
Publié par Vaugirard12 lun. 24 sept. 2018 09:30 ► ICI
Encore un sujet — le chocolat Masson — sur lequel les médias de tous poils ne se sont pas trop cassé la tête pour pondre d’invraisemblables histoires qui attribueraient l’origine de cette marque à un bistrotier du nom de Masson « créateur du chocolat au lait ». Il n’était que temps de remédier à ces insanités.
C’est en décembre 1818, à l’approche des traditionnelles étrennes du jour de l’an, qu’Antoine-Paulin Masson ouvre sa fabrique de chocolats et de bonbons au n°40 rue de Richelieu, en face de la rue Villedo, à quelques mètres de la fontaine Molière. Le Journal de Paris du 28 décembre 1818 fait déjà l’article pour ce nouveau magasin :
— Petit Voyage dans Paris, à l'occasion des Etrennes.
Un magasin de thés et de chocolats qui s'est installé sous l'enseigne de la Caravane, au n°18 du passage des Panoramas, mérite d’attirer les connaisseurs, et son chocolat dédié aux dames, est digne d’aller à son adresse.
Un nouveau magasin de chocolats et de bonbons, que M. Masson a ouvert au n°40 de la rue de Richelieu, aura sans doute aussi sa part de la faveur publique. Les amateurs de mécanique appliquée à la gastronomie y remarquent avec intérêt une machine d’une ingénieuse simplicité, et qui prévient le contact du cacao avec toute espèce de métal.
A l’instar des futurs chefs étoilés du XXIe siècle qui n’ont donc rien inventé, Masson, avant-gardiste, réalise ses créations chocolatières devant son public :
— Au nom de Comus et d'Hvgie, que l'on voit rarement frayer ensemble, nous annonçons aux gourmets qu'il vient de s’ouvrir une nouvelle fabrique de chocolat, chez le sieur Masson et compagnie, rue de Richelieu, n°40, en face la rue Villedo. Les entrepreneurs de l'établissement ont imaginé, pour la préparation de ce savoureux comestible, une mécanique simple et ingénieuse dont l'effet est d'isoler la pâte du chocolat de toute espèce de métal, et d'éviter par ce moyen les inconvéniens inséparables du contact de cette substance avec le fer ou l'acier.
Le prospectus de cette maison de commerce contient un avis fait pour inspirer la confiance : c'est l'offre de confectionner le chocolat sous les yeux même du consommateur, et d'après les indications que son goût dictera. On voit que les entrepreneurs mettent en pratique le précepte d'Horace : Utile dulci. Le double avantage qu'ils offrent au public doit leur assurer une vogue qu'ils sauront mériter.
(Journal général de France 1er février 1819)
Maison Masson n°40 rue de Richelieu
Nous ne pouvons passer sous silence l’acte d’état-civil de naissance d’Antoine-Paulin Masson, tant il est remarquable :
Antoine Paulin Masson nait à Bougival le 29 mai 1784 ; son père, Ambroise Thomas Masson, est, à cette date, concierge de M. le marquis Joseph de Mesmes, seigneur de la Chaussée (1) ; sa mère est Françoise Joséphine Portebois (2). Le parrain d’Antoine-Paulain est le « très haut et très puissant seigneur Messire Charles François de Montregard chevalier Comte de Médavy, Capitaine de Dragons, demeurant à Paris rue de Bourbon faubourg Saint-Germain paroisse Saint-Sulpice » (3), représenté par Pierre Félix Grosperre, son valet de chambre ; sa marraine est la « très haute et très puissante Dame, Madame Françoise Antoinette Louise de Noailles veuve de très haut et très puissant Seigneur, Mgr Marie François Scipion de Beauvoir de Grimoard, Marquis du Roure, officier au Régiment des Gardes Françaises demeurant à Paris rue Saint-Honoré paroisse Saint-Roch » (4), représentée par Marie Combalusier sa femme de chambre.
Avec un tel parrainage et un tel cérémonial de naissance, Antoine-Paulin Masson ne pouvait faire autrement que de s’illustrer à quelque chose !
Le 2 février 1818, soit quelques mois avant d’ouvrir sa confiserie-chocolaterie, il se marie avec Joséphine Leroy, née à Neuilly-sur-Seine le 5 octobre 1796 : lors de ce mariage, Masson résidait au n°91 rue des Petits Champs, précisément dans la chocolaterie de Louis-Robert Auger, chez qui il a fourbi ses premières armes dans le métier du cacao. (5)
Afin de se donner plus de chance de réussir, Masson a pris la précaution de s’inscrire sur les divers almanachs sur trois rubriques différentes : l’une est réservée aux « fabricans et marchands de chocolats », laquelle compte 27 concurrents sur Paris en 1818, la seconde aux « confiseurs » et la troisième consacrée au « distillateurs, marchands de liqueurs et vinaigriers ».
Les chocolats de Masson remportent un vif succès dont se font l’écho de nombreux journaux :
— M. Masson, fabricant distillateur et confiseur, rue de Richelieu n°40, s'est appliqué à donner à ses chocolats des formes agréables, afin qu’ils pussent flatter l’œil avant de plaire au goût : la coquetterie est partout de mise en France, même dans les arts industriels. M. Masson a, en outre, le mérite d'avoir exposé une machine d'une forme cylindrique à trois rouleaux pour broyer le chocolat ; il est l'auteur de cette machine, d'une simplicité et d'un effet merveilleux. (Le Constitutionnel 21 octobre 1823)
— Chocolats et bonbons. Nous devons indiquer à nos lecteurs le magasin de M. Masson, fabricant de chocolat, rue Richelieu n°40, comme un de ceux où l'on trouve les chocolats les mieux fabriqués et les bonbons les plus délicieux. Nous ne saurions trop recommander aux Dames de visiter cet établissement, elles y trouveront tout ce qui peut flatter le goût et les yeux, et nous ne doutons pas que le jour de l’an ne soit très productif pour M. Masson. (Le Figaro 4 novembre 1826)
— Étrennes en Chocolat. Depuis plusieurs années nous avons prédit le succès qu'obtiendrait M. Masson, chocolatier, rue de Richelieu, n°40, inventeur d'un genre de bonbons nouveaux ; l'événement a surpassé nos espérances, la mode a distingué les magasins de ce hardi innovateur, et force lui a été d'ouvrir de nouveaux salons pour recevoir la foule qui semble s'y donner rendez-vous pour y admirer les gracieux produits de son industrie. Chacun veut avoir les prémices des imitations nouvelles que M. Masson offre aux amateurs.
L'année dernière, ses Hannetons ont tellement fait fureur, que plus de 200.000 ont été vendus. Cette année il y joint différentes espèces de poissons et des Escargots destinés à acquérir la vogue des hannetons et de tous ces jolis enfantillages que M. Masson ne se lasse pas plus de créer, que la mode ne se lasse de les adopter.
Mais, ce qui lui donne un avantage immense sur ses confrères, c'est le Chocolat praliné et le Chocolat au thé. C’est par ce dernier produit que M. Masson a réellement fait preuve de savoir en parvenant à combiner dans la pâte de chocolat le principe odorant et fugace du thé et qui donne au chocolat un goût et un parfum aussi suave que délicieux.
On trouve également dans les magasins de M. Masson une multitude de bonbons dans les formes les plus nouvelles et les plus agréables, et tous fabriqués avec du chocolat exquis tel que M. Masson sait le faire.
Les magasins rue de Richelieu, n°40, sont une exposition continuelle des produits de cette fabrique qui, tous les ans, prend un nouveau développement. (Le Corsaire 23 décembre 1829)
Contraint de s’agrandir, Masson ouvre un second atelier au n°35 rue Montpensier, voie parallèle à la rue Richelieu :
— On a annoncé dernièrement dans les journaux une machine pour broyer le chocolat. Je suis inventeur d'une machine pareille ; je m'en sers depuis douze ans, et le modèle en a été admis aux expositions de 1823 et 1827, avec les produits de ma fabrique. On peut visiter mes ateliers, rue Montpensier, n°35, où l'on verra fonctionner deux de ces machines, approuvées par douze ans d'expérience. Masson, Fabricant de Chocolats rue Richelieu, n°40. (Le Constitutionnel 12 avril 1830)
Atelier de la Maison Masson n°35 rue Montpensier (gravure du Monde illustré en 1859)
On se rappelle qu’en 1784, Ambroise Thomas Masson, le père du chocolatier, était concierge du marquis Joseph de Mesmes, seigneur de la Chaussée à Bougival. Depuis, sa veuve, la marquise de Mesmes, Anne Marie Feydeau de Brou (1) a revendu le Château de la Chaussée et ses dépendances, le 26 mai 1813, à Joséphine de Beauharnais (1763-1814).
Celle-ci décède juste un an plus tard, le 29 mai 1814, laissant la propriété à sa fille Hortense de Beauharnais (1783-1837) qui confie la gestion du domaine à un intendant Etienne-Jacques-Jérôme Calmelet-Durozoy (1763-1840) ; après de nombreuses procédures, Calmelet réussit à s’emparer de la propriété, les 26 et 28 septembre 1829.
Aussitôt, Calmelet procède au lotissement du domaine et fait détruire le château au début des années 1830, sur l’emplacement duquel, il fait édifier un Pavillon.
Le 5 septembre 1837, par-devant maître Antoine-Jacques-Nicolas Bertinot, notaire à Paris, Calmelet-Durozoy cède ce Pavillon et 6 hectares 85 ares 53 centiares à notre chocolatier, Antoine-Paulin Masson, qui récupère ainsi une partie du domaine dont son père était concierge, 53 ans auparavant.
Château de la Chaussée de Bougival, détruit en 1830 — Château d'Argence de Bougival détruit en 1862-1863
(1) Joseph de Mesmes (1716-1795), marquis, seigneur de La Chaussée et de Bougival, maréchal des Camps et Armées du Roy, Gouverneur et Grand-Sénéchal des villes et comté du Marsan avait épousé le 13 avril 1749, la « très haute et très puissante » Anne-Marie Henriette Feydeau de Brou (1731-1819), fille du marquis Paul-Esprit de Feydeau, Garde des Sceaux, seigneur de Brou et de Prunelay ; en dehors de leur Château de la Chaussée, les époux de Mesmes résidaient, à Paris, rue de Louis Legrand, paroisse Saint-Roch.
(2) Le 19 mai 1783, Ambroise Thomas Masson — alors officier de maison, demeurant à Paris, rue du Four, paroisse Saint-Sulpice — avait épousé, sous contrat notarié, dame Françoise Joséphine Portebois avec l’agrément de :
— Messire Charles François de Montregard (voir en 3 ci-dessous) ;
— la marquise du Roure, Dame Françoise Antoinette Louise de Noailles (voir 4 ci-dessous) ;
— Jean-Baptiste François de Montullé (1721-1787), conseiller d’Etat et secrétaire honoraire du Commandement de la Reine, et son épouse la marquise du Chilleau, Élisabeth Françoise Haudry (1727-1800) ;
— Jeanne Élisabeth Floride de Montullé, marquise du Chilleau ;
— Henry Roland Lancelot marquis Turpin de Crissé (1754-1795) maréchal de camp, inspecteur général de la Cavalerie et son épouse Emilie Sophie de Montullé (1756-1816).
Ce contrat de mariage, haut en couleur, porte qu’Ambroise Thomas Masson possède une maison et trois arpents de terre situés à Louville-la-Chenard dans l’Eure-et-Loir, d’une valeur de quatre mille livres, et qu’il dispose d’une pension viagère de 600 livres accordée par M. le Comte et Mme la Comtesse du Roure.
Le père d’Ambroise Thomas Masson, Messire Pierre Toussaint Masson (1709-1782), marié avec Adélaïde Claude Duparquier, était Président trésorier de France au bureau des finances de Paris depuis juin 1771 jusqu’à son décès du 21 mai 1782 ; son office était estimé à 71.102 livres, lors de sa succession clôturée en 1790.
(3) Charles François de Montregard chevalier Comte de Médavy, né en 1762 au château de Médavy dans l’Orne, a épousé Antoinette-Renée de Gaignon (née en 1767 au château de Vilainnes) en 1784. Il commanda une division vendéenne pendant la révolution et mourut en 1835.
(4) François Scipion de Beauvoir de Grimoard Marquis du Roure, décédé à 22 ans le 17 avril 1782, avait épousé Françoise Antoinette Louise de Noailles qui décédera à 24 ans le 3 août 1788.
(5) Louis-Robert Auger (vers 1758 - 1833) qui possédait également un atelier au n°5 rue du Petit-Moine dans le 5e arrt., avait déposé un brevet d’une durée de cinq ans, le 26 pluviôse de l’an XI (15 février 1803), alors qu’il avait son magasin au n°288 rue de la Loi (nom de la rue de Richelieu de 1793 à 1806) : son invention permettait de retirer des cacaos des îles de nos colonies, leur saveur trop forte, leur âcreté et leur amertume, sans rien détruire ni altérer de leurs parties onctueuses et homogènes.
Nous donnerons la suite de notre chronique lors d’un prochain envoi.