La Vicomté - Castel du Prieuré
(ne pas confondre La Vicomté en Dinard avec La Vicomté sur Rance (Côtes d'Armor)
Un Castel à l'histoire bien mouvementée
La scène se passe en 1924 à l’entrée d’un grand hôtel de Dinard. Un homme portant des vêtements achetés chez un grand couturier et dont le veston est orné du célèbre ruban rouge, symbole de la légion d’honneur, attise les regards curieux. Entre fierté et mépris, il affiche la mine imbue que certains privilégiés aiment arborer face à ceux qu’ils considèrent comme étant leurs inférieurs. Le réceptionniste a l’habitude de ce genre de personnages. Et pourtant, cette fois-ci, quelque chose semble clocher. Peut-être un accent un brin « populo » ou l’esquisse d’un geste grossier qui ne collent pas avec l’allure générale de l’inconnu. À moins que ce ne soit le carton qu’il présente à l’employé et sur lequel est noté : « Marquis de Champaubert, chevalier de la Légion d’honneur, administrateur délégué des mines de Phuond-Do, administrateur général des mines de Uyen-Kuang et de Thaï-Nguyen (Tonkin) ».
L’aristocrate explique ainsi à qui veut l’entendre qu’il est de retour en métropole après un long séjour en Asie du Sud Est. Après avoir séjourné à l’hôtel (où il se fera remarquer par ses généreux pourboires), le marquis entend louer une villa dans la célèbre station balnéaire, très en vogue à cette époque.
Son choix s’arrête sur le splendide Castel du Prieuré, une villa de style néo-gothique construite au début du siècle, sur la pointe de la Vicomté. Le Marquis de Champaubert, et sa prétendue épouse la marquise Gisèle de Gisors, s’y installent en compagnie d’une femme assez jeune qui paraît être leur domestique. L’hôtel comme la location de la villa sont payés rubis sur l’ongle.
Les jours passent et l’étonnante discrétion des aristocrates intrigue le voisinage. Nul ne les voit sortir en cette saison estivale pourtant propice aux balades sur le littoral. Sans compter les bruits étranges provenant de la propriété, comme si l’on effectuait des travaux au sein de la villa. La police malouine en est informée. Le commissaire spécial Schwab décide alors de mener sa petite enquête en toute discrétion.
Mais qui est donc ce marquis de Champaubert ? C’est rapidement la question qui se pose. Car son nom est inconnu des fichiers de la « Maison ». Plus étrange ou inquiétant, la consultation du gotha du Bottin mondain est aussi vaine. Enfin, la grande chancellerie est elle aussi formelle : aucune légion d’honneur n’a été délivrée à un individu portant ce titre. La constatation est dès lors évidente : le marquis est un escroc !
Le commissaire malouin en est d’autant plus convaincu qu’après avoir mené des investigations en région parisienne, il apprend avec stupéfaction que le marquis a invité des grands joailliers de la capitale à venir lui présenter ses plus belles pièces dans sa villa dinardaise.
Un piège est alors tendu au faux marquis : à leur arrivée, les bijoutiers ne seront pas seuls mais accompagnés de policiers. Bien leur en a pris. Car la visite de la villa leur sera aussi enrichissante qu’invraisemblable. Toutes les ouvertures ont été calfeutrées avec des matelas et des couvertures, le moindre interstice bouché. Les policiers découvrent alors une surprenante installation reliée à un tuyautage devant permettre l’acheminement d’un gaz de chloroforme qui aurait servi à asphyxier les joailliers afin de s’emparer de leurs collections.
Le stratagème du faux marquis est démasqué et l’homme, un aigrefin de haut vol qui s’appelle en fait Clément Passal, est arrêté.
L’enquête révèle alors que ce fameux Passal n’en est pas à son coup d’essai. Bien au contraire. Il a endossé différentes identités et passé sa vie à élaborer des stratagèmes pour escroquer aristocrates et bourgeois aux quatre coins de la France. Pour la petite histoire, notre « Arsène Lupin Mc Gyver » s’était même déjà illustré dans les environs proches, à Paramé, en se faisant passer pour un éminent pharmacien ! Et le plus incroyable, c’est qu’avant cet épisode dinardais, il avait toujours réussi à échapper à la police, en dépit d’escroqueries s’élevant à plusieurs centaines de milliers de francs.
Ces révélations font la Une des journaux où l’on passe en revue les photographies de l’installation diabolique de la « villa truquée de Dinard ». Passal est condamné à plusieurs années de prisons où il simule l’idiot du village pour tenter de raccourcir sa peine derrière les barreaux.
Il est d’ailleurs libéré en pleine crise de 29, promettant de tourner la page de son passé sulfureux. Il s’attelle, dit-il alors, à l’écriture de ses mémoires. Plusieurs éditeurs l’ayant en effet contacté afin de publier le récit de sa vie extravagante.
Clément Passal a alors une idée encore plus folle pour s’assurer une nouvelle publicité dans la presse avant la sortie de ses mémoires. Il disparaît du jour au lendemain et fait parvenir à sa mère et dans toutes les rédactions des courriers tapés à la machine revendiquant « l’enlèvement du marquis ». La prose est signée d’un groupe inconnu se faisant appeler « les chevaliers de Thémis ». Ceux-ci se présentent comme des justiciers souhaitant punir des truands ayant bénéficié de condamnations trop légères.
Les journalistes sont dubitatifs et beaucoup pensent à un canular. De nouveaux courriers sont envoyés et indiquent que « Clément Passal va être enterré vivant et soumis au supplice de la faim ».
Deux jours plus tard, c’est cette fois un ami de Passal qui est destinataire d’un plan de l’endroit où sera enterré le faux marquis. Alertés, les gendarmes se rendent sur place où ils ont tôt fait d’exhumer un cercueil en bois de chêne dont les bords sont vissés. Ils font sauter le couvercle et découvrent à l’intérieur la dépouille de Clément Passal, mort d’asphyxie depuis plusieurs heures !
Sa fin tragique est un nouveau choc pour la population tant le destin de cet individu semble marqué du sceau de l’extraordinaire.
Elle n’est pourtant pas au bout de ses surprises. L’enquête démontre rapidement, qu’avec l’aide de complices, le pseudo-marquis a été victime de sa propre supercherie. D’une mise en scène qu’il avait lui-même imaginée pour un lancement sensationnel de ses mémoires. Le cercueil, équipé d’un système de tuyauterie, devait lui permettre de survivre sous terre jusqu’à l’arrivée des gendarmes. L’escroc avait même testé sa nouvelle trouvaille en restant enfermé dans la boîte toute une nuit. Malheureusement, une fois six pieds sous terre, tout ne se passa pas comme prévu. Le manque d’air se fit ressentir au bout de quarante-cinq minutes condamnant ainsi cet escroc de génie à l’esprit dérangé à mourir enterré vivant…
[Source : Le Pays Malouin]
