Ce Casino situé le long de la plage de l’Écluse, est le second établissement de jeux à avoir été édifié à Dinard, tout juste 20 ans après le High Life Casino contigu à l’Hôtel des Terrasses qui avait ouvert ses portes en juillet 1882, sur l’emplacement des deux précédents casinos en bois successivement bâtis en 1866 et 1877.
Le Grand Casino, également appelé le Petit Casino (comme il est indiqué au fronton de l’entrée du bâtiment, sur plusieurs clichés) a été construit par la Société immobilière Dinard-Saint-Énogat, au capital de 700.000 francs, créée pour une durée de 30 ans le 22 août 1901, domiciliée 15 rue Montaigne à Paris. Les plans du Casino, tout comme ceux de l’Hôtel Royal qui le jouxte, ont été établis par l’architecte Eugène Blanchet (1865-1903). Celui-ci étant décédé le 27 avril 1903, le bâtiment sera complété en 1905-1906 par l’architecte caennais Lucien Pierre Hippolyte Joubin (1864-1951).
S’engageant à achever la construction du Grand Casino et du Grand Hôtel Royal pour le 15 juin 1902, la Société immobilière Dinard-Saint-Énogat les a affermés le 25 avril 1902 à Henri Bertrand (alias Martin Bertrand né le 14 août 1846 à Hautefort en Dordogne), l’un des cinq frères casinotiers qui ont défrayé la chronique en septembre 1893. voir ICI ►
En date des 22 et 31 mai 1902, par-devant maître Henri Kastler notaire à Paris, Henri Bertrand est autorisé à sous-louer lesdites constructions, à compter du 1er juillet 1902, moyennant un loyer annuel de 35.000 francs pour les trois premières années et 40.000 francs pour les suivantes, à Henry Ruhl (1869-1956) et son épouse Jeanne-Louise Hulot (1876-1951). On sait qu’ensuite, Henry Ruhl deviendra le nabab des hôtels et casinos. voir ICI ►
Pourquoi ce tour de passe-passe ? Tout simplement parce qu’Henry Ruhl est anglais à cette date et qu’il n’obtiendra la nationalité française qu’en 1907.
Alors que la construction du Grand Casino n’est pas achevée, le roi Oscar II de Suède vient le visiter en plein travaux au début du mois de mai 1902 :
— Au cours de son séjour à Dinard, le roi de Suède a tenu à visiter les travaux, fort avancés d'ailleurs, du nouveau Casino que l'on compte inaugurer, ainsi que le nouvel hôtel Royal, le 1er juillet prochain. Le Roi a beaucoup admiré la magnifique ordonnance de ce superbe établissement et la situation unique que ses promoteurs ont su lui donner. (Le Figaro 7 mai 1902)
Le 11 juin 1902, le Figaro donne une description sommaire de l’établissement et un aperçu des programmes des futurs spectacles :
— Dinard va s'enrichir, se compléter, cette saison, d'un Casino et d'un hôtel appelés à porter à son apogée la célébrité de la plage.
La salle de spectacle du Casino, avec une scène très vaste, une machinerie, des décors et une mise en scène toute moderne, permettra, de donner des représentations parfaites.
La direction artistique est placée sous le patronage de M. Victor Capoul, directeur de la scène de l'Académie nationale de musique, assisté de M. Victor Roger, le compositeur bien connu. Une troupe de premier ordre, composée d'éléments essentiellement parisiens, interprétera les plus grands succès d'opérettes de ces dernières années, faisant place de temps à autre aux grandes tournées Mily Meyer avec Paul Fugère et Frère ; Gémier et sa troupe la tournée Berny avec le Billet de logement Brasseur avec les Deux Écoles Mme Sybil Sanderson et M. S. Gluck, tous deux de l'Opéra-Comique, qui figureront dans un des grands concerts de la saison. Ces concerts seront conduits par D. Thibault, le chef d'orchestre si justement et si grandement réputé.
En dehors des concerts quotidiens, chaque jeudi soir sera consacré à de grands concerts symphoniques, des festivals seront organisés sous la direction de Paul Vidal, Xavier Leroux, Marty, Bachelet, etc. Enfin, deux grands concerts seront exclusivement consacrés à l'école anglaise et dirigés par le maëstro Jacobi.
De nombreuses fêtes et kermesses auront lieu chaque mardi, bal intime chaque vendredi, grand bal avec cotillon. Enfin, la direction organise pour le 15 août une représentation extraordinaire au bénéfice des pauvres de la région, avec le concours des artistes du chant et de la danse de l'Opéra, que M. Gailhard autorisera exceptionnellement à prendre part à ce gala.
L’ouverture du Grand Casino aura lieu le mardi 22 juillet 1902 et l'inauguration officielle le 26 juillet. La direction avait expliqué le 19 juillet que l’ouverture de l’établissement avait été retardée en raison du défaut de l’éclairage : L'électricité, à qui nous devons tant de merveilles, a parfois de fâcheuses fantaisies, témoin celle qui oblige le Grand Casino de Dinard à remettre à mardi son inauguration, qui devait avoir lieu aujourd'hui ainsi que nous l'avions annoncé.
Le baccarat ayant été autorisé à partir de 1907, les jeux vont prendre un essor considérable ; aussi, la ville de Dinard va-t-elle dorénavant prélever 10% sur les bénéfices provenant des jeux et une somme fixe annuelle de 15.000 francs sur l’établissement.
- Dinard - Le Grand Casino.jpg (172.25 Kio) Vu 52 fois
Henry Ruhl toujours titulaire du bail de l’Hôtel Royal et du Casino, en fait l’apport à la Société en commandite simple H. Ruhl et Cie le 10 octobre 1903, à la Société des Hôtels Réunis le 9 novembre 1904 et à la Société des Casinos Ruhl et Cie, lesquelles seront chargées de porter également ses affaires, notamment les Grands Casinos de Cabourg, de Cannes, de Beausoleil et du Palais du Soleil à Monte-Carlo.
Henry Ruhl également devenu propriétaire en 1905 du second casino dinardais, le High Life Casino, transfère les droits au bail de ses deux fonds de Casino dans une Société fermière des Casinos de Dinard y dédiée.
Depuis 1904, la direction du Grand Casino est confiée à Louis Robberi (1862-1931).
En 1922, les exigences de la municipalité passent à la vitesse supérieure : Henry Ruhl doit dorénavant verser 15% jusqu’à un million de bénéfice, 20% d’un à deux millions et 30% au-dessus ; en outre il doit subventionner le Comité des Fêtes à hauteur de 30.000 francs, le Bureau de Bienfaisance pour 30.000 francs et la publicité balnéaire pour 15.000 francs.
En septembre 1927, Ruhl propose à la municipalité de reconstruire un nouveau casino à la place de l’ancien sur les plans de l’architecte Lefort et de voir prolongé de 18 ans le bail de la Société fermière des Casinos qui gère le Petit Casino et le High Life Casino. En réponse la mairie de Dinard autorise en juin 1928, la création d’un nouveau casino, le Balnéum, à quelques mètres du sien sur les Terrasses faisant face à la plage de l’Ecluse.
Lors d’une réunion du conseil municipal de Dinard du 9 décembre 1929, Henry Ruhl déclare dans une lettre ouverte qu’il désire se retirer complètement de Dinard.
Le 20 janvier 1932, Henry Ruhl renonce à la prorogation du bail de l’Hôtel Royal et du Casino, et procède, devant maître Godet notaire à Paris, à la cession dudit bail, propriété de sa société des Hôtels Réunis, au profit de la Société Immobilière de Dinard-St-Enogat, toujours propriétaire des murs ; à noter que celle-ci a modifié ses statuts le 26 juin 1931 afin de les proroger de soixante ans, soit jusqu’en 1991…
En 1937, Henri Audrouin, dont le père tenait un cinéma à Saint Brieuc en 1915, reprend, avec son épouse, le Petit Casino (le Grand Casino est désormais appelé ainsi) et y installe une salle de Cinéma. En février 1985, les époux Audrouin cèdent le Petit Casino à Claude Lagrée : le cinéma s’appelle dorénavant « Les 2 Alizés ».
Aujourd’hui, les Alizés sont devenus le Cinéma Emeraude. Ses deux salles ont une capacité de 320 fauteuils (salle Goëland, écran de 12 mètres) et de 140 places (salle Mouette, écran de 8 mètres).
Plan des Casinos et Hôtels de Dinard longeant la plage de l’Ecluse vers 1930