La Vicomté-en-Dinard - Villa Ker Arlette

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JeanMarc
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La Vicomté-en-Dinard - Villa Ker Arlette

Série de cartes postales anciennes de la Villa Ker Arlette à La Vicomté-en-Dinard (Ille-et-Vilaine, 35).


5105 - La Vicomté-en-Dinard - La Villa Ker Arlette – G.F.
Collection Germain fils aîné, Saint-Malo

Située au n°3 avenue de la Vicomté, la Villa Ker Arlette a été construite pour le peintre Aimé Morot qui en a pris possession dès son achèvement en 1908.
Aimé Nicolas Morot (1850-1913), né à Nancy, se marie le 9 novembre 1887 avec Suzanne Gérôme (1867-1941), la fille du peintre académique Jean-Léon Gérôme.
En prévision de son mariage et de son installation avec son épouse, Aimé Morot fait l’acquisition d’un terrain dans le 16e arrt., au n°11 rue Weber et dépose successivement deux demandes de permis d’y édifier son Hôtel particulier et son atelier les 24 août et 9 octobre 1886. Emile Jeandel (1846-1890), entrepreneur de maçonnerie est chargé des plans et de cette construction qui est livrée à son propriétaire en 1888.
En 1900, les Morot installent leur résidence de campagne dans la villa «
Les Marronniers », qu’ils ont fait construire sur l'Île Gautier de Bougival. C’est ici qu’ils élèvent un lion qui leur a été offert en 1901 par le prince d’Arenberg. On verra, plus loin, que Morot ne se contente pas que d’un lion !

Aimé Morot et un modèle dans son atelier 11 rue Weber à Paris — La Villa des Marronniers d'Aimé Morot à Bougival
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En juillet 1902 Aimé Morot et son épouse organisent une fête champêtre dans leur villa des Marronniers, en l’honneur du baptême de leur fille Aymée-Arlette Morot, née le 22 février 1901 dans le 16e arrt. (1)
Si le prénom Arlette n’est pas officiellement attribué à sa fille, c’est pourtant sous celui-ci que Morot organise la fête de baptême de 1902. C’est la raison pour laquelle les époux Morot baptisent, en 1908, leur nouvelle villa de la Vicomté-en-Dinard,
Ker Arlette.

Une visite de la villa Ker Arlette d’Aimé Morot, de son atelier, de ses vipères et autres mammifères
— M. Aimé Morot a la passion des vipères. Il en promène généralement une famille avec lui. Le réduit dans lequel nous sommes enfermés est aménagé dans l'atelier. Entre deux coups de pinceau, M. Aimé Morot s'en va regarder les mouvements gracieux des venimeuses prisonnières, dont la langue fourchue et noire tremble sans répit. L'atelier de Ker Arlette, la villa que M. Aimé Morat a fait construire au fond de la baie du Prieuré, à Dinard, offre d'autres distractions à l'artiste que celle des vipères : la vue qui s'offre par la baie grande ouverte est l'une des plus harmonieuses et des plus variées du monde. Au premier plan, des pins d'Autriche se détachent sur les rochers que le flot viendra recouvrir à marée haute ; à gauche, la côte de Dinard, le vieux Dinard aux villas abritées et entourées de verdures qui retombent jusqu'à la mer ; à droite, l'embouchure de la Rance, les escarpements de la Vicomté, la tour Solidor, dressée au milieu du granit luisant et des varechs ; puis, Saint-Malo, sa coque de remparts, sa proue formée par l'angle d'un mur, au sommet duquel est demeurée la tour du guetteur ; puis les îlots, le Grand et le Petit-Bé, et à l'horizon, le croissant de Cézembre, les forts de la Conchée qui, au large, ferment la rade.
« Allons-nous voir le guépard ? » demande une dame. Le guépard ? Nous sortons de l’atelier ; nous retraversons le jardin qui surplombe le rocher où la mer montante vient jeter ses franges d'écume, et qui offre une végétation presque des bords de la Méditerranée... De l'autre côté de la maison, que l'artiste s'est plu à dessiner, à orienter, de manière que la vue fût partout renouvelée, — contre le rocher qui supporte la route et qui a été légèrement creusé en forme de caverne dont la couleur violente rappelle celle des terres orientales, une sorte de cabane se devine, à moitié recouverte de sable. Mme Aimé Morot et ses hôtes se sont arrêtés au sommet du tertre qui domine l'antre du guépard, tandis que M. Morot continuait et, arrivé devant la hutte, y appelle... Après une averse, le ciel de six heures du soir éclaire et commence à jaunir, des stratus légers et roses s'enlèvent au-dessus des ombrages noirs du Prieuré ; l'air est d'une douceur extrême, et la surface de la mer miroitante aussi calme que celle d'un lac.
Le guépard se montre, la face levée vers le soleil déclinant ; sa petite tête semble se contacter ; on voit se rapprocher les zébrures de son pelage ; ses yeux se ferment ; il s'étire, longuement, avec une jouissance incomparable. Les feux du soleil réfléchis par la muraille rouge l'enveloppent d'une lueur orange. Le père de Mme Morot, Gérôme, a peint sur le sable du désert des fauves ainsi dressés devant l'astre du jour. Les promeneurs qui longent la route de Dinard et la Vicomté ne se doutent point que sous elle se trouve un fauve à l'attache, ni que le colis apporté par cet employé du chemin de fer qui sonne à la grille, avec cette mention : poisson frais, renferme des vipères... Les promeneurs voient un monsieur à barbe grisonnante qui fait les cent pas le long de sa -clôture ; ce propriétaire, à l'aspect inoffensif, a été chasser le lion au Sénégal ; cette claire maison aux toits avançants abrite des reptiles. Et pourtant, à la window du premier étage, entre les bras de sa nourrice, un bébé de six mois, le dernier enfant de M. Aimé Marot, montre ses joues roses, son front pensif, et agite, lui aussi, vers le soleil ses innocentes petites mains potelées.
(L’Echo de Paris 7 septembre 1908)

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Aimé Morot qui possédait également deux chimpanzés dans sa villa Ker Arlette, fera parler de lui en octobre 1909. Le cadavre d’un de ceux-ci ayant été retrouvé sur la grève du Prieuré située en contrebas de sa villa, il va être quasiment accusé de meurtre, quelques témoins, appuyés par le médecin légiste, ayant affirmé qu’il s’agissait du corps d’une fillette. Lors d’une interview donnée le 1er octobre 1909 au Petit Journal, Aimé Morot donnera toutes les explications nécessaires afin de couper court aux rumeurs :
Saint-Malo – 1er Octobre 1909.
— Je vous ai parlé naguère de la découverte mystérieuse faite, il y a une dizaine de jours, sur la grève de Prieuré. Le flux avait rejeté sur la côte un, petit cadavre dont il ne restait que le tronc, la tête et les membres-ayant été sectionnés.
On crut être en présence du cadavre d'un enfant, une fillette probablement, qui avait été coupée en morceaux par un abominable criminel. M. Girard, commissaire spécial, fut chargé d'ouvrir une enquête. Entre temps, le cadavre avait été inhumé au cimetière de Dinard, et la nouvelle du crime avait produit, dans toute la région, une émotion compréhensible.
Or, il y a lieu de croire que cette émotion était-excessive.
Il ne s'agirait, que d'un chimpanzé.
Le propriétaire du singe qui aurait eu les honneurs de l'autopsie est M. Aimé Morot, l'artiste éminent, membre de l'Institut, l'ami et le gendre du peintre Gérôme.
M. Aimé Morot, qui habitait cet été la villa Ker-Arlette, près du Prieuré, a dû se résoudre à tuer ce petit chimpanzé qu'il aimait beaucoup, pour abréger ses souffrances.
Il semble donc très probable que le petit cadavre dont s'est occupé la justice, soit celui de cet animal, malgré les constatations du médecin légiste qui, interviewé, a déclaré n'être plus sûr et.ne pouvoir rien affirmer.
Quoi qu'il en soit, il reste établi par les pièces de l'enquête que le médecin légiste a déclaré que le cadavre trouvé était celui d'une fillette ; les témoins de l'autopsie l'affirment et le procès-verbal de gendarmerie en fait foi. Cependant, après quelques jours d'étude, car l'état de décomposition rendait l'examen difficile, le médecin légiste a dit que le cadavre était celui d'un garçon. Dès lors, toutes les hypothèses sont admissibles.
CHEZ M. AIMÉ MOROT
Dans l'île de Bougival, la villa des Marronniers, où demeure M. Aimé Morot, dresse son élégante structure, dans un beau décor d'arbres, tout au bord de la Seine.
Le célèbre-peintre, en proie à une forte fièvre, est couché. Cependant il veut bien nous recevoir quand même. Le but de notre visite, il l'a deviné et c'est en souriant qu'il nous parle :
— Malgré mon désir de ne pas voir s'ébruiter une affaire dont le ridicule est incroyable, je dois des explications à l'opinion publique.
D'abord, laissez-moi vous exprimer mon étonnement au sujet de la confusion qui s'est produite. Il est inadmissible qu'on puisse prendre le corps d'un singe pour celui d'un enfant, les différences anatomiques sont trop flagrantes.
Vous devinez le résultat d'une telle erreur : l'opinion publique, égarée par l'idée d'un crime, aurait désigné peut-être un assassin ; on aurait pu accuser un pauvre diable qui ne serait pas arrivé à se justifier.
Voici ce qui s'est passé :
Bobbie est le quatrième chimpanzé que j'ai eu en ma possession. Il venait de Bornéo. Il y avait deux mois à peine que je le possédais. Malheureusement, le pauvre animal était déjà très malade ; l’air trop vif de notre pays devait contribuer à aggraver son mal.
Chacun choyait Bobbie dans la maison. On le gâtait, on le promenait tous les jours au soleil. Je lui avais même acheté une brassière bleu marine, afin qu'il n'eût pas trop froid. Mais, épuisée par ses maladies, la pauvre bête tomba dans un état comateux...
Je résolus d'abréger ses souffrances et je la tuai donc d'un coup de carabine d'enfant. Ensuite, à l'aide d'une scie, j'amputai son bras droit, mais cette opération étant malaisée à accomplir, je me servis d'une hachette pour détacher les autres membres. Enfin, avec un couteau, j'enlevai la tête.
Ces débris, que je voulais conserver, sont actuellement dans des bocaux remplis de formol.
Le cadavre du singe ainsi mutilé, je profitai de la marée pour aller l'enfouir à environ deux cent cinquante mètres du rivage.
Le lendemain, de mon atelier, j'examinais des groupes de pêcheurs passant sur la grève, quand je vis une masse grise abandonnée sur le sable. Intrigué, je descendis au bord de la mer et je m'aperçus que les vagues avaient exhumé le corps du singe. Je plaçai le cadavre dans un autre trou et pour qu'un fait semblable ne se reproduisît plus, j'accumulai sur la fosse de lourdes pierres.
Le lendemain, je partais pour Jersey. C'est en revenant de ce voyage que j'appris la nouvelle d'un crime commis sur un enfant, à Dinard. Comme tout le monde, je crus à cette nouvelle.
Pouvais-je me douter que le cadavre de Bobbie serait la cause d'une semblable aventure ?
Quoi qu'il en soit de cette ridicule histoire, il est une preuve facile à établir. Le corps du singe, porté en terre en grande pompe, sera exhumé afin d'être examiné une dernière fois. Je tiens à la disposition de la justice les débris que j'ai gardés. Le plus léger examen démontrera que les extrémités, complètent le corps-mutilé. On retrouvera les marques de scie et de hachette.
Quant aux coups de couteau relevés, paraît-il, sur le cadavre, ils ne peuvent exister que dans l'imagination exaltée de quelque pseudo-témoin. Le corps, en roulant sur les galets, aura pu présenter quelques érosions, mais de là, à y voir des entailles causées par une arme quelconque, vraiment cela dépasse l'entendement.
M. Aimé Morot, un peu ennuyé de l'aventure, ne dissimule pas cependant l'intérê qu’offre pour son esprit d'artiste, cette méprise digne d'un conte d'Edgar Poë.

Portrait anonyme d'Aimé Morot (vers 1880-1885) - Suzanne Gérôme-Morot et sa fille Aymée-Arlette par Aimé Morot (1904)
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Quatre ans après cette mésaventure, Aimé Morot décède le 12 août 1913, dans sa ville Ker Arlette de La Vicomté.
Ses biens immobiliers sont mis en adjudication pour le 11 mars 1914 chez maître Moreau, notaire à Paris : l’Hôtel particulier du n°11 rue Weber est mis à prix pour 250.000 francs, la Villa Les Marronniers de Bougival pour 50.000 francs, la Villa Ker Arlette de la Vicomté pour 80.000 francs.
En fait, ni la villa Ker Arlette, ni l’Hôtel particulier ne seront vendus puisque Suzanne Gérôme, la veuve d’Aimé Morot, occupait toujours la Villa Ker Arlette en 1934 et qu’elle est décédée le 13 octobre 1941 dans son hôtel du 11 rue Weber.

Adjudication des biens immobiliers d’Aimé Morot du 11 mars 1914 (Revue de Paris 1er mars 1914)
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Plan de 1828 avec indications sur l’emplacement des divers Châteaux de la Vicomté-en-Dinard
La Villa Ker Arlette est désignée en « G »
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(1) Aymée-Arlette Morot (1901-1958) se mariera avec Edouard Dubufe, directeur de banque, fils du peintre Guillaume Dubufe, avant d’en divorcer le 24 février 1934.
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741 - Dinard - Villa "Ker Arlette" - ELD

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