazzini). Les actions de la société Magic City sont, dans le même temps, introduites à la Bourse de Paris.

Les douze attractions prévues et ouvertes sont : le Water chute — La Roulette humaine — Le Scénic Railway (Montagnes russes) — Le Chemin de fer panoramique — Les Gondoles vénitiennes — Le Toboggan — Le Pont de la folie — Le Paquebot fantastique — Les ânes sauvages — La Banquette magique — La piste de Bobsleigh — La patinoire.

Magic City : Le Scenic Railway — La Roulette humaine
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Afin de maintenir un flot croissant de visiteurs, la direction de Magic City fait publier constamment des articles-publicitaires vantant les qualités de son parc, et permettant, par la même occasion de faire progresser le cours de son action à la Bourse de Paris :
— Le prodigieux succès de l'immense Park du quai d'Orsay s'explique par de nombreuses raisons qui tiennent à son admirable situation au centre même de Paris et à portée de très nombreux moyens de communication, jusqu'aux bateaux parisiens et au chemin de fer des Invalides, sans compter les deux lignes d'autobus spéciaux, si rapides, de la Porte Saint-Martin et de Notre-Dame-de-Lorette à Magic.
Il tient aussi à l'incomparable, au féerique cadre de Magic-City, dont l'entrée, on le sait, donne droit à une attraction, ainsi qu'à tous les nombreux divertissements gratuits disséminés dans l'immense Park — quatre fois plus grandi que tout ce qu'on a fait en France jusqu'à ce jour — comme l'hilarant « Pont des Maboules », « la Maison du Rire », la corde sur l'eau, les fauteuils tournants, etc., etc...
Ce colossal succès — plus de 500.000 francs de recettes en. 15 jours ! — tient surtout à l'extraordinaire variété des attractions-nouvelles, depuis le ravissant « Jardin d'enfants », avec toboggan-bijou, où sont réunis tous les jeux qui ravissent les petits, donc les familles, jusqu'au si pittoresque village des sauvages philippins, qui exercent, en plein Paris, leurs primitives et si curieuses industries. Ici, c'est la merveilleuse « Electra », dont les délicieuses artistes, minuscules et réelles, vivantes, font la joie des curieux. La seule grande lentille de cette attraction a coûté 25.000 francs. Plus loin, ce sont les fameuses « Sirènes » dont parle tout Paris ; la formidable « Création du monde », chef-d'œuvre des sciences du physicien et de l'électricien ; le pittoresque « Théâtre japonais » qui nous présente tous les grands succès des scènes nipponnes.
Ailleurs, nous sommes transportés dans le domaine mystérieux du Futur ; et nous entendons, dans le « Palais des Fleurs », les plus stupéfiantes des révélations sur notre passé et nôtre avenir.
Avec le Scenic Railway — deux fois plus grand que ce qu'on a fait jusqu'ici — le vertigineux Water-Chute, la ravissante Rivière de Venise, le « Bassin des Nigauds », qui fait la joie des femmes d'esprit, etc., — Magic City réunit le plus prodigieux ensemble d'attractions. Tous les Parisiens seront aujourd'hui à Magic ! Demain, grand gala, feu d'artifice, illuminations, etc. (Entrée : 5 francs, donnant droit à 5 attractions).
(Le Petit Journal 6 juillet 1911)

Magic City : Vue d'ensemble et le Water-Chute (cliché Toyota78, Cparama)
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Hormis ces attractions, Magic City a son restaurant, sa salle de bal et même un Kiosque à musique ; dans l’enthousiasme de la prochaine ouverture, les dirigeants du parc avaient laissé entendre que Gabriel Parès (1860-1934), l’emblématique chef de la musique de la Garde républicaine qui, après 17 ans à cette fonction devait prendre sa retraite, allait être nommé directeur artistique de Magic-City :
— Dans quelques semaines M. Gabriel Parés, l'éminent chef de musique de la garde républicaine, doit prendre — on le sait — sa retraite (déjà !). Il deviendra à cette époque — vers Pâques sans doute — directeur artistique d'un nouvel établissement (genre Luna-Park), Magic-City, actuellement en construction au coin du quai d'Orsay et de l'avenue Bosquet. Un orchestre, composé de cinquante-deux musiciens, triés sur le volet, y donnera deux concerts par jour, l'un dans l'après-midi, l'autre le soir. La personnalité de son chef distingué nous promet des séances du plus haut intérêt. (Le Radical 12 janvier 1911)
Si Gabriel Parès viendra effectivement donner un concert le jour de l’ouverture du parc, et y reviendra de temps à autre, il n’aura cependant pas la fonction de direction artistique souhaitée par les dirigeants de Magic City.
Des bals à grand orchestre, de moindre tenue, sont organisés chaque soir, des concerts sont donnés l’après-midi au kiosque à musique, et des thés dansants ont lieu tous les lundis et jeudis, de 4 h à 7 h., dans la salle de bal dont l’entrée s’effectue par le n°68 rue de l’Université.

Magic City : Le Restaurant — Le Kiosque à musique et le Water-Chute
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On ne peut passer sous silence le Village indigène Dunkali, qui aujourd’hui ne pourrait évidemment et heureusement plus figurer dans les parcs d’attractions, mais qui à l’époque y était de mise dans la plupart desdits parcs.
En 1912, on note la présence de l’orchestre della Rosa avec ses « admirables chœurs d’hommes et de femmes », tandis qu’on annonce que tous les soirs il y a skating, bal, cinéma, divertissements et le nouveau spectacle « Alma ! Tout le monde descend ! C’est solide ! » (entrée directe fauteuil 1 franc).
Régulièrement des bals travestis viennent ambiancer le Magic-City avec grand succès :
— Le Gala travesti de demain. Les « Vingt » dont ou sait les joyeuses et élégantes innovations, donneront demain soir, au Palais Persan de Magic-City, un splendide gala masqué et travesti qui fera courir le Tout-Paris. Il y aura distribution de charmants accessoires, orchestre Nocetti, soupers par petites tables.
Ce soir, à Magic-City, le fameux « Gala du Tout-paris », rendez-vous de toute la grande élégance. Au Magic-Cinéma-Palace, nouveaux films émouvants.
Mardi, magnifique fête parée et masquée dans la vaste salle, le jardin d'hiver et le Palais Persan — trois orchestres.
(Excelsior 20 février 1914)

Magic City : Vue prise du Palais Persan — Le Paquebot fantastique
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La réouverture printanière de Magic City qui vient d’être transformé :
— Ce fut vraiment une fête grandiose que celle qui fut donnée, hier soir, à Magic-City, pour la réouverture printanière de l'immense Park, admirablement, transformé. Plus de 20 000 personnes appartenant à l'élégance parisienne se pressèrent dans la Ville féerique et dans les attractions nouvelles.
Une illumination gigantesque de fête des Mille et une nuits, un splendide feu d'artifice sur le lac, le bal du Tout-Paris, un gala de skating, les nouveaux films Gaumont au Magic-Cinéma-Palace, et une multitude de « premières » à toutes les nouveautés enchantèrent cette fête joyeuse, élégante, indescriptible.
Nous ne rappellerons pas toutes les grandes attractions connues, Scénic, Water-chute, Rivière vénitienne, bassin des nigauds, dont le succès est toujours si vif ; mais parmi les nombreuses attractions nouvelles, il y a des merveilles, comme ces « sports d'hiver à Chamonix », où le ludge, le bobsleigh, etc.., sont pratiqués, ainsi que sur les pentes mêmes du Mont-Blanc ; la prodigieuse réalisation des « Planètes », qui donne les sensations les plus curieuses ; la-vertigineuse « roue de la danse » ; l'hilarant « chemin du bonheur », où chacun découvre quelque chose de nouveau, et d'imprévu ; les si intéressants « arts vivants », la prodigieuse Waltz-Ride, encore une merveille de la mécanique ; le fantastique « tourbillon », les savants « Life-Targets », etc., etc.
Aujourd'hui, en matinée et soirée, ouverture au grand public ; demain, en matinée, la Reine des reines et son charmant cortège.
(Le Petit Journal 4 avril 1914)

Magic City : Vue générale et Pont de la Folie en premier plan — Scenic Railway et Gondoles vénitiennes
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Lors de la guerre 1914-1918, le parc Magic-City cesse toute activité.
Réquisitionné par le ministère de la guerre dès le 2 août 1914, il est occupé par des territoriaux hospitalisés, avant d’accueillir environ 350 anglais engagés dans le conflit afin qu’ils suivent un entrainement dans le parc et des cours de gymnastique et d’instruction militaire, sous le commandement du capitaine W.-H. Brydone, dans l’attente des ordres de l’ambassade britannique.
Le 2 septembre 1918, le quotidien Le Journal nous informe que
Magic City vient d’être transformé en une immense fabrique de chaussures militaires. Depuis hier, l’intendance y a accumulé des cuirs dont le stock représente à cette heure une somme considérable ; du cuir de qualité extra en peaux entières, sèches et prêtes à être utilisées. Sur l’un des côtés, quarante machines-outils ont été installées. Tout cela marche, tourne, coupe, scie, grappe, perce.
Sans interruption,
ajoute le journal Le Soir du 7 septembre, de 6 heures du matin à 5 heures du soir, des camions y amènent de larges plaques de cuir, que déchargent avec fièvre des territoriaux. Ces cuirs, habilement et hâtivement manutentionnés, sont immédiatement transformés en bons et solides souliers « godillots de première » qui permettront à nos soldats de trousser les cottes de la gloire sur les champs de bataille…
C’est ainsi qu’on fabriquait dans l’usine de Magic City plus de dix mille paires de chaussures par jour sur les instructions d’Henri Boulanger, tanneur lillois qui sera détaché ensuite au ministère du commerce, en tant que chef technique de la section cuirs et peaux.
Par suite de cette production intensive, des monceaux de déchets de cuirs, mais également des quantités pharamineuses de brodequins et harnais usagés sont entreposés dans le parc d’attraction. De ce fait, la Direction des Domaines de la Seine est obligée d’organiser régulièrement des ventes aux enchères publiques afin de se débarrasser de ces stocks pour le moins gênant : ainsi le 22 juillet 1916, sont adjugés 8 tonnes de déchets de cuirs, 50 tonnes de cuirs pour l’engrais, 44 tonnes de brodequins réformés et 2 tonnes de bouts de ficelle ; le 16 février 1917, vente de 172 tonnes de débris de cuirs ; le 30 mai 1917, nouvelle adjudication pour 151 tonnes de débris de cuirs et 30 tonnes de brodequins réformés ; le 4 décembre 1918, vente de 319 tonnes de déchets de cuir et 20 tonnes de vieilles ficelles.

Territoriaux casernés à Magic City août 1914 - Fabrique de chaussures pour l'armée à Magic City août 1914
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Le 20 décembre 1919, l’Echo de Paris annonce : « Un événement parisien sensationnel : Magic City va rouvrir ».
Alors que l’établissement ne s’est pas encore débarrassé des tonnes de godillots qui y sont toujours entassés, la Salle de dancing rouvre effectivement ses portes le 24 décembre 1919 par un grand bal masqué.
La salle de patinage ouvre également tout comme le Palais persan. Les attractions foraines ont, quant à elles, définitivement disparu. Dorénavant Magic City se consacre aux danses, aux matchs de boxe, aux séances d’escrime, au cinématographe, aux salons et expositions, aux séances de cirque.
En raison de l’occupation des lieux durant les quatre années de réquisition 1914-1918, la Société Magic City forme une réclamation pour être indemnisée au titre des dommages de guerre, à hauteur de 5 millions de francs. Elle finit par obtenir en juillet 1922, un « acompte » de 3.689.747 francs et n’aura de cesse, durant plus de dix ans de procédure, de faire nommer experts sur experts afin d’obtenir un complément d’indemnité.

Magic City : Escalier d'accès à la Salle de Bal - Tango au Dancing (clichés JanineB, Cparama)
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Le 22 août 1925, Emile Barclays, président de la société Magic City depuis son origine, signe une convention avec le Groupe immobilier qui vient d’acquérir l’ensemble des terrains d’Ernest Cognacq (25.682 m²) : par cette convention, Magic City récupère gratuitement l’emplacement de 2.400 m² où sont installés le dancing et la patinoire et touche en outre une somme de 1.800.000 francs du groupe immobilier, en compensation de l’option d’achat des terrains dont bénéficiait Magic City jusqu’en 1916 mais qu’elle n’avait pu exercer en raison du conflit.
Le Groupe immobilier, quant à lui, procède au lotissement des terrains, sur lesquels vont fleurir en 1928 et 1929, les immeubles en pierre de taille de standing de sept et huit étages dont les appartements se négocient aujourd’hui à prix d’or. L’ensemble du parc Magic City une fois rasé, les permis de construire sont notamment délivrés aux architectes Fauvelle (79 et 81 quai d’Orsay), Plousey (170 rue de l’Université), Doubinsky et Mantout (3 rue Cognacq-Jay, voie créée en travers de l’ancien parc Magic City, parallèle au quai d’Orsay), Fidler, Marozeau, Bassompierre, Veber et Michau, Farge (tous rue Cognacq-Jay).

Démolition de Magic City (Le Petit Journal 19 avril 1928)
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De son côté, la Société Magic City dépose, le 2 février 1926, une autorisation de bâtir sa « Salle de Spectacle » d’un étage au 162 à 166 rue de l’Université et, le 23 octobre 1928, un « Hangar » à rez-de-chaussée. Le 24 mai 1931, en raison de la renumérotation de la rue de l’Université, le n°162-166 devient le n°180. Le nouveau Dancing de Magic City, se trouve désormais au n°180 rue de l’Université dont l’arrière donne sur le n°13-15 rue Cognacq-Jay.
Magic City continue ainsi avec succès, son activité de dancing et organise toujours de grandes fêtes, des séances de cinéma, des salons (salon de la gastronomie en 1927 et 1931), des conférences, des meetings politiques. En janvier 1933, une manifestation des contribuables fait grand bruit à Magic City : organisée par la Fédération Nationale des Syndicats et Groupements de Contribuables dirigée par M. d’Anthouard, dont le siège est 22 rue Lafayette, elle a convié ses membres au Magic City ; mais après avoir rempli les deux salles de l’établissement, la foule a été contrainte de stationner le long de la rue de l’Université sous l’étroite surveillance de la maréchaussée.

Salon de la Gastronomie à Magic City octobre 1927 - Manifestation des contribuables janvier 1933
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Tous les ans Magic City organise, depuis 1935, l’élection de miss Cinéma, dont le jury est composé de nombreux acteurs dont Fernandel qui en sera l’organisateur en 1938 et 1939. Les lauréates ont été Liliane Gauthier en février 1935, Monica Joël (après invalidation de l’élection de Jacqueline Mignac) en avril 1937, Marie Thérèse Fleury en avril 1938 et Noëlle Norman en mars 1939.

Election Miss Cinéma 1939 : lauréate Noëlle Norman, de son vrai nom Simone Denise Bruleport (1921-1985) ► voir ICI
— Après son élection, Noëlle Norman, « Miss Cinéma 39 », est engagée pour son prochain film.
Tous les ans le calendrier parisien est augmenté de plusieurs élections. Leur succès est variable et certains titres ne sont attribués qu'une fois. Mais il y a tout de même des manifestations classiques ; en tête de celles-là, il faut placer l'élection de « Miss Cinéma » qui permet de choisir, parmi une quarantaine de candidates ayant déjà tourné, la meilleure et de lui donner une chance sérieuse.
Comme l'année dernière, à même époque, l'autre soir à Magic City on a fait une « Miss Cinéma 39 ». Contrairement à ce que l'on aurait l'habitude de dire, l'assistance nombreuse n'était pas brillante, elle était diverse. D'un côté, dans la salle, la clientèle habituelle de Magic City dansait... Elle dansa de dix heures du soir à cinq heures du matin, elle dansa au son de deux orchestres, sous une décoration précaire de fleurs en cellophane.
De l'autre côté, tout près de la scène, des tables étaient disposées auxquelles étaient installées toutes les personnalités du cinéma parisien : c'est là qu'on fabriquait la « Miss ».
Outre le jury qui comprenait en particulier Fernandel, Alfred Machard, Duvallès, Constant Rémy, René Lehman, rédacteur en chef de « Pour Vous », sous le patronage duquel était placée la soirée, Jacques Houssin, Maurice Cammage, Walter Kapps, outre de nombreux producteurs, outre les représentants de la presse cinématographique, on remarquait Annie Vernay et sa mère, Claude Lehmann, Jean Chevrier, Fou Sen,
Raymond Segard. Tous évidemment furent assaillis par des amateurs d'autographes.
Après plusieurs attractions, le défilé des trente concurrentes commença. Raymond Blot, animateur de « Club 39 » les présentait avec une verve exceptionnellement indulgente. Les charmantes figurantes, ou petits rôles, se présentaient, marchaient et disaient une scène, un monologue ou chantaient. On eut des surprises ! Toutes les candidates n'étaient pas jolies, ni talentueuses, mais toutes étaient rendues sympathiques par leur trac.
Après une heure de délibération le jury arrêta, avec une justice consacrée par toute la salle, son choix sur une exquise rousse de dix-neuf ans : Noëlle Norman.
Noelle Norman a déjà pas mal tourné. Elle récita un poème de Victor Hugo et répondit avec beaucoup de répartie simple et intelligente. Habillée de bleu, elle était jolie et charmante. Elle fut couronnée par Annie Vernay et embrassée par Fernandel et Duvallès. Maurice Cammage l'engagea sur-le-champ pour son prochain film.
(Le Petit Journal 27 mars 1939)

Election de Miss Cinéma 1938 à Magic City en présence de Fernandel ( lauréate Marie Thérèse Fleury)
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A partir 1940, Magic City collabore ouvertement avec les allemands et passe des petites annonces telles que :
« On demande jeunes et jolies femmes parlant allemand, comme serveuses limonade. Magic-City. 180 rue de l’Université, de 10 à 12 h et de 14 à 18 h. » ou encore « On demande mannequin et entraineuse si possible parlant allemand. Magic-City. 180 rue de l’Université, de 14 à 18 heures ».
L’année suivante, c’en est fini du dancing qui laisse la place aux réunions et meetings qui s’enchainent au Magic City avec le P.P.F. (Parti Populaire Français), lequel préconise la « saisie des biens juifs », au moyen de discours enflammés prononcés par Pierre-Antoine Cousteau, Marcel Déat, Ralph Soupault, avec le soutien de Robert Brasillach, Lucien Rebatet, André Chaumet, Raymond Auriac, Charles Lesca, Alain Laubreaux etc...

Les réunions du PPF continuent à Magic City jusqu’en juin 1942, date à laquelle, la RDN (Radiodiffusion française) réquisitionne les locaux pour y aménager les studios de télévision franco-allemande, dont la direction est confiée à Kurt Hinzmann.
Dans la foulée, il est décidé de procéder à l’expropriation du bâtiment situé à l’arrière, le n°13-15 rue Cognacq-Jay, appartenant à la Caisse autonome nationale des mutuelles et retraites des anciens combattants. Un arrêté est pris en ce sens le 10 février 1943, et le 27 mai, le prix de l’indemnisation est fixé à sept millions de francs pour l’immeuble et à deux millions cent soixante-deux mille francs pour l’éviction des locataires.
De gros travaux sont engagés permettant de relier les deux bâtiments entre eux et afin d’y installer des loges, des salles de maquillage, des bureaux, des salles techniques etc.
En août 1944, Kurt Hinzmann remettra ces locaux entre les mains de la future R.D.F. (Radio Diffusion Française) qui deviendra l’emblématique O.R.T.F. (Office de radiodiffusion-télévision française), le 27 juin 1964…

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JeanMarc
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Re: Bâtiments, sites, curiosités et monuments emblématiques parisiens

Promenade des Pensionnaires du cirque Bostock - Boulevard de la Villette (XIXe arrt.)

En 1906, date du cachet de départ de ce cliché, les « pensionnaires du Bostock » effectuent une de leurs dernières tournées publicitaires sur Paris.
C’est le dimanche 4 octobre 1903 que le « consul de Bostock », chimpanzé pensionnaire du cirque éponyme fait sa première apparition à Paris … dans une loge des Folies Bergère. Il précède l’arrivée non moins spectaculaire à Calais, relayée par les journaux les 15 et 17 octobre, de la ménagerie américaine « Great animal arena » de Frank Bostock (1866-1912), composée de 27 lions, 3 lionnes, 7 tigres, 8 léopards, 2 jaguars, 7 ours blancs, 2 ours gris, 3 ours noirs, 2 hyènes rayées, 2 ours de Russie, un éléphant, un éléphantin et
divers animaux dont l’énumération serait trop longue. (voir ici affiche Great animal arena)
Le 6 novembre 1903, Frank Bostock annonce l’ouverture prochaine de son cirque américain dans l’Hippodrome de la place Clichy Caulaincourt (► ici)
qu’il vient de prendre à bail auprès d’un groupe de financiers ayant acquis cet établissement sur folle enchère le 30 juillet 1903, sur une mise à prix d’un million deux cent mille francs. (►voir ici, adjudication de l’Hippodrome)
La première représentation a lieu le jeudi 12 novembre 1903 à 8 heures ¾ précises.
De juillet à septembre 1906, l’Hippodrome fait peau neuve sous l’impulsion de son directeur Hippolyte Houcke, présentant après sa réouverture une scène pouvant accueillir six mille spectateurs. Pendant ce temps la ménagerie et son cirque poursuit ses tournées itinérantes en province, notamment à Beaune, Mirebeau, Chalon sur Saône, Sennecey, Charolles etc… Après sa réouverture, le samedi 6 octobre 1906, les spectacles se diversifient avec des ballets et des pantomimes ; une dernière tournée de la caravane et de ses éléphants est engagée en janvier 1907 à Caulaincourt. L’activité s’y poursuit, sans la ménagerie jusqu’en octobre 1907, suivie le mois suivant par quelques représentations théâtrales.
Le 14 décembre 1907, la compagnie des Cinémas Hall commence ses représentations cinématographiques à l’Hippodrome,
le plus grand cinéma du monde, mais se déclare en liquidation dès le 17 avril 1909. Repris en juin 1909 par la société de spectacles et d’attractions Parthénia et par le Skating rink, l’Hippodrome ouvre ses portes le 1er octobre 1909 avec une vaste piste de patinage à roulettes. Le succès n’y dure qu’un temps ! Finalement le bail de l’Hippodrome est racheté par la société de Léon Gaumont en septembre 1911 qui y installe son cinématographe jusqu’en 1973, date à laquelle ce monument historique est rasé pour laisser place à un ensemble bétonné accueillant un hôtel élevé au-dessus d’une grande surface de bricolage…
Du Bostock’s Great animal arena et de l’Hippodrome, il ne reste que les traces du passage d’un éléphant traversant la place du Combat, rebaptisée Place du Colonel-Fabien en 1945.


version colorisée
voir ICI ► version noir et blanc
Image
publié par rigouard sam. 11 mai 2013 17:28

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