Chocolat Palée Strasbourg
A. ROBIDA - " L'Officier de Garde ".
publié par rigouard mar. 16 juin 2020 07:09
Fils d’un boulanger haut-marnais de Villiers-en-Lieu, Charles-Elisée Palée y est né le 1er janvier 1849. En 1880, il vient tenter sa chance à Strasbourg en tant qu’ouvrier-confiseur. L’année suivante il est déjà à son compte comme confiseur-chocolatier, installé au n°15 rue Thiegarten, à quelques mètres du quai Saint-Jean.
Le 28 janvier 1882, il épouse la strasbourgeoise Catherine Emilie Schaub (28 août 1860-20 avril 1937) et acquiert l’indigénat alsacien, autrement dit la nationalité allemande, le 8 mars 1883.
La Confiserie-chocolaterie Palée du n°15 rue Thiegarten à Strasbourg en 1924 (n°15 bis aujourd’hui) – Réclame Confiserie E. Palée 1896
La confiserie de Charles-Elisée Palée se fait connaître essentiellement par son chocolat dont il vante la qualité par de nombreuses réclames diffusées dans la région :
Réclamez partout le CHOCOLAT PALÉE.
Beaucoup PLUS FORTIFIANT ET PLUS ÉCONOMIQUE QUE TOUS LES CACAOS POSSIBLES ; l'essayer, c'est l'adopter.
LE CHOCOLAT PALÉE EST GARANTI PUR CACAO ET SUCRE. Il est fabriqué avec de puissantes machines, les plus perfectionnées qui existent.
Les avantages incontestables que l'usine possède et qu'il serait trop long d'énumérer, la mettent au PREMIER RANG et lui permettent de donner, à prix égal, UNE MARCHANDISE SUPÉRIEURE A CELLE DE LA CONCURRENCE et surtout aux marques étrangères, lesquelles paient 80 Marks de droits d’entrée, sans compter un port élevé, dont le CONSOMMATEUR EST SEUL ATTEINT.
L'usine E. Palée, rue Thiergarten 15, Strasbourg, est la fabrique de confiserie la plus importante d'Alsace-Lorraine. 12 hautes récompenses obtenues. — Hors concours.
(Le Messin, Journal politique quotidien - Dimanche et Lundi 16-17 Novembre 1902)
La confiserie devenue prospère, Palée fait l’acquisition, peu avant 1900, d’un château situé dans sa ville natale de Villiers-en-Lieu. De 1900 à 1910, il fait restaurer cette « Villa d’Alsace » sur laquelle il fait apposer une plaque de marbre :
Villa d'Alsace, restaurée de 1900 à 1910 par E. Palée, de Strasbourg.
Construction de la grille, du grand salon, des deux tourelles. Transformation de la partie droite du parc. Etablissement de toute la partie gauche. — En 1868, l'emplacement appartenait encore à 12 propriétaires ; il existait 7 corps de bâtiments donnant abri à 7 ménages. — Architecte de la restauration : Haug, Strasbourg.
La Villa d’Alsace sera mise sous séquestre en 1915, du fait de la nationalité allemande d’Elisée Palée.
La « Villa d’Alsace », Château d’Elisée Palée à Villiers-en-Lieu
Le fils d’Elisée Palée, Gilbert Palée, naît le 24 avril 1883, mais celui-ci est éloigné du foyer familial à partir de 1892, placé dans une pension d’Haguenau jusqu’en 1897 puis dans un collège de Longuyon jusqu’en 1902. La raison de cet éloignement est connue lors d’un procès qui aura lieu en 1925 au cours duquel sa mère, Catherine Emilie Schaub, révèle qu’Elisée Palée a « commis un faux-pas » en devenant l'amant de sa sœur Berthe Schaub, laquelle a donné naissance à Kehl, le 9 janvier 1893, à un enfant prénommé Elysée-René…
Après l’armistice, (Charles) Carl-Elisée Palée demande à recouvrer sa nationalité française, ce qu’il obtient en 1920. Ce qui n’est pas du goût des anciens combattants qui, apprenant la nouvelle par les habitants de Villiers-en-Lieu, lui réservent un accueil qui n’est pas des plus chaleureux le 5 juin 1921 (déjà, le 2 août 1914, son arrivée à Saint-Dizier avait provoqué un tollé et avait été suivie de son expulsion immédiate) :
— Une chaude réception. Nos camarades se souviennent certainement de l’extravagante histoire, contée en son temps dans la Voix du Combattant, de Palée, ce Français, si l’on peut dire, qui s’était fait naturaliser allemand avant la guerre, dont un fils fut mobilisé dans l'armée allemande et qui s’est fait renaturaliser français après la guerre.
En voici un nouvel épisode. Le dimanche 5 juin 1921, Palée arrivait en auto à Villiers-en-Lieu, dans la Haute-Marne, accompagné de son chauffeur et de deux dames et s'arrêtait à sa villa, la « Villa d’Alsace » s’il vous plaît.
A peine sa présence était-elle signalée, qu’au son du tambour se rassemblaient nos camarades auxquels se joignaient la plus grande part des habitants bien décidés à protester contre un si scandaleux retour.
En cortège, on se rendit à la villa, Palée effrayé s’en était enfui. Recherché et découvert, il y fut ramené et dut après s’être entendu déclarer, avec quelque vigueur, indésirable sur le territoire de la commune, promettre formellement de n’y plus remettre les pieds et partir sous la protestation de nos amis qui se portent garants que la promesse faite sera tenue.
L’on comprend qu’à l’encontre de Palée, leur patriotisme ait quelque mémoire.
(La Voix du combattant 19 juin 1921)
Afin de couper court aux violentes campagnes de dénigrement et aux menaces dont il fait l’objet, Charles-Elisée Palée cède la Villa d’Alsace de Villiers-en-Lieu en septembre 1921, à la Société d'Energie électrique Meuse-et-Marne.
Charles-Elisée Palée réclamera, en justice, des dommages et intérêts pour les dégradations (1) de cette villa, survenues depuis 1915, date du séquestre, jusqu’à sa cession en 1921 : sa demande chiffrée à 68.671 frs. 25 sera accordée à hauteur de 28.466 francs.
(1) Dans toutes les pièces, il y a des réparations à faire. Dans la salle de billard, qui occupe toute la longueur du bâtiment et tient lieu de salon, le parquet, qui était fort beau, a été éventré en plusieurs endroits. Des pendeloques des lustres ont été enlevées ou cassées. Seul le lustre du milieu n'a pas trop souffert. Les quatre canapés sont intacts. Des chaises, des tables de jeu ont été détériorées. Le piano, après avoir été promené dans toute la maison, se trouve maintenant dans la salle à manger : il est très fatigué. La vaisselle a disparu ; une glace est cassée ; des meubles sont endommagés. Du rez-de-chaussée aux mansardes, des travaux s'imposent.
Après le décès de Charles-Elisée Palée survenu le 18 décembre 1924, son fils, Gilbert Palée, continue l’exploitation de la chocolaterie-bonbonnerie-confiserie de la rue Thiegarten, avant de trouver, en 1930, un successeur en la personne de Charles Ernest Schwenck qui crée la société « Maison E. Palée, Schwenck et Cie Successeurs ». Celle-ci dépose un brevet le 18 octobre 1933 concernant une tisane concentrée sous forme de bonbon, peut avant d’être mise en liquidation judiciaire le 15 janvier 1936. Les comptes définitifs de cette faillite seront déposés le 23 octobre 1936 au Palais de Justice de Strasbourg.
Gilbert Palée fera encore parler de lui le 17 septembre 1937, en adressant un don de 15.000 francs à l’Orphelinat Israélite de jeunes filles :
— Orphelinat Israélite de jeunes filles. Qu'il nous soit permis de signaler un don particulièrement important, fait à notre Œuvre, il y a peu de temps, par Monsieur Gilbert Palée (Propriétaire de l'Usine Palée, à Strasbourg). En mémoire de sa mère, feu Madame Elysée Palée, décédée le 20 avril 1937, son fils, M. Gilbert Palée, a offert à l’Orphelinat 15 Obligations de Frs. 1.000 chacune, soit en tout 15.000 Frs. (Quinze mille Francs). Cet acte de généreuse bonté est d'autant plus touchant que son auteur n'est pas de notre confession, et nous sommes heureux de pouvoir rendre ici un hommage plein de reconnaissance et d'admiration à ce grand bienfaiteur de nos jeunes orphelins.
Le Comité de l’Orphelinat.
(La Tribune Juive 17 septembre 1937)
Manufacture de confiserie Elisée Palée 15 rue Thiegarten à Strasbourg vers 1890 (Lithographie d’Eduard Hubert né le 5 avril 1858 à Barr)